Guerric Jehanno, le principal suspect dans la disparition d'Amandine Estrabaud sera rejugé devant les Assises de Montauban (Tarn-et-Garonne) du 22 au 26 janvier 2024. L'homme a déjà été condamné par deux fois à 30 ans de réclusion criminelle. La mère d'Amandine Estrabaud, Monique Sire, a accepté de se confier à l'une de nos équipes.
Guerric Jehanno, le principal suspect dans la disparition d'Amandine Estrabaud sera rejugé devant les Assises de Montauban (Tarn-et-Garonne) du 22 au 26 janvier 2024. L'homme a déjà été condamné par deux fois à 30 ans de réclusion criminelle.
La Cour de Cassation avait cassé la décision de la cour d'appel de Toulouse en novembre dernier pour vice de procédure. L'homme est accusé d'avoir tué Amandine Estrabaud, près de Castres (Tarn) en 2013. Le corps de la jeune femme n'a jamais été retrouvé.
Pendant ses deux procès pour l'enlèvement, la séquestration, le viol et le meurtre de la jeune femme à Roquecourbe dans le Tarn, cet ancien maçon n'avait eu de cesse de clamer son innocence. La mère d'Amandine Estrabaud a accepté de se confier à Aziza Poittevin et Pierre-Jean Vergnes.
France 3 : Comment vous vivez ce moment, cette attente du 3ème procès ?
Monique Sire : C'est un moment redouté. Il y a la pression qui monte. On essaie de garder le cap mais ce n'est pas évident. (...) La cassation, c'était des cas très rare, on espérait y échapper. Évidemment on espérait y échapper mais on avait toujours cette crainte parce que ça a été long l'attente et quand le verdict est tombé, je vous avoue que ça a été très dur. Et encore aujourd'hui, surtout pour une erreur, quelque chose qui est mal retranscrit... Il en découle après un 3e procès et tout ce qui nous incombe, c'est dur à supporter. On s'en serait bien passé.
France 3 : Pour vous c'est une peine supplémentaire, se replonger dans les témoignages...
Monique Sire : Oh oui parce que déjà lors du premier procès, il n'a pas parlé. Le deuxième, pareil. Qu'il soit reconnu coupable, c'est très important. 30 ans, c'est bien. Mais là à nouveau se replonger là-dedans et savoir que c'est très dur un procès, c'est très dur à vivre. Or, il faut revivre ça une troisième fois et l'échéance... On était bien conscient que ça allait prendre du temps mais vivre avec ça tout le temps, tous les jours c'est très dur. Ça nous a impactés énormément physiquement et psychologiquement.
France 3 : Le fait qu'il soit condamné à 30 ans de prison, ce soulagement s'est dissipé ?
Monique Sire : Lors du 2ème procès, je me disais : je n'arriverai pas au tribunal et je ne saurai pas le verdict. C'était vraiment très dur et savoir qu'il faut revivre ça une troisième fois, c'est inhumain ! Les années passent mais la douleur est toujours là. La salle d'audience c'est toujours impressionnant il faut affronter ça. Au premier abord, je me suis dit, je l'ai dit à mon avocat, je l'ai dit à mon fils : je n'irai pas. Je n'irai pas. Ne comptez pas sur moi, ils feront ce qu'ils voudront, s'ils veulent le relâcher, ils le relâcheront. Moi, ma fille ne reviendra pas mais évidemment après on ne peut pas rester là-dessus. Mon fils m'a dit "maman je veux me battre jusqu'au bout pour Amandine". Déjà qu'on a du mal à vivre au quotidien sans pouvoir savoir où elle est, ni se recueillir sur sa tombe, comment ne pas aller au bout des choses ? On va être encore plus meurtri. Je lui ai dit "tu as entièrement raison et évidemment je serai à tes côtés" mais bien sûr que c'est quelque chose de difficile.
France 3 : On parlait de la cassation, les gens ont du mal à comprendre que la justice se prononcera sur la forme et non le fond...
Monique Sire : Oui les gens ont du mal à comprendre que ça n'a rien à voir avec le fond du dossier. (...) Je leur dis, les juges vont rectifier le papier, voilà. Les gens me disent il y a du nouveau, qu'est-ce qui s'est passé ? Non, c'est une erreur d’écriture. Ça a été mal formulé. Et voilà ce qu'il en découle c'est vrai que les gens sont scotchés franchement... parce que malheureusement c'est quand on est confronté à toute cette machine judiciaire qu'on se rend compte de tout ça.
France 3 : Pour vous aujourd'hui, après ces dix ans, peu importe la peine presque, vous voulez aller au bout ?
Monique Sire : Bien sûr, c'est aller jusqu'au bout. Ça fait 10 ans qu'on attend. Au début, on voulait savoir ce qui s'était passé. On se disait peut-être qu'elle est partie, qu'elle est dans un coin, qu'elle n'est pas bien. Mais très vite, dès le lendemain de sa disparition, on savait que ce n'était pas normal du tout. Et depuis maintenant 10 ans, on attend de savoir. Mais on sait qu'il fait partie de cette catégorie hommes qui ne parlera pas. C'est comme les autres. Il ne dira rien. On a beau essayer de surmonter ça, c'est très dur parce que c'est toute la famille qui est impactée, à tous les niveaux. Mon fils il est toujours en dents de scie. Il remonte un peu la pente et puis il redescend. Et savoir qu'il y a un troisième procès, on va rechuter. Il n'y a pas de mots.
France 3 : A quel espoir vous vous accrochez aujourd'hui ?
Monique Sire : Que sa fin puisse avoir un peu de dignité. Lui sa famille le soutient énormément. Ils sont tous dans le déni mais j'ai perdu le fil. L'espoir, c'était qui parle, qu'il fasse preuve d'humanité, qu'il soit sensible à notre douleur, qu'il ait un petit peu d'humanité pour se libérer. Mais il n'est tellement pas comme nous (...). Quand vous en parlez à un psychologue ou un psychiatre, il vous dit : il ne raisonne pas comme nous. Nous, si on fait quelque chose qui n'est pas honnête, quelque chose de pas bien, ça dépend le degré de gravité, mais on va sentir qu'il faut qu'on parle, qu'il faut qu'on dise les choses. Mais ces gens-là, ils ne sont pas dans cet esprit.
France 3 : Il y a beaucoup de féminicides. On utilise ce terme aujourd'hui, c'est quelque chose qui vous interpelle particulièrement ?
Monique Sire : Oui énormément. Quand j'entends à la télé, qu'il s'agisse de jeunes filles ou de femmes, j'essaie de ne pas écouter les infos parce que ça m'atteint trop. Ça me fait remonter... J'ai l'impression qu'on est comme au Moyen Âge, la vie d'une femme, ça ne vaut pas grand-chose. Il y en a tellement. On évolue, les choses se font, mais ça va tellement doucement. Rien que d'entendre que ces femmes sont battues par leur mari, ces violences conjugales, c'est de pire en pire. C'est ça qui est terrible.
France 3 : Après 10 ans d'attente, qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui vous apporter un peu de paix ?
Monique Sire : J'espère que quelqu'un tombe sur quelque chose car je ne sais pas s'il l'a enterrée, s'il l'a brûlée. On peut tout imaginer, tout imaginer... Donc je me dis moi, quand il pleut beaucoup, quand il neige, suivant le temps, est-ce qu'on pourrait retrouver... ? Des fois, mon téléphone sonne et je me dis on va me dire qu'on l'a retrouvée. Je vis toujours dans cet espoir-là, tous les jours, et je prie je prie pour qu'on la retrouve parce que pour ce troisième procès, je me dis : faites qu'il ait enfin un peu de dignité humaine, qu'il nous dise où il l'a mise, ce qui s'est passé. Qu'on sache enfin. Peu importe la peine, on s'en fiche mais qu'il nous dise où elle est, qu'on puisse enfin faire notre deuil, qu'on puisse enfin trouver le repos, que mon fils puisse enfin aller de l'avant dans sa vie. Pour le procès, il va falloir, on n'a pas le choix, on va remettre notre armure invisible pour Amandine. On se bat pour elle, pour sa mémoire, pour ce qu'elle était.