Un garçon de neuf ans a été placé par la justice chez un homme déjà condamné pour viol sur mineur. Comment cela a-t-il pu arriver ? L'information, révélée par Médiapart, met en lumière un vide juridique et les difficultés rencontrées par les acteurs et services de la protection de l'enfance.
Un garçon de neuf ans a été placé, sur décision d'un juge pour enfants de Montauban (Tarn-et-Garonne), chez un homme condamné pour viol sur mineur de moins de quinze ans. L'homme, un voisin chez qui l'enfant avait l'habitude de se réfugier, avait été désigné "tiers digne de confiance" pour accueillir le garçon. Et comme le révèle Médiapart, ce lundi 28 octobre 2024, l'affaire a été découverte par le plus grand des hasards.
La mère s'adresse à l'ancienne avocate du violeur
Une mère vulnérable et souffrant d'addictions. Un père violent. En octobre 2023, un juge pour enfants du tribunal de Montauban décide d'officialiser le placement du garçon chez ce voisin, chez qui il trouve régulièrement refuge, sans vérifier ses antécédents judiciaires.
La justice a placé un garçon de 9 ans chez un homme déjà condamné pour viol sur mineur
— Mediapart (@Mediapart) October 27, 2024
Par @mathildemathieu https://t.co/3XLLMXircL
Mais ce n'est pas une obligation. La loi Taquet qui date de 2022 n'impose pas le contrôle du casier judiciaire pour ces "tiers digne de confiance", des personnes qui ne sont pas forcément de la famille. Un an plus tard, afin de réclamer un droit de visite, la mère se rend chez une avocate. Et là, stupeur. Me Boyer reconnaît le nom de celui qui héberge désormais le jeune garçon. Elle l'avait défendu en 2008. À l'époque, son client avait été condamné à 10 ans de prison pour viol sur mineur de moins de 15 ans.
Début octobre, le jeune garçon a été retiré du "foyer d'accueil" que constituait le domicile de ce "tiers digne de confiance". Pendant plus d'un an, ce dernier n'a jamais évoqué sa condamnation auprès de la justice ou des services de la protection de l'enfance, chargés du suivi de ce placement. Au-delà du vide juridique, l'affaire remet en lumière un secteur déjà en souffrance.
Des mois d'attente avant d'intervenir
L'enquête de Médiapart révèle que deux associations de protection de l'enfance ont été impliquées dans les différents placements et l'accompagnement éducatif de ce jeune garçon de neuf ans. Mais comme partout ailleurs en France, les travailleurs sociaux manquent de moyens, sont débordés comme les juges qui interviennent dans ce genre de dossiers.
Cette affaire illustre bien les failles systémiques de la protection de l'enfance :
— Thierry Herrant (@thierryherrant) October 28, 2024
- un "énorme trou dans la raquette" juridique
- l'absence d'enquête préalable sérieuse
- un délai de 6 mois avant la première visite chez ce tiers (faute d'éducateurs)
L'approximation permanente. https://t.co/x9LZl0VlBU
L’association, la Sauvegarde de l'enfance Haute-Occitanie, intervient dans le Tarn-et-Garonne et trois autres départements. Elle accompagne un millier de mineurs placés sur décision de justice pour échapper à la violence ou à la défaillance de leurs parents. Interrogé quelques jours avant les révélations de Médiapart, le directeur général de l'association, Jean-Louis Losson, s'inquiétait des délais d'intervention de ses équipes.
"En ce qui nous concerne, ça peut aller jusqu'à cent enfants avec des délais d'intervention qui sont entre quatre et six mois. Quelques fois, dans certains départements, il se passe un an entre la décision du juge des enfants qui mandatent nos services pour intervenir au sein des familles et la réalité de la mise en place," nous confiait le responsable de la Sauvegarde de l'enfance.
Le nombre d’enfants placés augmente chaque année. Les lieux d’accueil saturent. Et les travailleurs sociaux, les éducateurs et les associations "ne peuvent pas aller jusqu'au bout de la prise en charge".
"On fait de notre mieux et le maximum"
Autre intervenante dans la protection de l'enfance, l'association nationale de recherche et d'action solidaire dirigée par Muriel Bénard. Rencontrée au début du mois d'octobre, la directrice générale de l'association insistait sur cet objectif pour les enfants placés et pris en charge : "Notre but, c'est de leur construire un avenir."
"On fait de notre mieux et au maximum. Mais actuellement, avec les enveloppes budgétaires qui se rétrécissent, il devient de plus en plus compliqué de créer un parcours pour ces jeunes, expliquait encore Muriel Bénard.
Parfois, on peut se retrouver dans la situation où on ne fait qu'héberger l'enfant et l'amener à l'école. Et ne pas pouvoir faire tout le travail éducatif et d'accompagnement.
Muriel Bénard, directrice générale de l'association nationale de recherche et d'action solidaire
Et que dire de la prise en charge d'un enfant souffrant de problèmes psychiques ? Les éducateurs ne peuvent donner de médicaments. Les passerelles entre le sanitaire, la protection de l'enfance et le médico-social font alors défaut.
Un métier peu valorisé
Le secteur est en crise. Manque de moyens, manque de bras. Et un métier peu cher payé. "Les salaires ne sont pas dignes de l'engagement, des conditions de travail dans lesquelles les salariés exercent", nous confiait il y a quelques semaines, la directrice du pôle social au sein de l'association régionale pour la sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte.
Dans les années 80, un éducateur était payé deux fois et demie le montant du Smic. À Bac +3, il perçoit aujourd’hui mille cinq cents euros. Autant dire que dans ce contexte de pénurie de travailleurs sociaux, rendre les métiers de la protection de l'enfance plus attractifs devient primordial.
En France, près de 350.000 mineurs ou jeunes majeurs sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Et 3350 sont aujourd'hui en attente de placement.
(Propos recueillis par Sandra Wachlewicz et Robin Doreau)