Le Larzac dans les années 70. Sainte Soline, Sivens, l'A 69 aujourd'hui. Les oppositions citoyennes contre les projets d'aménagements de territoire ne sont pas nouvelles mais elles évoluent. La géographe Léa Sébastien de l'université Toulouse 2 travaille sur ces mouvements depuis de nombreuses années et nous apporte des éléments de compréhension sur ce phénomène.
Léa Sébastien s'est spécialisée dans l'étude "des grands projets inutiles". Elle a commencé par recenser les conflits d’aménagement en Midi-Pyrénées. Elle en compte 371 dont une quarantaine dans le Tarn entre 2000 et 2020. Les entretiens qu'elle a pu réaliser lui permettent de porter un regard sur ces différents mouvements d'opposition.
France 3 Occitanie : vous avez étudié différents conflits d’aménagement quels sont leurs points communs ?
Léa Sébastien : qu’il s’agisse de l’opposition à une décharge, à la construction d’un centre commercial ou de la construction d’une autoroute on retrouve aujourd’hui les mêmes dynamiques sociales. Autrefois il y avait des différences d’un territoire à l’autre. On peut parler aujourd’hui de convergences. Désormais il y a une alliance entre des habitants qui s’opposent à un projet sur leur territoire et des gens qui souhaitent ancrer dans le concret leur engagement écologique. Si on prend l’exemple de la lutte contre le barrage de Sivens c’est ce qui s’est passé. Avec une réflexion de fond, une vision du monde et un questionnement sur l’intérêt général d’un projet. On retrouve cela dans l’opposition à l’autoroute Castres-Toulouse. Se pose la question de l’utilité d’un tel projet qui incarne des valeurs de vitesse, d’intérêts économiques face à des enjeux de sauvegarde de terres agricoles et d’urgence écologique.
Ce que l’on peut analyser dans les différents collectifs c’est une convergence d’arguments comme le respect de la biodiversité, l’opposition à une artificialisation des sols et enfin un souhait de plus de concertation.
France 3 Occitanie : qui sont les militants ?
Léa Sébastien : il est très difficile de dresser le profil type d’un militant. Ces mouvements d’opposition sont très hétérogènes. D’un point de vue social ou générationnel. Avec des unions parfois improbables d’agriculteurs et de néo-ruraux.
Il y a beaucoup de retraités. Ces mouvements s’inscrivent souvent dans la durée. Les opposants deviennent souvent des experts juridiques ou scientifiques. Et pour cela il faut du temps !
D’autres sont plus jeunes avec un engagement citoyen pour défendre la terre qui va de pair avec par exemple décider de moins manger de viande. Enfin il y a des personnes qui n’avaient jamais milité de leur vie et qui par le biais d’un aménagement de territoire qui les heurte développent une conscience d’enjeux écologiques.
Le jeune collectif les Soulèvements de la terre veut aujourd’hui fédérer toutes les oppositions en mettant en avant les enjeux globaux communs.
France 3 Occitanie : de quelle manière le mouvement d’opposition à l’autoroute Castres-Toulouse illustre cette évolution des conflits d’aménagement ?
Léa Sébastien : le projet de construction d’une autoroute en 2023 ce n’est pas la même chose que dans les années 70. Aujourd’hui beaucoup pense qu’on est arrivé à un record de routes en France, à une satiété de centres commerciaux et autres projets de ce type. À l’heure de l’urgence climatique et écologique forcément se posent des questions de fond sur la nécessité du projet, son utilité. Ce projet est-il juste par ailleurs ? Comme face à de nombreux projets, les citoyens ont ici le sentiment d’avoir utilisé tous les moyens légaux avec notamment des contre-propositions, des contre-expertises avec notamment des propositions d’alternatives qui auraient eu moins d’emprise au sol sur les terres. Ce sont des signes de vitalité démocratique sur toute la durée de l’opposition au projet. Mais au final le sentiment de « passage en force » subsiste. Ce qui conduit souvent à des occupations de territoires ou des violences.