"L'État et la justice n'ont pas tiré les leçons de Sivens" : Maître Claire Dujardin, 10 ans après la mort de Rémi Fraisse

Dix ans après le drame de Sivens dans le département du Tarn, l'avocate de la famille Fraisse dénonce l'absence de remise en question de l'État et de la justice face aux mobilisations écologistes. Entre regrets politiques et répression persistante, elle revient sur une décennie de combat judiciaire et militant.

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Le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse, jeune botaniste de 21 ans, perd la vie sur le site du barrage de Sivens dans le Tarn, touché par une grenade lancée par un gendarme. Dix ans plus tard, sa famille n'a toujours pas obtenu de procès, malgré une longue bataille judiciaire. Me Claire Dujardin, leur avocate depuis le début, livre un témoignage amer sur cette affaire qui a marqué un tournant dans la répression des mouvements écologistes en France. Elle pointe du doigt la responsabilité de l'État et s'inquiète de voir l'histoire se répéter aujourd'hui sur d'autres fronts militants.

France 3 Occitanie : Dix ans après la mort tragique de Rémi Fraisse, qu'en retenez-vous ?

Maître Claire Dujardin : Après 10 ans de procédure judiciaire et 10 ans de défense des militants écologiques, c'est difficile de répondre à cette question. Ce que je retiens, c'est l'absence de leçons tirées par l'État et l'autorité judiciaire. L'État continue de mener des opérations de maintien de l'ordre extrêmement violentes à l'encontre des militants écologistes, comme on peut le voir avec ce qui se passe pour l'A69. De plus, il y a une non-réponse de la part des autorités judiciaires lorsque les militants sont victimes de violences ou lorsqu'ils réclament la suspension des travaux.

France 3 Occitanie : Comment êtes-vous arrivée à vous impliquer dans le dossier de Sivens ?

Maître Claire Dujardin : J'y suis arrivée avec ma casquette d'avocate. J'ai été saisie par des militants qui étaient sur le terrain de Sivens plusieurs mois avant la mort de Rémi Fraisse. Ils me demandaient de les défendre alors qu'il y eût un recours devant le tribunal. J'ai commencé par défendre des militants dans la forêt de Sivens, puis la situation s'est intensifiée avec de plus en plus de violences et d'affrontements. C'était un dossier intéressant d'un point de vue juridique puisqu'il y avait à la fois le volet de l'occupation de terres qui allaient faire l'objet de travaux et il y avait le volet de la désobéissance civile, l'état de nécessité. Défendre des militants écologistes, c'est passionnant. Ils sont très conscientisés, très informés. Il y a beaucoup de jeunes. C'est aussi à ce moment-là que j'ai découvert les zones à défendre (ZAD) et la lutte écologiste sur le terrain.

France 3 Occitanie : Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans ce dossier ?

Maître Claire Dujardin : Le plus difficile a été la bataille judiciaire. Il était évident pour moi que la justice allait apporter une réponse, mais nous nous sommes heurtés à un mur. Toutes nos demandes d'actes ont été rejetées. Il a fallu continuer à tout faire pour obtenir un procès, que nous n'avons finalement pas eu. Expliquer cela à la famille a été très compliqué.

À lire : Sivens : la famille de Rémi Fraisse attaque la responsabilité de l'Etat au tribunal administratif de Toulouse

De plus, la violence des mots utilisés par les juridictions dans les décisions confirmant le non-lieu a été particulièrement difficile à encaisser. Mais il y a eu aussi la violence de la répression de l'Etat et l'affrontement avec les agriculteurs locaux. Nous avions en face de nous ces derniers qui essayaient de se faire justice eux-mêmes. C'était compliqué. Nous avons eu des périodes où tout le monde a eu très peur.

France 3 Occitanie : Quel est le souvenir de cette période qui vous a le plus marqué ?

Claire Dujardin : Plein d'images me reviennent. Mais celle qui ne s'efface pas, c'est toute la violence qu'il y a pu y avoir avant la mort de Rémi Fraisse et ces appels à les stopper après sa mort.

Ensuite, il y a une scène particulière, plusieurs jours avant le 24 octobre, où des militants s'étaient enterrés dans le sol pour empêcher que les machines avancent. Cette scène elle est vraiment forte et symptomatique de la situation alors sur place. Nous avons vraiment eu puisqu’une des personnes qui s'étaient enterrées était enceinte et les forces de l'ordre ont chargé, ont gazé.

France 3 Occitanie : vous venez d'évoquer Rémi Fraisse. Comment avez-vous été amenée à représenter sa famille après le décès du jeune toulousain ?

Cela s'est fait assez naturellement. Je défendais déjà plusieurs militants sur le terrain. Ils se sont rapprochés de moi pour savoir si je savais qui était Rémi Fraisse.

J'ai été ainsi mise en relation avec la famille. À partir de là, nous avons mené une véritable. Car pour moi, il était évident que la justice allait apporter une réponse et faire en sorte qu'a minima, le gendarme ayant lancé la grenade à l'origine de la mort de Rémi soit mis en examen et ensuite qu'il y ait un procès. C'est d'ailleurs ce qui a été le plus compliqué : se retrouver face à un mur. Nous nous sommes vite rendu compte que la justice n'allait pas avoir une réaction normale. Toutes nos demandes d'actes ont été rejetées et il a fallu donc continuer à tout faire pour que ça aille jusqu'au bout, que nous puissions avoir un procès. Ce procès, nous ne l'avons finalement pas eu, nous nous retrouvant systématiquement avec des refus. Cette situation, il a fallu essayer de l'expliquer à la famille. Ça a été très compliqué. Il y a aussi la violence des mots utilisés par les juridictions dans les décisions qui ont été prises confirmant le non-lieu.

Elles venaient dire que Rémi Fraisse n'avait pas à être là, à Sivens, et qu'il était donc tout à fait normal d'utiliser une grenade face à d'importantes violences. C'est donc la faute à pas de chance. Cela a été extrêmement violent tant pour l'avocat que je suis, tant pour la famille, d'entendre cette réponse au bout d'un long parcours judiciaire.

France 3 Occitanie : Comment percevez-vous les propos de Bernard Cazeneuve, évoquant ses "regrets" et parlant d’un "échec", sur cette affaire ?

Maître Claire Dujardin : Pour moi, ce sont des paroles politiciennes pour tenter de blanchir un parcours et revenir sur la scène politique. Les regrets exprimés sont en complet décalage avec la réalité de ce qui s'est passé. Le dossier montre clairement que le ministère de l'Intérieur et le Premier ministre ont donné des ordres d'extrême fermeté. De plus, ils ont continué à renforcer l'arsenal répressif par la suite.

France 3 Occitanie : Comment expliquez-vous qu'on se retrouve dans une situation similaire avec le projet de l'autoroute A69, dix ans après ?

Maître Claire Dujardin : J'explique cela par le fait que pour l'État, les intérêts économiques sont beaucoup plus importants que les intérêts écologiques. L'État est prêt à tout pour faire passer des grands projets portés par des lobbies puissants. Il y a une non-remise en cause du fonctionnement économique de l'État. De plus, l'arsenal répressif et la doctrine de maintien de l'ordre violente sont tellement ancrés qu'on les utilise sans réfléchir, peu importent les conséquences. Il y a un vrai refus de mener une politique environnementale forte.

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