Les laboratoires Pierre Fabre sont actionnaires de la société concessionnaire de l'A69. Cette information est restée confidentielle avant qu'elle ne soit subitement révélée sous la pression médiatique. Cette prise de participation relève-t-elle d'un calcul financier ou s'agit-il d'une décision symbolique, purement tactique afin de renforcer le projet ? Éléments de réponse.
Le timing est troublant. Pendant plusieurs mois, les laboratoires Pierre Fabre ne se sont pas exprimés sur le projet de l'A69. Et, d'un seul coup, le directeur général du groupe s'exprime dans une interview. Plus troublant encore, Eric Ducournau révèle que Pierre Fabre est actionnaire de la société concessionnaire de l'autoroute.
Cela ressemble furieusement à une communication de crise. En effet, ces révélations interviennent alors que la "cellule investigation" de Radio France s'apprêtait à dévoiler la participation financière de Pierre Fabre. La meilleure défense est souvent d'anticiper et de parler avant de se retrouver sous la pression médiatique.
Mais une question reste en suspens : pourquoi Pierre Fabre est entré au capital d'Atosca ?
Atosca a sollicité Pierre Fabre
Le concessionnaire de l'A69 précise très clairement et sans ambiguïté être à l'origine de l'entrée au capital du groupe industriel.
Interrogée, vendredi 15 mars 2024, lors d'un point presse, la société autoroutière ne souhaite pas donner le nom des entreprises qui sont entrées dans son capital. Son directeur général, Martial Gerlinger, laisse ce soin aux principaux intéressés.
En revanche, maintenant que Pierre Fabre a révélé sa prise de participation, Atosca s'exprime sur le sujet. Martial Gerlinger souligne que le groupe pharmaceutique a été, en quelque sorte, démarché par le concessionnaire. C'est lui qui a sollicité son entrée au capital. Martial Gerlinger précise que cette opération s'est déroulée, "il y a environ un an et demi".
Business ou lobbying ?
Le groupe Pierre Fabre n'est pas un adepte de la diversification à outrance. Jusque dans les années 2013, le laboratoire a mis un pied dans le secteur des médias. Le fondateur du groupe, Pierre Fabre, a même été propriétaire d'un titre bien connu : Valeurs Actuelles.
Mais cette époque est révolue. Le groupe est toujours présent dans le groupe de presse qui a, d'ailleurs, publié l'interview de son directeur général, la Dépêche du Midi, et dans l'hebdomadaire tarnais Le Journal d'Ici.
En revanche, ses derniers investissements restent dans son cœur de métier : le médicament et la dermo-cosmétique. Ainsi, dernièrement, en septembre 2023, les "labos" ont investi dans une start-up, Miyé, spécialisée dans les soins et dans les compléments alimentaires, tournés vers l'équilibre hormonal.
La présence des laboratoires dans le capital d'une société autoroutière est, pour le moins, étonnante.
Questionné sur le sujet, le directeur général d'Atosca, récuse toute dimension financière. Martial Gerlinger estime qu'il s'agissait uniquement de faire entrer des acteurs locaux. Selon lui, la prise de participation des laboratoires n'était pas nécessaire pour boucler le tour de table. Des chiffres accréditent cette thèse.
Un choix "pas très malin"
Pierre Fabre n'a pas poussé la transparence jusqu'à dévoiler le niveau de sa participation.
Eric Ducourneau a juste donné un chiffre : 5,3%. Mais celui-ci correspond à la participation globale de plusieurs actionnaires regroupés au sein de la société Tarn Sud Développement.
Le montant global de cet actionnariat serait d'un peu de plus de 8 millions d'euros sur un projet autoroutier évalué à 450 millions d'euros. Dès lors, les éventuels bénéfices de Pierre Fabre sont plus que limités. Mais, surtout, le groupe pharmaceutique figure largement parmi les actionnaires minoritaires.
Un acteur local confirme cette version des faits. "La participation de Pierre Fabre n'a rien de financière. Elle est symbolique. Et c'est d'ailleurs pour cela que ce n'est pas très malin d'être entré dans le capital. Les retours pour investissements à attendre sont vraiment réduits et en termes d'image. C'était juste pour renforcer le dossier et décrocher le marché public. D'ailleurs, ce n'était pas forcément utile, car la concurrence n'était pas féroce du tout. Les majors de l'autoroute comme Vinci n'étaient pas intéressés" souligne cette source, proche de Pierre Fabre, et qui tient à rester anonyme.
Un autre aspect de la présence de Pierre Fabre au capital d'Atosca peut également poser question : le fait que la femme du président de la commission d'enquête parlementaire sur l'A69 soit membre du top management du groupe pharmaceutique.
Saisi du sujet, le déontologue de l'Assemblée Nationale n'a pas émis de réserve. À partir du moment où Pierre Fabre reconnaît être un partenaire financier du concessionnaire, cela peut changer la donne.
Les opposants au projet autoroutier ont bien détecté la faille éventuelle.
Ils ont déposé une nouvelle saisine auprès du déontologue.