L'association Médecins pour demain appelle à un décembre noir. Noir comme l'horizon de la médecine libérale selon les professionnels. Une grève que des médecins suivent avec un brassard noir. Rencontre avec l'un d'eux dans le Tarn qui poursuit son activité malgré la colère pour ne pas pénaliser ses patients.
C'est en apparence un jour ordinaire dans la salle d'attente du docteur Mathieu Boulanger à Gaillac dans le département du Tarn. Dans la salle d'attente, les patients l'ignorent peut-être mais leur médecin est en grève. Une grève "passive", sans incidence sur les consultations, mais une colère bien réelle.
Plus de contraintes
Dans son cabinet, le docteur Boulanger prend le temps de préciser à son patient les médicaments qu'il lui prescrit, la posologie. Il prend aussi le temps d'expliquer à sa stagiaire, Marine Bellegarde, interne en médecine générale, certaines données.
Un temps précieux de plus en plus grignoté à ses yeux par les contraintes administratives. Cela lui devient insupportable.
"Le premier rempart pour la prise en charge des patients, ce sont les médecins généralistes. Et on a l'impression qu'on nous met de plus en plus de contraintes, de difficultés administratives, de papiers à remplir". En ligne de mire plus précisément, le décret Barnier du 24 octobre dernier qui prévoit l'obligation de préciser et justifier les prescriptions réalisées par les médecins. Pour le docteur Boulanger syndiqué MG France, c'est une brèche qui s'ouvre dans la garantie du secret médical.
"On devra justifier sous chaque ligne de médicaments la raison pour laquelle on prescrit tel ou tel médicament. Par exemple, pour une trithérapie, il faudra inscrire VIH, pour une MST préciser laquelle. Même chose pour les antidépresseurs, les anxiolytiques. On touche là à l'intimité des patients, au-delà du temps administratif en plus pour nous".
Le 2 décembre 2024
— Médecins Pour Demain (@MedPourDemain) December 1, 2024
Et pendant un mois
Tous avec un brassard noir
Pour protester contre la destruction programmée de la médecine libérale,
pour conserver la médecine libérale,
la médecine de famille,
la médecine à la française humaine.@MichelBarnier @AssembleeNat @Senat pic.twitter.com/wtNR2wrD1i
Pour ce médecin expérimenté, cela revient à une main mise de l'administratif sur son métier. Et au bout du compte une forme de perte de confiance sur sa profession de la part de l'État. Sa crainte se focalise sur la pratique de son métier et à l'avenir mais aussi sur l'attrait de sa profession chez les futurs médecins. "On est en grande difficulté suite à des décisions politiques passées sur les numerus clausus étranglés ou des départs anticipés à la retraite dans les années 90. On a toujours été considéré comme une variable d'ajustement budgétaire. Nos effectifs se réduisent. Il faut donner envie aux jeunes !".
Améliorer l'attractivité
Marine Bellegarde entame son stage d'interne en médecine générale. Sa motivation est inaltérable mais elle confie aussi son inquiétude. "C'est délicat de se projeter avec le contexte actuel. On est dans le flou. On parle de nouveaux rôles, de redistribution des compétences mais on ne sait pas à quelle échéance. On attend des réponses précises".
Un flou, une incertitude propre à démotiver les futurs médecins généralistes estime le docteur Boulanger. " L'idée c'est de se battre pour nos patients et améliorer l'attractivité de notre métier pour que nos effectifs ne s'effondrent pas du fait de recrutements par des groupes privés. La médecine libérale c'est la solution la plus modulable, la plus sur mesure pour nos patients". Il poursuit. "À continuer comme ça, c'est le système de soin qu'on envoie en réa !".
Comme d'autres confrères, Mathieu Boulanger compte poursuivre cette grève symbolique "le temps qu'il faudra".
L'association Médécins pour demain appelle à un "décembre noir" pour alerter sur la situation d'urgence de la médecine libérale aux yeux de ces professionnels.
Propos recueillis par S.Wachlewicz et E.Leroy