Le dessinateur Didier Tronchet revient avec le récit d'une "année fantôme" : une BD émouvante et drôle

"L’année fantôme", c'est l’histoire d’un humoriste parisien un peu méchant - qui va perdre son public ! Le dessinateur Didier Tronchet nous propose une nouvelle BD d'inspiration autobiographique dans lequel son héros revisite son enfance, avec une famille qu'il a longtemps fuie avant de la redécouvrir sous un nouveau jour.

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Didier Tronchet a longtemps été Parisien. Une époque de sa vie qui a coïncidé avec l'invention d'un personnage de loser magnifique : Jean-Claude Tergal. Parti ensuite loin des tracas de la capitale, le dessinateur s'est mis à explorer une veine autobiographique et intime dans ses albums. Tout a commencé avec son couple, le temps de Vertiges à Quito ; ensuite avec son fils qui l'a accompagné sur une île de l'Océan indien, pour une aventure qui constituera l'intrigue des Robinsons père & fils ; et l'an dernier, dans son Petit Traité de Vélosophie, son inspiration s'est nourrie de ses expériences sur son biclou, seul face aux bagnoles dans le trafic francilien. Cette année, avec L'Année fantôme, Didier Tronchet retire le masque de clown derrière lequel il s'est longtemps caché pour renouer les fils de son enfance.

Mon personnage déteste les familles, et c'est dans son regard de Parisien suffisant qu'apparaissent mon frère et ma sœur, odieusement caricaturaux. Et la mère, c'est pire !

Didier Tronchet à propos de son roman graphique "L'année fantôme"

Passionné par Tintin, Didier Tronchet rêvait enfant de devenir journaliste. Il se disait : "Wouha la planque ! Et en plus, il voyage partout." Un diplôme de l'ESJ (Ecole supérieur de Journalisme) de Lille en poche, il quitte le nord de la France pour le Matin de Paris, un quotidien depuis disparu. Le journalisme : un métier qui mène à tout à condition d'en sortir - a-t-on coutume de dire. Lui devient bédéaste et se lance dans l'humour noir en bande dessinée avec Raymond Calbuth d'abord, puis une galaxie de héros dérisoires du quotidien, qui ont construit sa renommée.

Une année à trou et à combler

Dans son dernier album, ce funambule de la BD, qui a reçu l'Alph-Art humour au festival d'Angoulême, livre un récit bouleversant. Celui d'un humoriste parisien qui s'est fait phagocyter par le succès jusqu'à la blague de trop, celle qui ne fait plus du tout rire. Quand on lui pose la question "L'humoriste, c'est vous ?", la réplique fuse dans un éclat de rire : "Ha ha ! L'inévitable question ! La réponse sera toujours la même concernant cette veine autobiographique : oui et non. Mais j'ai besoin d'avoir vécu pour raconter. Ainsi, j'ai véritablement connu le cauchemar de l'émission télé où j'ai foiré ma blague en direct. Ca s'appelait 'Ce soir ou jamais' sur France 3 avec Frédéric Taddeï - je balance."

Platon proposait de se connaitre d'abord soi-même. Dans une variante moderne, Didier Tronchet invite son personnage à retrouver sa propre histoire familiale par lui même. Dans ses souvenirs d'enfance, une année a disparu : l'année fantôme. Didier Tronchet confie à propos de ses parents : "Dans cette BD, ce sont eux et pas eux. Mon personnage déteste les familles, et c'est dans son regard de Parisien suffisant qu'apparaissent mon frère et ma soeur, odieusement caricaturaux. Et la mère, c'est pire ! Le sentiment qu'il se découvre pour eux, en revanche, est vrai." Comme dans toute œuvre. Reste qu'il est difficile de distinguer le vrai du faux, à commencer par le titre - car cette année fantôme a réellement existé pour l'auteur.

3 questions à l'auteur caché derrière l'humoriste

Pour mieux comprendre le propos de Didier Tronchet dans cet album graphique - qu'il avait d'abord esquissé en roman il y a de nombreuses années - nous lui avons posé trois questions :

  • Dans cet album, votre personnage principal est un humoriste dont la carrière se trouve bouleversée par la résurgence de secrets de famille. Comment est née cette idée d'intrigue et ce choix d'un portrait bienveillant de ce personnage ?

Je me suis souvent posé cette question : pourquoi vouloir faire rire (voire en faire son métier) ? Si on est équilibré dans la vie, on n’éprouve pas ce besoin… J’ai voulu aller voir l’envers de l’humour, où il puise ses racines et qu’on comprenne mieux ces êtres étranges pour qui le rire est vital, à travers ma propre expérience… Et ça m’ a mené très loin, quelque part dans les replis cachés de l’enfance !

  • Vos propres débuts d'artiste sont marqués par la pratique d'un humour caustique avec les personnages de losers magnifiques : Raymond Calbuth, les Poissart, et surtout Jean-Claude Tergal, qui a marqué vos premiers succès. Avec le recul, diriez-vous que le rire chez les artistes est toujours un masque fragile ?

Un masque bien confortable et même un rempart ! Mais comme toutes les digues, ça finit par céder sous les coups de boutoirs des accidents de la vie… L’humour est assurément un art de la dissimulation… de soi-même. Une manière d’éviter, ou de contourner une blessure initiale. Pour mon personnage un évènement va mettre à bas ce système de défense, et finalement pour son plus grand bien. Ce qui lui permettra, on l’imagine, de se déplacer ensuite sans son armure. Pas très pratique.

  • Votre héros se demande avec inquiétude si "on perd le sens de l'humour sans s'en apercevoir comme un jour on a cessé d'être enfant". Votre propre activité créatrice se nourrit-elle de cette inquiétude ?

Mon personnage demande carrément à son fils de l’abattre sans sommation si un jour il n’est plus drôle… J’avoue que cette perspective me terrifie et que j’ai semblablement donné la consigne à mon propre fils (qui la goûte moyennement)… Mais en vrai je pense que je me suis libéré de l’obligation de faire rire à tout prix, qui était une une politesse vis-à-vis du lecteur. Comme en témoignent mes derniers romans graphiques qui racontent des histoires plus directement sincères. Si en plus elles sont un peu drôle aussi, c’est du bonus !

Lors de la sortie de son précédent album Petit Éloge de la chanson française, Didier Tronchet mettait en avant un titre qui le touche particulièrement. "Merci" de Jeanne Cherhal qui "évoque les brins d’herbe qui poussent entre les pavés à Belleville, toutes les petites choses qui font la grandeur de la vie." Il confiait avoir les yeux humides à son écoute : "Je suis pourtant un gars, un dur, un guerrier, je ne pleure pas facilement au cinéma ou en lisant un roman. Je suis plutôt du côté des humoristes à qui on ne la fait pas, qui rigolent de tout. Elle touche l’enfant fragile en moi."

Après son précédent roman graphique, Le chanteur perdu, nul doute que le lecteur sera lui aussi remué par l'enfant retrouvé dans cette année fantôme, le temps d'une famille re-composée et réunie après l'avoir si longtemps détestée.

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