En Île-de-France, plus de 1,3 million de personnes de 15 ans ou plus sont en situation d’exclusion numérique – ou d’illectronisme, soit près de 12% de Franciliens en difficulté dans l’utilisation des outils numériques ou qui n’ont pas utilisé Internet depuis au moins un an, selon une étude de l’INSEE parue en mai dernier.
Derrière les cafés et les jus d’orange, les bénévoles du café associatif et solidaire "Tout autre chose", dans le 9e arrondissement de Paris, donnent de leur temps pour accompagner les personnes en situation d’exclusion numérique.
Face à des services publics toujours plus dématérialisées, cette association agréée "espace de vie sociale" par la Caisse d'allocations familiales (CAF), organise des permanences d’aide aux démarches en ligne au milieu des ateliers de tricot, d’aide aux devoirs et des cours d’informatique.
"Ils sont d’une grande aide, heureusement qu’ils sont là"
Abdoulbénéficiaire et habitant du quartier
"Vous voulez un rendez-vous pour le 8 novembre ? Il faut la faire avant votre déclaration", conseille l’une des employées de l’association. "Je reviens pour vous confirmer la date", répond Abdoul, un habitant du quartier venu demander de l’aide pour une démarche administrative à faire en ligne. "Ils sont d’une grande aide, heureusement qu’ils sont là", tonne cet homme d’une quarantaine d’années.
Sur l’une des tables, Matthias, 45 ans, et Annick, 63 ans, forment un duo presque complice. "Avant de découvrir cette association, je ne savais que ces permanences existaient. L’assistante sociale qui m’accompagnait n’a pas pu m’aider. Ici, je suis à mon deuxième rendez-vous avec Matthias", confie Annick.
Pour Matthias, l’essentiel de l’aide qu’il propose est "de remplir des formulaires, chercher l’information sur les différents services en ligne comme la Sécurité sociale, la CAF ou les retraites, explique-t-il. Rien que de retrouver les mots de passe et réussir à se connecter, c’est déjà l’essentiel de l'accompagnement".
Une aide précieuse aux démarches en ligne
Annick a toujours pu s’arranger en faisant ses démarches par courrier et sur papier, mais aujourd’hui, elle doit faire un recours. "J’ai d’abord demandé à Matthias si on pouvait le faire à l’écrit. Mais quand je suis allée aux Impôts, ils m’ont dit d’utiliser mon espace personnel", affirme-t-elle un brin découragée. "Mais par contre, pour la Sécurité sociale, j’ai pu passer par une lettre recommandée avec un dossier papier".
"Quand je suis allée aux Impôts, ils m’ont dit d’utiliser mon espace personnel. Par contre, pour la Sécurité sociale, j’ai pu passer par une lettre recommandée"
Annickbénéficiaire et habitante du quartier
Pour son recours, si "c’est plus rapide en ligne", elle ne peut le faire seule. Coup de chance, Matthias, à l’origine volontaire pour aider aux démarches en ligne, va pouvoir également mobiliser ses compétences juridiques qui vont s’avérer précieuses pour cette soixantenaire du 9e arrondissement.
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"Je suis bénévole depuis cinq mois. Étant en recherche d’emploi, j’avais du temps à donner"
Matthiasbénévole et habitant du quartier
"Je suis bénévole depuis cinq mois. Étant en ce moment en recherche d’emploi, j’avais du temps à donner", avoue Matthias, qui consacre deux heures par semaine aux personnes pour qui un accompagnement aux démarches en ligne est indispensable. "Les gens prennent rendez-vous au secrétariat de l’association. Parfois, ils reviennent si nous n’avons pas eu le temps de faire toutes les démarches en un seul rendez-vous", conclut-il.
Un lieu de vie pour lutter contre l'exclusion
"C’est une assistante sociale qui m’a redirigé ici. Avant j’allais à la mairie." Or, dès qu’il a une démarche à réaliser en ligne, Abdoul vient prendre rendez-vous auprès de Cristina, l’une des trois salariées de l’association. "C’est bien mieux ici, on peut les voir souvent", avoue-t-il.
Dans la salle, l’ambiance est vivante et chaleureuse, sous des rangées de livres entreposés dans de grandes étagères métalliques, où les bénévoles s’affairent à leurs activités. Véronique, tout de bleu vêtue avec sa salopette, anime un atelier tricot avec sa bonne humeur, au milieu des pelotes de laine et des aiguilles qui s’activent. Près de l’entrée, Coco, le bénévole "expert informatique" accompagne une dame qui souhaite s’initier au traitement de texte.
"Chaque bénévole propose une permanence à un bénéficiaire et s’engage pour au moins deux heures par semaine, explique Cristina, animatrice et coordinatrice de l’association. Les bénéficiaires prennent ensuite rendez-vous pour leurs démarches administratives en ligne, pour les Impôts ou la CAF par exemple. Mais nos bénévoles sont aussi là pour créer du lien social, et c’est hyper important."
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"Nos bénévoles sont aussi là pour créer du lien social, et c’est hyper important"
Cristinacoordinatrice et animatrice de l'association
"C’est pour votre titre de séjour ?", demande Cristina à un homme qui insiste dans le bureau pour une démarche urgente à faire en ligne. Elle ne peut lui proposer un créneau que plusieurs jours plus tard. “On manque de bénévoles et de moyens”, confie Claire Hincelin, la directrice de l’association, qui reçoit de plus en plus de personnes redirigées ici par les services publics.
"Avant, en plus du café, nous avions aussi un restaurant, mais nous avons dû le fermer pour manque de bénévoles et de soutien financier, déplore Cristina. Autrement, le café est toujours ouvert avec une boisson chaude ou froide à un euro ou plus si les gens le souhaitent." Avant de conclure : "nous sommes toujours à la recherche de bénévoles, notamment pour notre futur projet qui est de rouvrir le restaurant."
Si l’Île-de-France est la région la moins touchée de France par l'exclusion numérique, ce phénomène concerne près de 13 millions de personnes en France, soit un Français sur cinq, selon un rapport de la Défenseure des droits paru en 2022.