Baisse des paiements en cash, exonération des taxes et augmentation du nombre de tips. Les avantages du pourboire sur le TPE existent mais les restaurateurs du nord-parisien ne sont pas prêts à lâcher le cash.
"Pas de ça chez nous. Ici, on préfère le cash" sourit le serveur derrière le comptoir de Papilla. Dans ce café-restaurant situé avenue de Clichy (17e arrondissement de Paris), pas question de faire fi du cash pour les pourboires. Quelques centaines de mètres plus loin, l'idée de les voir dématérialisés fait même s'écarquiller des yeux. "Je ne savais même pas que ça existait" s'étonne la gérante du Barkley de l'avenue de Saint-Ouen (18e).
Deux ans plus tôt certains croient pourtant sentir le vent tourner. Le 1er janvier 2022, la défiscalisation des pourboires payés par carte bancaire entre en vigueur. D'abord prévue pour deux années, l'exonération est reconduite l'an passé par le Parlement. Et cette année ? Dans les pages de Sud-Ouest, Franck Trouet voit l'histoire continuer. "Je n'imagine pas que les parlementaires puissent s'y opposer" glissait le délégué général du Groupement des restaurants et hôtellerie de France en début de semaine.
À lire aussi. Le pourboire ce qui fait et ce qui ne se fait pas : en France et ailleurs
Mais l'époque est à la baisse du cash. Publiée en 2022, une étude de la Banque centrale européenne estimait que 50% des paiements étaient effectués en espèce contre 57% en 2019 et 68% en 2016. Une tendance qui n'inquiète pas les cafés du nord parisien qui ont déjà trouvé la parade sans changer leurs habitudes.
❌💸 Plus de liquide, donc plus de pourboire ? Certains restaurateurs tentent de l'institutionnaliser via le TPE, au grand dam de certains clients qui se sentent forcés. @AxeldeTarle #Telematin pic.twitter.com/tAERLjDN4E
— Telematin (@telematin) June 5, 2024
Un esprit de quartier
Dans un autre café à deux pas du Barklay, Sofiane installe les tables pour le déjeuner. "C'est rare que les clients donnent des pourboires en liquide. Quand ça arrive, on fait une sortie de caisse", raconte le serveur qui travaille au Abel Monmartre depuis 5 ans, "c'est plutôt un truc de touristes". Même son de cloche rue Carpeaux (18e) où l'on ne "prend pas de pourboire par carte sauf si le client insiste". Mais ici au Sap Heure pas de sortie de caisse. "On offre une boisson au serveur à la place" glisse un serveur.
Entre sourire et agacement, l'idée d'un pourboire par carte bancaire fait réagir rue Caulaincourt (18e). Attablé devant son café Imagine, où la cuisine y est aussi colorée que la décoration, le gérant nous accueille l'air amusé. "Tu veux que je te raconte une histoire ?" lance-t-il en demandant à sa fille de tendre l'oreille. "Avant quand j'avais 100 euros, je pouvais dépenser 100 euros chez le vendeur de thé en face qui lui-même allait la dépenser au café Ginette etc." poursuit-il d'un geste de la main, "aujourd'hui, on prend 0,2% dessus à chaque passage".
Un métier de service, c'est le contact avant tout. Tu ne viens pas que pour manger, tu viens aussi pour voir les autres
Guillaume, gérant du café Sunset (18e arrondissement de Paris)à France 3 Paris Île-de-France
Malgré la détaxe, les restaurateurs voient dans le paiement bancaire une perte pour l'économie du quartier. "Un métier de service, c'est le contact avant tout. Tu ne viens pas que pour la bouffe, tu viens aussi pour voir les autres", renchérit Guillaume qui a repris le Sunset de la rue Ordener (18e) en 2018. Pour lui, le pourboire dématérialisé est "maladroit", et peut "mettre mal à l'aise". "C'est bien pour les chaînes pas pour les cafés de quartier".
À petite Dose
De l'autre côté du trottoir, c'est effectivement une franchise qui expérimente le pourboire 2.0 depuis 1 mois. Au café Dose Jules Joffrin (18e), "on voit la différence même pour les cafés à emporter on reçoit des pourboires" glisse Maxime entre deux commandes. Avant que les TPE ne proposent un pourcentage à payer en plus au client, les serveurs ne recevaient presque pas de "tips". Aujourd'hui, la somme grimpe à 150 euros par semaine divisés entre les salariés.
"Le pourboire n'est pas très institutionnalisé dans la culture française", ajoute Juan qui travaille aussi chez Dose mais à Lamarck (18e), "c'est une bonne chose pour ce secteur en tension où les salaires n'ont pas suivi l'inflation".
D'après Sunday, l'une des applications qui propose ses services aux restaurateurs pour la dématérialisation, un Français sur deux donne un pourboire. Cette entreprise avance le chiffre de 2000 restaurants collaborateurs en France dont 800 en Île-de-France. D'autres, comme Heoh en annonce 3000. Des chiffres à relativiser quand l'Hexagone en recense 180 000.