Manon, 23 ans, a été victime d'un agresseur lorsqu'elle travaillait dans la Marine. Elle a dû quitter l'Armée. Son agresseur, lui, en fait toujours partie. Devant la multiplication de témoignages comme celui de Manon, une mission d'inspection sur les violences sexuelles dans l'armée avait été lancée en avril dernier. Un rapport de 154 pages vient d'en sortir.
Un rapport de 154 pages, élaboré en à peine un mois et demi, c'est le fruit de la mission d'inspection sur les violences sexuelles dans l'armée.
Dans ce rapport, les inspecteurs adressent 50 recommandations pour mieux prendre en compte les signalements en interne, accompagner les victimes et prévenir les agissements, dès les écoles militaires.
En mars dernier, nous avions rencontré Manon, victime d'agressions sexuelles. Si, depuis, la jeune Angevine a quitté l'Armée, son agresseur y exerce toujours ses fonctions.
Une soixantaine d'agressions sexuelles en quelques mois
En entrant dans la Marine, Manon pensait avoir trouvé sa vocation. En 2019, elle embarque à Brest comme cuisinière pour des missions quotidiennes. Seule femme à bord, elle y fait la connaissance d'un technicien qui va révéler un comportement malsain jusqu'à devenir son agresseur.
Il collait son sexe contre le mien et touchait les parties qu'il ne faut pas toucher sur une femme.
Manon
"Il avait des gestes déplacés, des mains baladeuses. Ensuite, il m'enfermait dans la cuisine et me posait sur le plan de travail. Il collait son sexe contre le mien et touchait les parties qu'il ne faut pas toucher sur une femme, clairement, relate Manon, il me disait que j'étais sa chose et que je lui appartiendrai toujours".
Traumatisée, Manon garde finalement le silence sur la soixantaine d'agressions sexuelles dont elle est victime durant des mois.
"C'est une façon pour moi de me dire 'non, ça ne m'est pas arrivé' ou 'non, il y a pire' ou "de toute façon ça va s'arrêter puisqu'il va partir avant moi' ou 'on ne va pas me croire', explique Manon.
Cela a recommencé, j'ai dû porter plainte
Manon
"Quand mon affectation s'est arrêtée sur la Telenn Mor, je suis arrivée sur un autre bateau. Il était en face de ma chambre et en pleine mer, il s'est passé ce qui s'est passé. Au bout de deux jours de travail, je m'effondre et mes chefs ne me laissent pas d'autre choix que de porter plainte".
Voir cette publication sur Instagram
Une simple mise à pied de dix jours
L'agresseur ne reçoit qu'une peine de dix jours de mise à pied au sein de la Marine Nationale. La justice quant à elle le condamne à verser 600 euros de dommages et intérêts et à suivre un stage de citoyenneté.
Une sanction incompréhensible pour Manon et son avocat.
"Parce que cette personne a été militaire en exercice, puisqu'il fallait absolument qu'il ait un casier judiciaire avec un bulletin numéro 2 vierge et bien, on a appliqué ce type de sanction et d'orientation procédurale", déplore Me Julien Richou.
"Le problème, c'est que n'importe quelle autre personne qui commettrait ce type d'agression avec ce nombre de faits et sur cette période de prévention ne bénéficierait probablement pas de cette procédure qui est favorable finalement".
Ce cas est malheureusement loin d'être isolé au sein de l'armée, plusieurs fois recadrée par le Défenseur des droits. Depuis 2014 pourtant, le corps militaire s'est doté d'une cellule de lutte contre les violences sexuelles. Pas moins de 220 signalements ont été recensés en 2023 dont un tiers pour des faits de viol.
"Les femmes représentent plus de 20 % des effectifs du ministère, explique Thibault Delaforcade, chef de la cellule Thémis. Elles ont leur place à part entière, il ne saurait être question de tolérer ces agissements-là".
"La cellule Thémis est un outil spécialisé. On profite de la chaîne hiérarchique pour traiter ces dysfonctionnements, ces cas-là, qui sont plus qu'une anomalie, une atteinte à la cohésion du corps, à l'attractivité, à la fidélisation du personnel et, derrière, au recrutement".
Depuis, Manon a quitté l'armée alors qu'elle préparait un concours pour gravir un échelon supérieur.
"Il n'y a pas assez d'encadrements, ce qui fait qu'on ne peut être en confiance et c'est la victime qu'on écarte, pas le coupable. C'est moi qui ai été débarquée du bateau. Lui, il est toujours sur le même bateau. J'ai arrêté ma carrière, pas lui".
La jeune femme se fait aider pour surmonter son stress post-traumatique. À 23 ans, elle veut tourner la page, même si elle garde en elle, une déception amère de son expérience militaire.
"La grille de sanctions militaires et pénales mérite d'être revue"
Laetitia Saint-Paul, députée Renaissance du Maine-et-Loire, elle-même militaire en réserve de l'armée, dénonce cette situation vécue par Manon, avec un agresseur peu sanctionné.
"J'ai vraiment ressenti un sentiment d'impunité concernant cet agresseur. J'ai eu la conviction que la peine n'était pas en proportion des crimes commis, que ce soit en considérant les sanctions militaires que les sanctions pénales. Et je crois réellement que la grille de sanctions militaires et pénales mérite d'être revue".
Laëtitia Saint-Paul s’est engagée depuis plusieurs années dans la lutte contre les violences sexuelles au sein de l’Armée française. Élue en juin 2017, elle a été nommée à la tête d’une mission d’information parlementaire sur ce sujet sensible et crucial pour notre société.
Au cours de sa carrière militaire, Laëtitia Saint-Paul a elle-même pu constater des dérives parfois sexistes ou au moins dans le comportement par rapport aux femmes.
"J'ai souvent entendu l'expression "Pas de vagues". Et ça, ça me scandalise parce que lorsqu'une institution dit "Pas de vagues", ça ne protège pas du tout l'institution. Ça ne protège que les agresseurs qui ont un sentiment d'impunité et des peines très réduites. Ils sont fréquemment mutés, voire, dans certains cas, bénéficient d'une sorte de parachute doré pour se reconvertir dans les meilleures conditions".Il y a une vraie inversion accusatoire et j'ai vraiment senti et rencontré des victimes qui n'ont pas été protégées. Et l'armée se doit d'être exemplaire et j'en attends davantage.
Laëtitia Saint-PaulDéputé Renaissance du Maine-et-Loire et ancienne militaire
La cellule Thémis sous-dimensionnée
La députée a rencontré la ministre Aurore Bergé, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que des personnes du cabinet de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.
Une adresse mail a été mise en place afin de récolter tous les témoignages. La cellule Thémis a été créée il y a 10 ans pour recenser et lutter contre les faits de harcèlement ou de violences sexuelles dans l'armée.
En 2023, 220 signalements pour violences sexuelles ont été effectués, dont 28 viols et 73 agressions sexuelles.Laëtitia Saint-Paul pense cependant que la plateforme Thémis, "qui était nécessaire", est aujourd'hui insuffisante.
"J'imagine qu'elle doit être sous-dimensionnée. Et j'ai découvert que le management toxique n'était même pas pris en compte, alors que dans un système très hiérarchisé, c'est impossible à imaginer que pour une force de près de 300 000 personnes, il n'y a pas de management toxique. Donc, à mal nommer les choses, on ajoute du malheur au monde. Je crois vraiment que, tant la grille de sanctions que cette cellule, méritent d'être repensées au bout de 10 ans d'expérience".
Après une série de témoignages de militaires publiés récemment dans les médias, une mission d'insepction sur les violences sexuelles est lancée en France dans l'armée, annonce ce vendredi 12 avril, Sébastien Lecornu, ministre des Armées. " Nous avons mandaté l'inspection générale des Armées pour qu"elle diligente une mission sur l'ensemble des mesures de prévention, de protection des victimes et de sanctions des agresseurs", écrit le ministre des Armées dans une tribune commune parue dans le quotidien Le Monde, avec la secrétaire d'Etat aux anciens combattants, Patricia Miralles
L'entretien de Laëtitia Saint-Paul avec Virginie Charbonneau
Retrouvez-nous sur nos réseaux sociaux et sur france.tv