La Roya arrivera-t-elle à se relever des ravages de la tempête Alex ? Ses habitants veulent y croire, même si la reconstruction prend beaucoup de temps. Nous sommes allés à la rencontre de plusieurs d'entre eux, à Tende, Saint-Dalmas-de-Tende et La Brigue dans les Alpes-Maritimes.

"Est-ce que vous êtes bien maquillées ? Oui ? Alors, on y va les filles !"

Ce matin de février, Jade, 4 ans, déguisée en coccinelle, et Cléo, une Reine des neiges de 3 ans, ont les yeux qui pétillent et le sourire aux lèvres. Avec leurs cartables multicolores sur le dos, elles marchent vers l'école de La Brigue dans les Alpes-Maritimes, là où les attendent une journée de carnaval et d'anniversaire.

"Pour elles, le quotidien a repris assez tôt. Tout le monde a fait en sorte que l'école rouvre le plus tôt possible après la tempête", explique Mathieu Granella, le papa brigasque.

C'était important que les enfants retrouvent au moins une vie à peu près normale car, au début, ils captaient avec nous tout le stress et l'énervement des adultes.

Mathieu Granella

Après l'effervescence des hélicoptères, des secouristes et des bénévoles post-Alex, la commune de La Brigue, qui a connu peu de dégâts matériels avec la tempête, a retrouvé la quiétude d'un village de l'arrière-pays en hiver, depuis que la Banque alimentaire a fermé.

Aujourd’hui, le quotidien nous fait passer beaucoup de temps les uns avec les autres parce qu’on est toujours enclavé à La Brigue : c’est compliqué pour venir et partir. Descendre pour une journée, on regarde la montre toute la journée !

Mathieu Granella

À la tête d’une entreprise de livraison de boissons, Mathieu Granella tente de sauver l’affaire familiale. Une fois par semaine, il fait le tour des clients qui peuvent rester ouverts, espérant de nouvelles commandes. "Entre Alex et le coronavirus, on a perdu 50% de chiffre d'affaires. Heureusement, ce sont des mois d'habitude assez faibles en activité, donc les aides de l'Etat viennent combler cette perte d'exploitation. Mais jusqu'à quand ?"

Destockage des dons

À Tende, sur le marché, les difficultés du quotidien occupent une partie des discussions. "Je porte le maximum en quad et le reste, je compte sur la belle-mère, le mari, le fils, tout le monde !", détaille cette vendeuse, provoquant le rire de sa cliente.

Un rire, comme le témoin d'une résilience. Dans la vallée de la Roya, malgré le choc et le traumatisme causés par la tempête d'octobre 2020, ils sont nombreux à être restés ici, par choix ou par contrainte. Et à tenter de revivre, de rire, de positiver…

"On est bien, non ? Il y a le soleil, il fait bon, on commence à avoir des marchands, faut pas trop se plaindre !", dit Anna, une habitante originaire de la vallée. "C'est pas facile, mais on tient bon !", poursuit Eric.

"Il manque toujours une épicerie à Tende, c'est difficile. Mais il y a le boucher, le boulanger, le marché le mercredi…"

Dans la vallée de la Roya, c'est un début de retour à la normale. Pendant les semaines qui ont suivi la tempête Alex, une quantité considérable de dons est arrivée dans les communes sinistrées. Après avoir, elle aussi, refermé sa banque alimentaire, la commune de Tende a organisé pendant deux jours une ultime distribution pour liquider les derniers stocks de dons.

"La page n'est pas prête de se tourner. On a énormément souffert", dit Marie-José, une Tendasque venue chercher un peu d'huile, du coton et quelques conserves. "C'est un choc qui va rester !"

Traumatisme

Chez les habitants, la tempête Alex laissera des traces indélébiles dans les mémoires. Un traumatisme qui touche tout le monde et qui se traduit déjà par des craintes. "Elles ont vu des choses anormales", explique Mathieu Granella en parlant de ses deux filles de 4 et 3 ans, "le balais des hélicoptères, la boue, les voitures retournées…" Le retour de l'école a permis à Jade et sa petite sœur Cléo d'en parler avec leurs copains et d'autres adultes. Elles ont compris l'impact que peuvent avoir les éléments.

Aujourd’hui, quand elles voient la rivière, elles nous parlent de tempête. Quand on les amène à Menton, au bord de l'eau, elles ne veulent pas s'approcher. Elles savent les dégâts qui peuvent être causés par l'eau. Et elles en ont peur.

Mathieu Granella

Pour Nancy Desmet, 59 ans, ce choc se traduit par une peur de la foule et un manque d'attention. "Je n'arrive plus à me concentrer pour lire et je ne retiens plus rien. Je pensais avoir déclaré la maladie d'Alzheimer, mais on m'a en fait détecté des symptômes du stress post-traumatique."

Rester ou partir ?

À cette question, la quinquagénaire répond sans détour :

Non, non, je n'y retournerai pas ! J'y ai été 7 ans, mais j'ai pris trop cher !

Nancy Desmet

Comme elle, ils seraient 400 à avoir quitté la vallée après la tempête, selon Jean-Pierre Vassallo, le maire de Tende.

Après plusieurs mois passés à l'hôtel Le Prieuré de Saint-Dalmas-de-Tende, Nancy Desmet a emménagé en janvier dans un 2-pièces meublé à côté de Nice. Loin de la vallée. "Je ne supportais plus d'être à l'hôtel : enfermée dans une chambre, entre 4 murs, ne voir personne, j'étais arrivée à saturation. Ce n'est pas l'hôtel comme quand on est en vacances !"

Sur la côte, elle s'approprie petit à petit son nouveau logement : elle a accroché quelques tableaux sur les murs et envisage de nettoyer et réaménager son balcon avec, pourquoi pas, quelques fleurs. "Ce nouvel appartement, j'ai encore du mal à y croire."

À Tende, Rina et Jean-Jaques Sassi vivaient au bord de la Roya, eux aussi. Leur maison familiale a été fragilisée par la tempête mais pas question pour eux de partir. Un mois après Alex, ils ont trouvé, grâce à la famille, un nouveau logement dans le vieux village. "Ca s'est fait très rapidement pour nous. On a eu beaucoup de chance", se souvient Rina.

Pour aider les sinistrés à se reloger, le Département a pris à sa charge leur loyer pendant un an.

Assurance

Mais le couple aimerait bien retrouver sa maison. "J'ai toujours habité là", explique Jean-Jacques. "C'est la maison de mes grands-parents, de mes parents, et ça sera la maison de mes enfants et petits-enfants... Si on peut la reconstruire, on habitera ici. Pour l'instant, il n'est pas question pour nous de partir !"

Les travaux concernent tout le soubassement de la maison, mais ils tardent à commencer…

La réponse de l'assurance a été relativement rapide. Mais on n'a pas pu faire les travaux à cause des conditions météo : neige, gel… Maintenant, nous voudrions pouvoir faire ces travaux.

Jean-Jacques Sassi

Ensuite, il faudra attendre les nouvelles normes imposées par l'Etat et sans doute des visites d'experts pour avoir le feu vert de réinvestir la maison familiale.

Plainte

À Saint-Dalmas-de-Tende, en contrebas de la RD 6204, François Riberi observe la partie de son terrain qui a été emportée par les eaux. "Les murs sont partis sur la longueur complète de la propriété : 800 m de long. Au total, ce sont 2.500 à 3.000m3 de terre qui sont partis."

Mais problème : l'agriculteur et l'assureur bataillent sur des termes juridiques du contrat. "Je suis assuré pour les murs d'enceinte, mais l'assurance dit que ce ne sont pas des murs d'enceinte. Elle considère que ces murs qui font le tour de la propriété sont des murs de soutènement." François Riberi a décidé de faire appel à un avocat pour porter plainte contre son assureur.

Au total, les assurances chiffrent à plus de 200 millions d'euros le montant total des dégâts de la tempête Alex dans l'ensemble des Alpes-Maritimes.

Roya de demain

"On a fait le choix de venir vivre ici pour la qualité de vie." Comme Mathieu Granella, ils sont nombreux à s'être installés dans la vallée de la Roya par choix. Et à vouloir aussi y rester. Sur les réseaux sociaux, plusieurs émettent des idées pour reconstruire et relancer "leur" vallée.

"On parle beaucoup de faire du tourisme vert dans la Vallée de la Roya", poursuit le Brigasque. "Miser sur l'écologie permettrait de se démarquer des autres. J'ai envie d'être optimiste sur le futur."

Pour cela, il faudra compter sur le retour du Train des Merveilles, dont les travaux de consolidation d'un ouvrage sont toujours en cours du côté de Fontan. Ou espérer que les travaux de la RD 6204 avancent suffisamment vite pour permettre le transit de véhicules en dehors des week-ends.

En attendant, l'office de tourisme Menton Riviera Merveilles planche déjà sur des activités pour "sauver la saison estivale 2021". "Nous travaillons avec les guides locaux pour proposer des randonnées, une via ferrata, des escapades baroques, des balades à la lueur de la bougie...", détaille Marie Garcin-Zaiter, sa directrice générale.

Dans la Roya, à l'exception du musée sur la "Ligne Maginot italienne", le patrimoine touristique a plutôt été épargné par la tempête Alex. À quelques kilomètres de La Brigue, la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines est toujours là. Majestueuse avec ses 220 m² de fresques du XVe siècle dédiées à la Vierge Marie et à Jésus.

On est revenu le lendemain de la tempête avec un fresquiste pour ouvrir la chapelle et vérifier s'il n'y avait pas eu de dégât. À notre soulagement, tout était encore en place, miraculeusement, j'ai envie de dire ! Ca a été un soulagement.

Cyril Darius, guide touristique

Au sol de l'édifice, un parcours de visite a été tracé et le gel hydro-alcoolique est toujours là. Cyril Darius, le guide, attend les visiteurs avec impatience. "On a hâte !"

Aux portes de la Vallée des Merveilles, un autre lieu attend aussi de pouvoir reprendre vie : Casterino.

Par peur des pillages, quelques habitants sont restés dans ce village, toujours coupé du monde.

Des travaux ont commencé pour recréer une piste d'accès depuis Tende.

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