À La Brigue dans les Alpes-Maritimes, une jeune association restaure des restanques laissées à l'abandon depuis plus d'un demi-siècle. Objectif : y replanter des cépages, dont certains sont en voie de disparition.
C'est l'histoire d'une rencontre, durant l'après-tempête Alex, entre des Brigasques de naissance et des néoruraux venus s'installer dans l'arrière-pays quelques mois avant la catastrophe.
Et si on relançait un vignoble à La Brigue (Alpes-Maritimes), au lieu-dit La Ciappea, à l'endroit même où, il y a soixante ans, les Anciens cultivaient leurs propres cépages ?
Pari lancé ! Une association, qui regroupe aujourd'hui une soixantaine d'adhérents, est créée.
Pendant plusieurs siècles, La Brigue avait un énorme vignoble très utilisé par les habitants pour une production locale. Chaque famille avait sa ou ses vignes.
Virgile Ganne, membre du bureau de l’association La Ciappea
Dans les années 1960, ces restanques sont laissées à l'abandon et la culture disparaît complètement.
"Le haut de la vallée de la Roya était italien jusqu'en 1947. Il y a donc eu des changements de population, mais aussi un exode rural", explique Virgile Ganne, un de ces néoruraux à l'origine de l'association La Ciappea. "La Brigue comptait plusieurs milliers d'habitants jusqu'à la fin XIXe siècle (700 aujourd'hui, NDLR)."
Agriculture locale et familiale
Ajouter à cela : un travail d'entretien des terres pénible et une réputation du vin "pas excellente". Doux euphémisme. "Je n'ai toujours pas trouvé quelqu'un qui m'a dit que ce vin était bon !", rigole l'ancien Parisien qui est aujourd'hui professeur des écoles à Breil-sur-Roya.
Robert Alberti, lui, a connu cette période. Sa famille possédait deux vignes. "C'était une belle période, tout le monde participait aux vendanges, parfois à dos d'âne", se souvient le Brigasque.
Un de mes oncles me disait "Viens goûter la piquette !" Il mélangeait le raisin avec un peu de sucre et appelait ça "la piquette". C'était le vin nouveau. Mais j'étais trop jeune pour le goûter.
Robert Alberti, Président de l’association Patrimoine et traditions brigasques
Depuis deux décennies, Robert Alberti imagine faire renaître cette tradition. "Il a fallu la tempête Alex pour qu'on se retrouve tous autour d'un projet résilient et intergénérationnel", poursuit-il. "C'est le plus beau projet de ma vie !"
Crowdfunding
Pour permettre à ce projet de voir le jour, une cagnotte en ligne est ouverte jusqu'au lundi 28 mars. En comptant d'autres aides financières extérieures, l'association a rassemblé les 15.000 euros qu'elle espérait pour acheter les ceps de vigne et tout le matériel nécessaire, et pouvoir aussi compter sur les conseils et l'expertise d'une œnologue de la Chambre d'agriculture du Var.
Pendant plusieurs mois, une quinzaine de membres de La Ciappea a défriché, nettoyé et réparé une quarantaine de restanques.
Grâce à des baux signés avec les propriétaires des terrains pour dix ans, les membres de l'association pourront planter et cultiver des vignes, mais aussi de l'ail ou encore des amandiers.
Conservatoire de cépages
Dans un mois, les premiers pieds de vigne vont être plantés sur ces restanques, situées à 700 mètres d'altitude, exposées plein sud et qui bénéficient tous les jours d'un ensoleillement (contrairement au village de La Brigue).
Des pieds issus d'un don fait par un agriculteur vauclusien au lendemain de la tempête Alex (cépages roussanne et marsanne).
Une partie de ces restanques sera dédiée à un conservatoire de cépages, en lien avec l'Inrae. Objectif : faire pousser une vingtaine de cépages différents (en commençant par ugni blanc, barbaroux rosé, mourvaison noir et brun fourca), afin d'étudier la qualité du vin, le moment de maturation et leur adaptation sur le territoire de la Roya.
Les cépages de 2023 seront particulièrement précieux car commandés spécialement à l’Inrae et issus de leurs stocks de cépages en voie de disparition. Des cépages dont il n'y a plus vraiment d'infos aujourd'hui mais stockés à l'Inrae en chambre froide.
Association La Ciappea
Si tout se passe bien, la première récolte est espérée dans trois ans et la première cuvée, dans quatre ou cinq ans. Reste à savoir si le vin alors produit sera meilleur que son ancêtre.