Épisodes méditerranéens : "Cela va nous arriver dans le futur, et de manière parfaitement imprévisible !", cinq questions à un hydrogéologue

Le dernier épisode méditerranéen, en octobre 2024, a engendré des dégâts considérables sur une grande partie de la Côte d'Azur. Il y a neuf ans, les 26 et 27 octobre 2015, à Cannes, les pluies torrentielles faisaient 20 morts. Retour sur ces épisodes méditerranéens avec Éric Gilli, expert en hydrogéologie.

Les épisodes méditerranéens se succèdent dans le sud-est de la France. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020, la tempête Alex déferlait dans les vallées azuréennes, laissant derrière elle un terrible bilan : 10 morts, 8 disparus, 13 000 sinistrés et 1 milliard d'euros de dégâts. Quatre ans plus tard, la Côte d'Azur vient de vivre un mois d'octobre très pluvieux. 

Après avoir dirigé le centre de recherche sur la géomorphologie du karst à l'université de Provence Marseille 1, Éric Gilli a enseigné de nombreuses années au département de géographie à l’université Paris VIII. C’est en tant qu’hydrogéologue que cet expert a bien voulu répondre aux questions de la rédaction de France 3 Côte d'Azur concernant les épisodes pluvieux qui ont touché notre région depuis le mois de septembre dernier.

France 3 Côte d'Azur : Les derniers épisodes pluvieux sur notre région azuréenne, sont-ils exceptionnels et quel bilan est-il possible d’en tirer ?

Éric Gilli : Certes, les précipitations ont été abondantes. C’est le moins que l’on puisse dire ! En revanche, elles ne sont pas totalement anormales, dans le sens où cela fait partie de ce que l’on appelle les épisodes méditerranéens. Des phénomènes météorologiques que l’on connaît, depuis des siècles, et qui s’expliquent parfaitement du fait de géomorphologie de notre région.

En effet, la proximité de la mer Méditerranée, une mer chaude, avec les Alpes, une chaîne de montagnes qui dégage des températures de plus en plus basses au fur et à mesure de l’approche de l’hiver, provoque de grands épisodes de précipitations.

Pour faire simple, les températures élevées favorisent l’évaporation de l’eau de la mer. Cela entraîne une atmosphère qui se charge en vapeur d’eau. Cela se traduit, concrètement, par la formation de gros nuages. Cette vapeur d’eau, quand elle monte dans l’atmosphère, se refroidit. Lorsque cela se passe près des reliefs, elle monte encore plus rapidement et se refroidit encore plus vite. Par conséquent, vous avez des précipitations abondantes.

En termes de bilan, à ce jour, ce n’est pas pire que la tempête Alex, où il est tombé 500 millimètres de pluie à Saint-Martin-Vésubie en quelques heures. Il faut remonter à 1925 pour retrouver des précipitations extrêmement abondantes. Depuis les dernières pluies, nous sommes dans l’ordre normal des choses dans le temps de la climatologie.

Cette situation va-t-elle s’accentuer à l’avenir ?

Pour être tout à fait honnête et transparent, il est impossible de répondre à une telle question ! Tout le monde a envie que la météo soit réglée comme du papier à musique. Ce n’est pas le cas !

Le climat, c’est quelque chose de variable. Moi, je dirai, que la normalité, c'est que ce soit justement irrégulier !

Eric Gilli, expert en hydrogéologie

France 3 Côte d'Azur

La normalité, pour notre région, c’est soit d’avoir des années pluvieuses ou sèches. Ou encore catastrophiquement sèches ou l’inverse. Ce qui est normal, par exemple pour des Anglais, une petite pluie fine toute l’année, serait parfaitement anormal pour nous Méditerranéens ! Ce qui serait en fait "normal" pour nous, ce serait, en fait, d’avoir des périodes climatiques irrégulières avec de grandes variations ! C’est la nature de notre région !

Il faut bien comprendre, que, depuis près de  20 000 ans, nous sommes dans une période de réchauffement constant, mais irrégulier sur de courtes périodes. À la fin de la dernière glaciation, le Pléistocène, la mer était 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui.

Que se passe-t-il exactement durant ces épisodes méditerranéens ? Sont-ils prévisibles ?

A contrario des phénomènes météorologiques issus des climats de moussons, qui sont parfaitement prévisibles, l’épisode méditerranéen ne l’est pas.

C’est bien ça qui est compliqué et donc de ce fait, c’est plus difficile à prévoir. La seule chose que l’on sait, avec certitude, c’est que cela va nous arriver dans le futur et de manière parfaitement imprévisible !

Un épisode méditerranéen est une espèce de crise météorologique qui correspond aux déplacements de masse d’air chaud et de masse d’air froid qui sont bien plus complexes que sur les régions asiatiques.

Quelles sont les conséquences de ce lent réchauffement climatique pour notre région dans un futur relativement proche ?

Une situation générale paradoxale. Je m’explique.

Sur ces phénomènes d’irrégularités climatiques, il faut bien considérer que nous allons avoir des successions régulières d’épisodes de sécheresse et d’épisodes de fortes pluies.

Eric Gilli

France 3 Côte d'Azur

Un phénomène, peut-être même, un peu accentué du fait de la poursuite du réchauffement climatique, qui semble subir, aujourd’hui, une nette accélération, il est bien difficile de le nier.

Il semblerait donc que les modèles s’acheminent vers une situation totalement paradoxale. Il va faire à la fois plus sec quand il fera chaud et à contrepartie, il y aura donc plus d’eau dans l’atmosphère et donc plus de pluie. Ce qui, au final, devrait se traduire par plus de sécheresse et plus de crues.

Selon vous, y aurait-il une manière de gérer les conséquences de l’évolution du climat ?

J’ai pour habitude de comparer ces épisodes climatiques à la gestion d’un compte en banque. C’est simple à comprendre. Vous avez des rentrées d’argent régulières. Vous avez des sorties d’argents régulières. Et puis, parfois, un événement inattendu, bon ou mauvais. Il faut gérer.

Avec le climat et les épisodes pluvieux, c’est un peu pareil. Il y a des périodes où il y a de l’eau de manière régulière et puis d’autres ou il y en a peu ou pas. Quand il arrive un découvert sur un compte bancaire, c’est la faute à qui alors ? Est-ce dû au fait d’une mauvaise gestion ou dû à un événement imprévisible ? Pour l’eau, c’est exactement la même chose !

Il faut bien se rendre compte qu’il y a une irrégularité de la ressource et qu’il y a des besoins qui ne cessent d’augmenter. Il faut travailler sur tout ça. Réfléchir à gérer et à compenser cette irrégularité. Peut-être freiner un peu les augmentations des besoins. Se poser la question de comment faire face à un afflux touristique l’été…

Si on a des problèmes d’eau, en cas de période de canicule, ce n'est pas forcément lié à un manque de quantité, mais aux difficultés à gérer cette irrégularité.

Eric Gilli

Ou encore, est-il judicieux d’autoriser des permis de construire dans des zones qui sont proches d’une rivière ? Tout en sachant, qu’un jour, il y aura forcément des crues.

Est-il judicieux de construire des barrages ou pas, de construire des bassines ? C’est le genre de questions que l’on peut se poser. Alors évidemment, il n’y a pas de réponse unique, mais des réflexions à mener sur ce que l’on peut faire ou pas, ce que ça coûte, le prix qu’il est possible d’y mettre…

Un questionnement global sur l’avenir de la société qui, à un moment ou à un autre, aura à faire face à ces types de problématiques engendrés par l’évolution du climat.