La vidéo montrant des hommes armés au cœur du quartier des Moulins met en lumière l'intensification du trafic de stupéfiants, sur fond de rivalité entre bandes. Ce mardi 4 avril, le premier adjoint au maire de Nice en appelle à l'armée tandis que quatre individus sont présentés à un juge d'instruction.
Ce mardi au palais de justice de Nice, quatre hommes se succèdent dans le bureau d'un juge d'instruction, en vue de leur mise en examen pour trafic de stupéfiants, participation à un groupement armé en vue de la préparation de délits punis de dix ans d'emprisonnement, détention sans autorisation d'armes de catégorie B.
Le parquet a demandé leur placement en détention. Les décisions devraient intervenir tard dans la soirée...
Il y a tout juste une semaine, deux hommes, dont un mineur, ont déjà été mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de la commission d’un meurtre en bande organisée après 96 heures passées en garde à vue.
Ils étaient ressortis libres du tribunal, sous contrôle judiciaire. Interpellés peu après une série de coups de feu près de la place des Amaryllis, ils n'avaient pas d'arme sur eux.
C'était le 24 mars, le jour même où a été filmée la vidéo diffusée dimanche soir par Eric Ciotti. Depuis qu'elle a été postée sur le compte Twitter du député des Alpes-Maritimes et président des Républicains, la scène a déjà été visionnée plus d'un million de fois !
Arme type "Kalachnikov" et pistolet
On y voit un groupe d'individus aux vêtements sombres, le visage masqué par des cagoules et des capuches. L'un d'eux tient en mains une arme ressemblant à une kalachnikov, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agit d'un véritable AK47 ou d'une réplique "air soft", un second marche avec un pistolet au poing.
L'enquête est en cours. Des douilles de 9 mm ont été retrouvées dans le quartier. Elles sont entre les mains des experts de la police technique et scientifique, chargée de déterminer notamment si elles ont été tirées par une arme déjà utilisée lors d'un crime ou délit.
Elles pourraient correspondre aux coups de feu tirés le 18 mars "sur un point de deal". Suite à ces faits, un individu a déjà été mis en examen pour tentative de meurtre. Il est actuellement en détention provisoire.
"Ça tire tous les jours, ça devient Chicago !"
Rien que la semaine dernière, la police a ainsi interpellé neuf personnes et saisi quatre armes, 2,2 kilos de cocaïne, 5 kilos de résine de cannabis et dix kilos d'herbe, indique la préfecture des Alpes-Maritimes. Plusieurs enquêtes sont en cours, suite notamment aux tirs commis les 18 et 24 mars. Dans le quartier, on affirme pourtant que, depuis plusieurs semaines, "ça tire tous les jours, ça devient Chicago !"
Comme le préfet, le directeur départemental de la sécurité publique - le patron de la police dans les Alpes-Maritimes - n'hésite plus à qualifier de "guerre des territoires" :
Il y a une certaine velléité de certains de reprendre des points de deals. Donc on assiste à une guerre de territoire actuellement sur les Moulins, c’est certain.
Frédéric Pizzini, directeur départemental de la sécurité publique dans les Alpes-Maritimes
Les Moulins seraient en proie à un affrontement entre deux bandes de trafiquants. Des Tchétchènes tenteraient de récupérer le juteux business de la drogue dans le quartier. Face à eux, les trafiquants déjà implantés dans le quartier auraient cherché du renfort en hommes et en armes à Marseille et Paris. Ils auraient également "armé des clandestins".
Avéré, le recours des trafiquants à des personnes sans papiers est une nouveauté, reconnait le préfet. "C'est un phénomène qui se développe. On avait jusque-là les jeunes du quartier qui étaient utilisés et là, sur les Moulins notamment, on a une utilisation d'étrangers en situation irrégulière".
Un sans papiers retrouvé mort après une course-poursuite
Ces "petites mains" seraient logées et rémunérées par les trafiquants, qui iraient parfois les chercher directement en Italie. En juin dernier, suite à un refus d'obtempérer à Sospel (près de Menton), la police avait ainsi ouvert le feu sur une fourgonnette transportant sept personnes. Le véhicule avait été retrouvé abandonné aux Moulins, avec à son bord un Égyptien de 35 ans, sans papiers, mortellement blessé.
Pour Anthony Borré, le premier adjoint au maire de Nice, en charge notamment des questions de sécurité, on assiste à "un changement de gouvernance dans le trafic de stupéfiants" : "il y avait jusqu'à présent des petits dealers de quartiers que je n'hésitais pas à expulser en tant que président de Côte d'Azur Habitat (l'office HLM de la Métropole niçois) ; aujourd'hui nous avons des individus venus de l'extérieur et qui sont souvent des clandestins exploités par des réseaux marseillais. C'est à l'Etat de prendre ses responsabilités".
Si nous ne mettons pas des moyens conséquents sur le quartier des Moulins nous auront encore de graves problèmes dans les semaines et les mois qui viennent
Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice en charge de la sécurité
Ce mardi, il en appelle même au renfort de l'armée. Dans la matinale de BFM Nice Côte d'Azur il réclame au ministre de l'Intérieur de "mettre de manière temporaire la force Sentinelle, c'est-à-dire nos forces armées pour pouvoir apaiser les choses, veiller aux allées et venues..."
"On fait tout pour éviter une escalade"
Le préfet des Alpes-Maritimes affirme agir au quotidien pour lutter contre cette "guerre des territoires" qui "inquiète légitimement les habitants". Il a organisé le 30 mars une réunion publique avec le maire de Nice, Christian Estrosi (Horizons), et le procureur de la République. Devant près de 300 personnes, le représentant de l'État a affirmé "la détermination à lutter contre les trafics".
On fait tout pour éviter une escalade. À partir du moment où il y a exhibition d’armes et des tirs, on sait très bien que cela ne peut que susciter des répliques des clans rivaux. Il faut absolument tout faire pour neutraliser ceux qui sont prêts à s’engager dans te telles actions.
Bernard Gonzalez, préfet des Alpes-Maritimes3 avril 2023.
Selon le préfet, 187 trafiquants ont été mis en cause depuis le début de l'année (+13 %) au cours de 127 opérations de police (+57 %). Derrière ces chiffres encourageants, la réalité préoccupe de plus en plus. Le préfet des Alpes-Maritimes évoque le risque d'une "dérive à la Marseillaise" qu'il veut absolument éviter, alors qu'on dénombre déjà treize morts par arme à feu à Marseille depuis le début de l’année sur fond de guerre des stupéfiants.
Nice est pour l'instant relativement épargnée par ce type de criminalité. Selon la préfecture des Alpes-Maritimes, "le dernier règlement de comptes remonte à plus d'un an". C'était la nuit de Noël 2021 dans le quartier de Las Planas, à Nice nord. En août dernier pourtant, un jeune homme de 20 ans avait été abattu aux Moulins. Dans le quartier, on redoute que le sang coule à nouveau.