Le procès en appel des deux accusés dans le procès de l'attentat de Nice entame sa quatrième semaine. Les témoignages des parties civiles se poursuivent. Des familles continuent de pointer les défaillances des institutions quant à la conservation et la restitution des restes de certaines victimes décédées le 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais.
Depuis deux semaines, les accusés du procès en appel de l'attentat de Nice se sont effacés au profit des victimes. Dans le box, Chokri Chafroud et Mohamed Ghraieb écoutent attentivement les témoignages de ceux qui ont été frappés par le camion de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel sur la promenade des Anglais ce soir de feu d'artifice. Depuis deux semaines, les parties civiles racontent la fête avortée, les corps morcelés, leurs vies et leurs familles brisées.
"Le 14 juillet 2016, j'ai perdu six membres de ma famille. (...) On est parti à sept, je suis revenu seul, sans aucune égratignure," assène Christophe Lyon, en arrêt de travail depuis le procès en première instance en 2022. D'une voix déchirée par l'émotion, le grand gaillard à l'accent méditerranéen présente à la cour, ce 15 mai, sa femme Véronique, son beau-fils Mickaël, ses parents et ses beaux-parents en faisant défiler leurs portraits.
"Ces photos, elles représentent ma famille, que j'ai perdue. Je termine par cette photo, tous ensemble le 14 juillet, glisse-t-il, montrant une photo de groupe autour d'une table sous le soleil. Ils étaient descendus nous voir, on a passé le début de soirée sur Gattières, puis Nice." Ce soir-là, le quinquagénaire marchait sur la promenade des Anglais, à gauche du groupe familial. Il ne doit son salut qu'à un simple regard en arrière, au moment où le camion arrivait. "Il a pris tout le monde," sanglote Christophe.
Des "gens en morceaux"
Puis c'est le tunnel. En état de choc, les survivants racontent leurs décisions incompréhensibles, sur une promenade des Anglais comble de corps et de silences. Il y a Mediboye qui, après avoir sauté sur la plage au passage du poids lourd, est remonté sur l'avenue "pour aider" malgré les supplications de sa compagne de l'époque.
"C'était l'horreur absolue. On retournait les gens. Ils étaient parfois en morceaux, relate celui qui n'a pas témoigné en première instance. On vérifiait s'ils respiraient encore. Si c'était le cas, on les évacuait vers le Palais Méditerranée. Ceux qui ne respiraient plus, on les recouvrait." Il y a aussi Didier qui est parti à la recherche de son beau-père en cheminant parmi toutes les bâches mortuaires qu'il croisait. "J'en ai soulevé quelques-unes. Je ne me rendais pas compte de ce que je voyais," glisse-t-il, encore médusé par son geste.
Le prélèvement d'organes, "une profanation"
Certains survivants restent hantés, six mois après le mea-culpa du parquet national antiterroriste (PNAT), par le traitement des organes de leurs proches et leur restitution. "Cela doit être dit à voix haute au moins une fois dans cette audience. Dans ces seaux d'organes, dans cette mélasse, on ne pouvait même plus différencier un rein d'un cœur," raconte Célia Viale, coprésidente de l’association Promenade des Anges, qui a perdu sa mère. Christophe Lyon, lui, a récupéré les organes identifiés comme appartenant à son père plus de sept ans après le drame.
Aujourd'hui au Palais de Justice de Paris, j'ai rendu hommage à ma fille Amie. Elle avait 12 ans et avançait joyeusement dans la vie avec des projets. Un terroriste en a décidé autrement. Mais elle continue de nous éclairer. L'amour survit. 💕 #14juillet2016 pic.twitter.com/QyvSuvPRKb
— Anne Gourvès (@Anne_GOURVES) May 14, 2024
Anne Gourvès a perdu sa fille Amie, 12 ans. Elle décrit les prélèvements d'organes de sa fille comme "une profanation". "Ils ont été déposés dans un seau en plastique blanc. La banalité du mal qui tient dans les propos d'un médecin légiste. Pourquoi personne n'en a pris soin, au point que l'ADN n'ait pu être extrait ? C'est un nouveau coup de poignard... Comment annoncer ça à ma mère de 81 ans, qui attend d'inhumer une deuxième fois sa petite-fille ?"
À défaut d'obtenir une identification formelle par l'ADN, la maman entend récupérer ces restes humains. Ce qui, à l'heure qu'il est, n'est toujours pas le cas. "Le mieux que je puisse faire, c'est de les porter en terre. Je vais en prendre soin, comme personne ne l'a fait depuis sept ans et demi," tonne-t-elle. Comme elle, beaucoup de survivants demandent une amélioration des protocoles d'identification, de conservation et de restitution des corps.
Ils n'appartiennent peut-être plus à ma fille Amie, mais ce sont les organes vitaux d'un être humain qui ne méritait pas de finir comme ça. Nous allons les inhumer dans un petit cercueil qui reposera au cimetière. Et ensuite, j'irai fleurir cette tombe.
Anne Gourvèsvictime de l'attentat de Nice et maman d'Amie
Face à la gronde, le PNAT - par la voix de l'avocate générale Alexia Dubourg - et l'ex-procureur de Paris François Molins, avaient reconnu des défaillances sur le plan de la médecine légale en première instance. Reconnu également que la restitution des organes concourait au deuil des proches et à la mémoire des victimes.
"Une chose est remarquable et on ne la traduit jamais : dans la Bible, l'annonce est faite que celui qui était mort s'est relevé, glisse le frère Yves-Marie Loquin, aumônier catholique dépêché sur place le 14 juillet 2016, en conclusion de son témoignage ce 15 mai. Mais il est plutôt écrit qu'« on l'a relevé ». On ne se relève pas seul. La mémoire, les monuments, c'est une façon de relever toutes ces personnes."