A l'issue du premier tour des élections législatives dans les Alpes-Maritimes, l'indicateur du vote abstentionniste bat une nouvelle fois des records. Un phénomène imputable à plusieurs facteurs qu'interprète la professeure des universités en science politique, Christine Pina.
C'est un fait, plus de la moitié des électeurs ne sont pas allés voter pour le scrutin du premier tour des élections législatives, dans le Var comme dans les Alpes-Maritimes.
Un record est même tombé dans les le département maralpin. Jamais il n'avait affiché une telle abstention lors d'un scrutin législatif.
Ils sont 54,8% des inscrits à ne pas s'être rendus aux urnes pour ce premier tour, ce dimanche 12 juin.
Même au niveau régional, l'abstention dépasse les 54 points, au-delà du chiffre national.
Dans le Var, même tonalité, mais quelques dissonances : l'abstention s'établit à 53,73% pour ce premier tour, soit 4 dixièmes de moins qu'en 2017 et signe un très léger recul.
Christine Pina, professeure des universités en science politique au campus de droit de Nice, s'attendait à un tel chiffre, elle craignait même de voir l'abstention bien plus élevée ce dimanche 12 juin.
"J’ai été surprise car je l’attendais plus haut, parce que maintenant, depuis quelques années, on a des taux d’abstention qui sont relativement élevées pour les élections législatives qui sont considérées comme les 3 et 4e tours de l’élection présidentielle. On a quand même un phénomène de désinvestissement des électeurs et électrices. Si l’on regarde un peu le trend depuis des années (la tendance, ndlr), on pouvait se dire que l’on aurait des taux d’abstention un peu plus élevé que ceux que l’on a pu observer."
La faute à la présidentielle ?
Le rôle du scrutin présidentiel est jugé également incontournable par l'universitaire niçoise : "j’aime bien régulièrement citer mon collègue Patrick Lehingue qui dit la chose suivante 'et pourtant, ils votent'. Pourquoi ? Simplement car les élections législatives sont un peu vidées de leurs substances par les acteurs politiques eux-mêmes en disant 'tout a été fait pour l’élection présidentielle, donc les élections législatives sont des élections confirmatoires'.
Christine Pina confirme que "finalement, l’élection présidentielle a soulevé plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Très souvent, avec l’élection présidentielle qui est l’élection centrale de la Ve République, on a le sentiment qu’elle apporte une solution en désignant un chef de l’Etat, moi j’ai le sentiment qu’elle a plus soulevé de questions en termes d’incarnation du pouvoir, de perspectives politiques de l’avenir, qu’elle n’a apporté de réponses. Cela explique que l’on a une abstention aussi élevée, mais pas aussi élevée qu’on aurait pu l’imaginer il y a encore quelques semaines."
Multipliée par trois en 64 ans
Lorsque l'on regarde les courbes nationales et locales, on constate que le phénomène est loin d'être récent et qu'il s'amplifie au gré des élections.
Lors des premières législatives de la Ve République, en 1958, les abstentionnistes étaient déjà présents.
Si l'on prend l'exemple de la première circonscription niçoise, ils étaient déjà 19,61% d'abstentionnistes pour ce même premier tour des législatives, en 1958, année de la création de la Ve République. Au second tour, cette même année, la circonscription du centre-ville niçois atteignait 23,13%.
Lors des législatives suivantes, en 1962, elle atteint même 30,4% des inscrits au premier tour. C'est en 1997 que le cap des 50% est dépassé. Il culmine à ces hauteurs depuis.
Mais Christine Pina tempère l'interprétation historique de cette courbe : "je pense que c’est très compliqué de comparer ce qui se faisait au début de la Ve République et aujourd’hui, moi je ne le fais jamais. Au début de la Ve République, d’abord, on n’avait pas l’élection présidentielle au suffrage universel direct, il faudra atteindre 1965 pour que ce soit le cas, et il va falloir attendre encore plus longtemps pour que les acteurs politiques se rendent compte que l’élection présidentielle est l’élection centrale de la Ve République. Le gros basculement se situe au milieu des années 1970, quand on commence à rentrer dans la compréhension que l’élection présidentielle, c’est l’élection centrale de la Ve République."
L'héritage de la IVe République et de sa prédominance parlementaire sont encore dans toutes les têtes à cette époque. "Cela peut s’expliquer aussi par le fait que les hommes et les femmes politiques au début de la Ve République, sont encore fortement marquées par les pratiques et les routines politiques de la IVe République. C’est l’importance de l’Assemblée nationale, du parlement. Il faut du temps pour que les acteurs politiques investissent cette élection présidentielle et, petit à petit, se rendent compte aussi que les élections législatives ne sont peut-être plus aussi centrales qu’elles ne l’étaient précédemment."
Calendrier, représentation et quinquennat
"A mon sens, il y a aussi un deuxième phénomène qui a lieu en 2000, avec non seulement le passage du septennat au quinquennat, et le fait que l’on a une inversion du calendrier et que l’élection présidentielle précède systématiquement l’élection législative" analyse Christine Pina.
"De fait, cela va vider les élections législatives puisque le président de la République qui est élu va considérer que les Françaises et les Français doivent lui donner la majorité pour les élections législatives. D’où le fait, par exemple, que toute la stratégie d’Emmanuel Macron au sortir de l’élection présidentielle de 2022 a été d‘expliquer qu’il aurait la majorité, a aussi vidé la campagne des législatives. Il a fonctionné comme s’il y avait cette évidence qu’il aurait une majorité à l’Assemblée nationale" poursuit l'universitaire et membre du laboratoire de recherche ERMES.
Représentation et crise civique
Certains candidats azuréens, évoquent le bout du "système parlementaire actuel" et le besoin d'une proportionnelle pour accéder aux bancs de l'Assemblée, et coller au mieux à l'influence de la présidentielle sur le vote des législatives, comme l'explique Benoit Kandel, l'un des candidats maralpins pour le Rassemblement national (17,17% dans la 3e circonscription) :
Ces facteurs multiples de désaffection se retrouvent aussi dans les réactions des personnalités politiques azuréennes. Pour le président de l'Association des maires de France, et premier édile cannois, David Lisnard LR, c'est une véritable crise civique que traverse le pays.
Véritable enjeu politique du mois de juin
Christine Pina reste indécise sur l'évolution de l'abstention. Des solutions existeraient pour obliger au vote, mais le salut de la vie démocratique passera avant tout par les acteurs politiques.
"Est-ce que cela va continuer comme ça ? Est-ce qu’à l’avenir, on va avoir des taux d’abstention de plus en plus importants aux élections législatives ? Je ne sais pas, mais en quelque sorte, cela est dans les mains des acteurs politiques eux-mêmes, s’ils ont envie de redonner du pouvoir à l’Assemblée nationale, il va falloir qu’ils fassent des campagnes pour les élections législatives qui soient des campagnes très actives." détaille Christine Pina.
On voit bien que ça a eu des effets, pour l’exemple de la NUPES, pour le coup elle a parfaitement compris de mener campagne pour ces élections législatives et en quelque sorte, ils ont obtenu les résultats qui étaient à la hauteur de leurs investissements. Ils les ont construites comme un véritable enjeu politique pour le mois de juin. On peut penser qu’ils ont eu effet assez important sur la mobilisation qui, encore une fois, n’est pas si faible que ça.
Christine Pina, professeure en science politique
Transformer l'essai
"L’activité politique est portée à mon avis par ceux qui ont intérêt à pénétrer l’Assemblée nationale, à transformer en quelques sortes les résultats obtenus à l’élection présidentielle. Evidemment, ceux qui sont particulièrement intéressés à cette élection législative, c’est non seulement la NUPES, et le Rassemblement national, et Reconquête, qui, vous le savez, a fait en sorte d’être très présent dans le Var." interprète Christine Pina.
"Ce phénomène de conflictualité très important entre le Rassemblement national et Reconquête, et puis avec l’intérêt de la NUPES, on peut faire l’hypothèse que ça a eu un impact sur la campagne et sur la mobilisation des électeurs et électrices" souligne-t-elle.
Quelles solutions pour lutter contre l'abstention ?
Pour la professeure d'université qui exerce au campus Trotabas de Nice : "il y a deux manières de réfléchir. Soit on réfléchit en terme de solution institutionnelle, et c’est très souvent ce que l’on fait en France, on se dit ‘face à un problème, on va changer les institutions, on va changer le mode de scrutin, etc’. Ca, c’est une première réponse mais on se rend compte que les effets ne sont pas forcément immédiats, et ne sont pas non plus faciles à évaluer. Une autre manière de réfléchir, c’est aussi de renvoyer la responsabilité auprès des acteurs politiques eux-mêmes, ceux qui briguent les mandats et de dire ‘comment faites-vous pour mobiliser les électeurs et les électrices ?’ car on a trop souvent tendance à leur renvoyer la faute de l’abstention."
Pour cette spécialiste de la politique, "il ne s’agit pas de dire qu’ils sont coupables les acteurs politiques, mais il s’agit de leur dire ‘que faites-vous, vous aussi, pour intéresser les électeurs et électrices, que faites-vous et comment rendez-vous urgente la démocratie en France ?"
"Une partie de la solution tient bien évidemment dans le comportement des électeurs eux-mêmes, mais elle tient aussi à l’offre politique et à la manière dont on tient un discours pour les inciter à voter de manière régulière" insiste Christine Pina.
Les changements d’étiquette, de l’élection présidentielle aux élections législatives, [contribue] au phénomène de brouillage politique. Et quand vous avez face à vous, non pas 4 ou 5 candidats, mais une dizaine, cela peut avoir aussi des effets de désespérance démocratique.
Christine Pina, professeure en science politique
Le phénomène de reconnaissance, d’avoir des candidats de proximité, reconnus et reconnaissables, est aussi un incontournable pour avoir une adhésion et une participation fortes au scrutin local.
Un certain sens de la logique que des formations politiques semblent avoir oublié.