Les étudiants infirmiers se mobilisent ce vendredi 12 mai, journée internationale de leur profession. De plus en plus nombreux à abandonner leurs études, ils veulent montrer leur colère au gouvernement pour faire changer leurs conditions de formation.
Une désillusion. Chaque année, les étudiants infirmiers sont de plus en plus nombreux à rendre leurs blouses avant la fin de leurs études. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress), le taux d'abandon s'élève à 14% et s'effectuent majoritairement en première année de formation.
Des chiffres alarmants, qui n'ont jamais été aussi importants, en 2021 les étudiants infirmiers étaient trois fois plus nombreux à baisser les bras en première année par rapport à 2011.
Anabelle, 19 ans, fait partie de ceux qui ont été "dégoûtés " par la profession. À contre cœur, elle a décidé de tout arrêter au début de sa deuxième année à l'IFSI - Institut de formation en soins infirmiers de Nice, au tout début de l'année 2023. Des études intenses et "difficiles", elle précise : "ce sont des semaines de 35 heures, soit de théorie, soit de pratique, c'est un rythme compliqué à tenir".
Un climat "anxiogène"
La cadence condensée de la formation n'est pas la seule raison de ces abandons, les problématiques sont en réalité multiples. Thomas Barre, membre de la Fédération Nationale des Étudiants en Sciences Infirmières (FNESI) et étudiant infirmier en troisième année à l'IFSI de Nice pointe en premier lieu les stages.
"Comment apprendre dans de bonnes conditions quand les tuteurs de stage sont en sous-effectif, débordés et qu'ils doivent s'occuper de six étudiants en même temps ?" questionne-t-il. Il dépeint un climat "anxiogène" avec de nombreuses tensions, du harcèlement et parfois même des abus sexuels ainsi qu'une pression psychologique pour les apprentis infirmiers.
"On doit parfois remplacer du personnel manquant alors qu'on est là pour apprendre"
Thomas Barre, étudiant infirmier en troisième année.
"J'allais en stage la boule au ventre"
À chaque retour de stage, l'étudiant constate une répercussion : un à deux étudiants décident d'arrêter. "Depuis que j'ai commencé ces études, une vingtaine de personnes sont parties. Rien que la semaine dernière on nous a annoncé le départ d'une étudiante", atteste-t-il.
Anabelle garde aussi en mémoire son dernier stage, "la goutte de trop", qui l'a poussée à définitivement couper court avec ce métier qu'elle rêvait pourtant d'exercer. "J'allais en stage la boule au ventre, je pleurais. J'avais la sensation de ne rien apprendre, car aucun infirmier n'avait du temps à m'accorder. Elle ajoute : et à côté de ça, j'avais des responsabilités, alors que je n'étais qu'en deuxième année et des patients à charge."
Des indemnités minimes
Les problématiques financières s'ajoutent aussi au manque d'effectif pour l'encadrement. "On nous demande de remplacer des infirmiers, de faire des choses qu'on ne sait parfois pas faire pour combler les manques et tout ça pour un peu plus d'un euro de l'heure, c'est intolérable", dénonce Thomas Barre.
Pour boucler ses fins de mois, comme de nombreux étudiants de sa promotion à l'époque, Anabelle est obligée de travailler pour financer son loyer.
"Je travaillais dans la restauration le week-end après mes semaines de 35 heures, j'étais dans un état de fatigue extrême. Et j'avais aussi la pression des cours et des partiels", se souvient-elle.
"C'est pas un stage d'observation, on bosse, on bosse même beaucoup comme de vrais professionnels"
Anabelle, ancienne élève infirmière.
Aujourd'hui, comme de nombreux étudiants infirmiers, la jeune femme ne comprend pas le manque de reconnaissance et les indemnités de stages qui ne sont pas les mêmes que celles d'autres formations.
"Je ne suis pas un cas isolé, on vit tous ça"
Lorsqu'elle est arrivée à l'IFSI de Nice, les anciens avait prévenu la promo d'Anabelle : des stages se passeront mal et ce sera dur. Le décor est planté. "Je sais que je ne suis pas un cas isolé, c'est pareil pour tout le monde, atteste la jeune femme. La situation est banalisée alors que ce n'est pas normal."
Aux racines du problème, Thomas Barre aussi vice-président en charge des perspectives professionnelles au FNESI relève plusieurs points : une mauvaise orientation et un système de santé à bout de souffle. Il constate aussi beaucoup d'abandons en première année, "car les étudiants ne savent pas forcément ce que c'est concrètement le métier d'infirmier et en quoi il consiste, il y a un gros travail à faire sur ça".
Quand il a effectué son premier stage, il a aussi pris conscience de "l'état catastrophique" des hôpitaux. "Quand on met les pieds dedans, pour de vrai, on se dit : on en est là..."
Actions et revendications
La Fédération Nationale des Etudiants en Sciences Infirmières (FNESI), revendique la revalorisation d'un statut de tuteur pour les stages et un meilleur accompagnement des étudiants infirmiers.
L'augmentation des indemnités est aussi mise en avant par la fédération.
Des actions vont être menées dans toute la France par les étudiants infirmiers ce vendredi 12 mai pour montrer leur colère au gouvernement et faire changer leurs conditions de formation.
À Nice, à l'IFSI, les première et deuxième année se rassembleront, et prendront une photo, tous vêtus de noir pour " faire le deuil de leur formation".