De la bière sans alcool, nous connaissons tous. Mais pour le vin qu'en est-il ? Et le rhum ? Le champagne ? La tendance du "sans alcool" se développe de plus en plus en France, y compris pendant les fêtes de Noël. Cette alternative moins calorique interroge le risque d'addiction.
“On voit un engouement pour le sans-alcool qui va très vite en quelques semaines”. Ségolène est gérante de La Cave Parallèle à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), une boutique entièrement consacrée à la vente de boissons sans-alcool ou désalcoolisées (sans éthanol). L'établissement a ouvert ses portes il y a peine trois mois et il trouve déjà ses clients.
“En moyenne, on a entre 20 et 40 clients par jour”, renchérit la responsable. Au V and B situé à Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône), “d’un rayon d’un mètre réservé aux produits sans alcools, on prévoit de passer à deux l’année prochaine”, explique Laurent, le responsable du magasin, qui fait également bar. Il y a deux ans, il a pris la décision d’installer un corner sans-alcool et de mener des opérations commerciales dans ce sens au moment du dry january.
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On avait déjà des clients qui venaient pour ce genre de produits. Maintenant, on cherche à augmenter le nombre de gammes, à diversifier nos produits, surtout que la plupart des marques de bières par exemple ont leurs versions sans alcool
LaurentResponsable du V and B à Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône)
Selon une étude publiée par Santé publique France en janvier 2023, les Français ont drastiquement réduit leur consommation d’alcool ces trente dernières années. La part des adultes déclarant boire de l’alcool tous les jours a été divisée par trois. Cette évolution concerne indifféremment les hommes et les femmes.
"Ce ne sont pas que les femmes enceintes"
Une hétérogénéité que Ségolène et Laurent retrouvent chez leurs clients. “Ce ne sont pas que des femmes enceintes, des malades ou des anciens alcooliques”, souligne Ségolène. Des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes... il y a de tout, de 25 à 80 ans.
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“Ce matin par exemple, j’ai eu une personne de 45 ans qui est venue s’acheter quelque chose car elle a décidé de ne plus boire”, explique la gérante, qui a ouvert sa boutique après avoir expérimenté un mois sans alcool. “J’ai un jeune papa qui passait tous les jours devant ma boutique, se disait que j’étais complètement tarée, et qui finalement, après avoir goûté une des bouteilles de sa femme enceinte, a décidé d’entrer dans la boutique”, ajoute-t-elle.
Seules les personnes de plus de 70 ans restent récalcitrantes à l’arrivée de ces nouveaux produits, après plus de 50 ans à boire du vin alcoolisé.
Une alternative plus saine et presque identique
“Il y a quand même tous les codes du vin, le côté âpre en bouche, on retrouve également les tanins, les odeurs”, explique Ségolène. Seule différence : la longueur en bouche. “On peut même ressentir un peu plus les saveurs du fruit”, ajoute la responsable. Enlever l'alcool revient à enlever l’élément qui permet de faire durer l’arôme dans le temps. Quant aux bières, vous prenez les bières IPA craft artisanales. Elles sont quand même très ressemblantes”, ajoute Laurent, qui a déjà testé la bière sans alcool.
“Et puis, c’est beaucoup moins calorique. Un vin rouge classique, c’est entre 80 et 100 calories, tandis que là c’est entre 9 et 10 calories”, explique Ségolène. Le tout, sans la pression du groupe ! “L’apéro est hyper facile et il est tout le temps à l’alcool. C’était inimaginable de faire un repas sans alcool il y a plusieurs années. Aujourd’hui, on peut proposer des alternatives”, ajoute la gérante.
Dans sa boutique, Ségolène propose toutes sortes de bières, de spiritueux et de pétillants sans alcool. On retrouve également des vins désalcoolisés. À la différence des premiers qui sont travaillés et distillés directement sans l’alcool, les vins eux sont évaporés à basse température afin de récupérer les arômes à réintégrer. “Il faut boire le vin en ayant conscience que l’on boit quelque chose de différent”, explique la gérante, qui fait goûter ses clients avant d’acheter.
"Ça entretient le désir"
Elle cherche aujourd’hui à convaincre un public plus jeune, de moins de 25 ans. Le problème pour Nicolas Simon, addictologue au centre antipoison de Marseille, c’est que l’ “on peut se demander si ce n’est pas un moyen d’initier les plus jeunes à un usage qui se convertirait étant adulte en alcool”. À l’image de la puff, consommer de la bière sans alcool serait une manière soft d’expérimenter la boisson, d’intégrer des gestes à reproduire plus tard, avec de l’alcool.
Sauf que "ce qui pose problème avec l'addiction à l'alcool, c’est l’âge de la première rencontre. Plus tôt on va démarrer, plus le risque va être important", ajoute Pierre Cano, addictologue à l'Association Addictions France.
Et si on parle des gens qui ont un problème d’alcool, le fait d’entretenir le geste n’aide pas à passer à autre chose. Ça entretient le désir et quelque part la personne n’arrive pas à passer à autre chose. Ça retarde le moment de la chute !
Nicolas SimonAddictologue au centre antipoison de Marseille
Ségolène en a conscience. Elle se souvient d’un client qui ne souhaitait pas goûter ses produits, de peur de retomber dans ses travers. C’est pourquoi la gérante les informe que certaines de ses boissons peuvent contenir de l'alcool, à des taux inférieurs à 0.8 %. Jusqu’à 1.2 %, l’effet d’ébriété ne peut pas être ressenti.
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En France, 5 millions de personnes ont une consommation excessive d’alcool et/ou des difficultés psychologiques, médicales ou sociales en relation avec l’alcool. Avec 40 000 à 50 000 décès par an, c’est la 3ème cause de mortalité en France.
Les spécialistes invitent les consommateurs à faire attention à leur consommation de bières, vins, spiritueux et pétillants, avec ou sans alcool. "Ces boissons sans alcool ne sont pas une mauvaise idée. Mais il faut avant tout s'interroger sur notre rapport au produit", conclut Pierre Cano.