Agressions au GHB : avec le collectif Collages féministes Marseille, les victimes témoignent

Malaises, pertes de souvenirs et parfois, abus sexuels : dans toute la France, les victimes droguées au GHB prennent la parole. À Marseille, un collectif féministe a recueilli des dizaines de témoignages sur Instagram. Ils seront bientôt rendus publics pour alerter les bars et les pouvoirs publics.

J’ai été droguée dans un bar à Marseille. Je n’ai jamais été dans cet état-là de ma vie”. Depuis une semaine, Angie et Jill récoltent des témoignages de victimes droguées au GHB et au GBL à travers le compte Instagram Collages féministes Marseille.

Ce collectif féministe intersectionnel colle des messages sur les murs de la ville pour dénoncer “le sexisme, les violences sexuelles mais aussi le racisme ou encore les LGBTphobies”, selon Jill et Angie. Aujourd’hui, collages féministes Marseille souhaite interpeller les bars et les services publics sur le problème des personnes droguées au GHB en soirée. 

Surnommé “drogue du violeur”, ce psychotrope incolore, inodore et indétectable au goût est versé dans le verre des victimes afin de leur faire perdre connaissance et d'abuser d’elles. Dans le sillage du mouvement #Balancetonbar qui prend de l’ampleur en Belgique, la parole des victimes se libère peu à peu sur les réseaux sociaux en France. Les militantes de Collages féministes Marseille dévoileront les témoignages reçus dans quelques jours. Elles en sont déjà à une trentaine.Leur objectif : “alerter les pouvoirs publics et exercer une pression économique sur les bars en leur disant “si vous ne nous protégez pas, on arrête de sortir”. Ça ne doit plus être aux victimes de faire attention”. 

Des témoignages glaçants

Selon les membres de Collages féministes Marseille, toutes les victimes rapportent des histoires similaires : après avoir bu un verre dans un bar, elles ont fait un “blackout”, soit un trou noir en français, et ne se souviennent plus de rien. 

Avec une amie on a bu des verres laissés sur une table, on n’avait rien bu avant, et là gros trou noir. Je me revois vomir, puis me réveiller quatre heures plus tard dehors, allongée par terre, entourée de mes potes qui avaient veillé sur moi, heureusement, raconte une victime. Quatre ans plus tard j’en reparle à une fille de ma promo qui me raconte qu’à cette soirée, un mec avait ramené du GHB dans l’espoir de “séduire” - ce sont ses mots – la meuf qu’il convoitait, sauf qu’il en a mis partout”, poursuit-elle.  

D'autres témoignages incriminent le personnel des bars : “un serveur nous a fait deux cocktails différents à mon amie et moi. Je n’ai même pas réussi à le finir. Je me rappelle juste que le serveur a mis un temps fou à préparer le mien, il n’arrêtait pas de faire des allers-retours, puis tout est devenu flou. Je me suis réveillée à midi dans un état très bizarre. J’ai eu plus de 48 heures de vertiges et de maux de tête”. 

"Soumission chimique”

L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qualifie de “soumission chimique” le fait d’administrer “à des fins criminelles (viol, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vol) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace”. 

Pour les deux membres de collages féministes Marseille, ce phénomène relève de dynamiques de domination : “certains veulent agresser ou violer, d’autres trouvent cela amusant. Dans tous les cas, il semble y avoir une volonté d’assoir sa domination. Il y a aussi un phénomène d'objectification des femmes, une volonté de les transformer en objets sexuels ou objets d'amusement”.

Les colleuses expliquent que les victimes sont surtout des femmes et des minorités de genre, mais que les hommes aussi peuvent être touchés. “Mais quand des hommes sont victimes, on observe que ce sont d’autres hommes qui les ont drogués. Dans la quasi-totalité des cas, les agresseurs sont des hommes”, soulignent-elles. Selon les chiffres des forces de l’ordre, 99% des condamnations pour viol ou agression sexuelle concernent des hommes. 

Un phénomène en recrudescence ?

Pour les victimes droguées au GHB, c’est souvent la double peine. Parler est difficile à cause de la honte ou d’une minimisation des faits. “Les victimes nous disent qu’elles ont eu du mal à comprendre qu’elles ont été droguées, qu’elles pensaient avoir juste trop bu, ou qu’on leur a dit qu’elles avaient trop bu. La particularité de cette drogue, c’est que les effets ressemblent beaucoup à ceux de l’alcool”, expliquent Angie et Jill. 

Autre difficulté : la faible proportion de dépôt de plainte. Selon un rapport 2019 du ministère de l’Intérieur, moins d’une victime de violence sexuelle sur 6 porterait plainte. En cause également, le fait que le GHB reste très peu de temps dans l’organisme : à peine quelques heures. “Il faudrait que les victimes se fassent tester pendant qu’elles subissent les effets. Une fois qu’elles sont revenues dans leur état normal, elles ne sont en général plus positives”, déplorent les militantes. Autant de freins qui rendent le phénomène difficilement quantifiable. 

Malgré une mobilisation qui prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, Angie et Jill restent prudente face à l’hypothèse d’une recrudescence. “Ça existe depuis longtemps, si on en parle autant aujourd’hui c’est parce qu’il y a une libération de la parole, permise notamment par de nouvelles plateformes comme les réseaux sociaux”, avancent les deux militantes. 

L'ANSM mène des enquêtes sur la soumission chimique depuis 2003. Sa dernière étude, menée en 2019 sur des personnes prises en charge par des services médicaux et judiciaires, toutes substances confondues, recense 53 cas “vraisemblables” de soumission chimique et 312 cas “possibles”, soit 15,3% de plus que l’année précédente.   

Former les établissements de nuit 

Pour Jill et Angie, il est indispensable que les employés et les patrons de bar réagissent et soient sensibilisés et formés spécifiquement sur la question des violences sexuelles. “On ne peut pas gérer un établissement de nuit en se disant “c’est pas mon problème”, d’autant plus que certaines personnes rapportent avoir été droguées par des membres du personnel”, réagissent-elles. 

Certains témoignages mettent en lumière un manque d’aide de la part des bars. “Quand on a demandé à avoir accès aux vidéos, on nous a fait croire que les caméras de surveillance ne fonctionnaient pas”, raconte une victime.

Comme solutions pratiques, Angie et Jill proposent que des “capuchons” protégeant les verres soient systématiquement distribués par les bars. Elles incitent les bars à coller des affiches enjoignant aux potentielles victimes de demander de l’aide si elles subissent une agression. “Cela peut permettre de mettre en confiance une victime qui n’ose pas, et faire passer un message aux agresseurs”, soulignent les colleuses.  

En attendant, elles l’espèrent, des politiques d’envergure de la part des pouvoirs publics, les deux activistes considèrent que ces mesures dissuasives peuvent avoir une réelle efficacité : “les agresseurs ne sont pas des grands bandits organisés : leur montrer qu’on les voit, leur laisser moins de possibilités de passer à l’acte, ça peut faire la différence”. 

Sur le compte Instagram @collages_feministes_marseille, le collectif continue de recevoir des témoignages, tout comme les comptes @balance_ton_bar et @balance_ton_bar_marseille

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