Trafic de drogue à Marseille : 6 questions sur les "repentis", que le nouveau procureur veut recruter pour lutter contre la criminalité

Lutter contre le narcotrafic est une des priorités du nouveau procureur de la République Nicolas Bessone à Marseille. Avec une année record en termes de narchomicides, il a annoncé ce lundi vouloir renforcer le statut de "collaborateur de justice", mieux connus sous le nom de "repentis".

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Pour lutter contre les narchomicides, Nicolas Bessone, nouveau procureur de la République à Marseille veut promouvoir le statut de "repenti", appelé en France "collaborateur de justice". C’est ce qu'il a déclaré ce lundi 20 novembre lors de son audience d'installation solennelle en prenant officiellement la tête du parquet de Marseille. France 3 Provence-Alpes fait le point sur ce dispositif.

Qu'est-ce que le statut de "repenti" ?

Le statut de collaborateur de justice a été créé en 2004 par la loi Perben, mais n'est entré en vigueur qu'en mars 2014. Ce dispositif d'exception permet d'offrir à un ancien membre du crime organisé une nouvelle identité, une protection policière, une aide financière qui diminue au fil du temps, et des exemptions ou des réductions de peine devant les tribunaux.

Inspiré des législations en vigueur en Italie ou aux Etats-Unis, ce statut a ouvert une brèche dans l'omerta qui règne sur le crime organisé. Mais le texte est resté à mi-chemin, de l'avis de plusieurs experts, en excluant les auteurs ou les complices d'assassinat.

L’ensemble de ces mesures est contenu dans l’article 706-63-1 du Code de Procédure Pénale. Ces dispositions ne concernent que les collaborateurs de justice et seulement en partie les témoins.

Pourquoi l'utilisation de ces "repentis" fait-elle débat ?

Des magistrats estiment que ce statut va permettre de mieux connaître la criminalité française, en général, et la grande criminalité en particulier. Cependant, l’apparition de "repentis" dans le paysage judiciaire soulève également des oppositions et fait débat.

Le résultat judiciaire justifie-t-il le risque éthique ?  La question a été soulevée par l'ouvrage collectif, dirigé par Jean Paul Brodeur et Fabien Jobard Citoyens et délateurs. La délation peut-elle être civique ? (Editions Autrement).

Sur le plan financier, les programmes spéciaux coûtent cher. En France, c’est cet argument budgétaire qui a été mis en avant pour expliquer la non-parution du décret d’application sur le statut des repentis prévu par la loi Perben II, avant que le Gouvernement ne décide de faire financer le système par les saisies de biens des criminels, en 2013.

En Italie, l'audition de "repentis" a fait comprendre comment la criminalité s'organisait et surtout qu'elle émanait de la Mafia. Avec la mise en avant de ce statut à Marseille, Nicolas Bessone veut probablement avoir accès aux rouages des organisations criminelles locales et les différentes structures mafieuses comme le Clan Yoda  dont le nom a été évoqué récemment dans l'affaire du jeune Fayed tué à Nîmes ou encore la DZ Mafia.

Comment ce statut fonctionne-t-il en France, en Italie et aux Etats-Unis ?

En Italie et aux Etats-Unis, témoins et collaborateurs de justice bénéficient du même type de protection. En France, la loi Perben 2, fait un distinguo.

L’article 706-63-1 du Code de Procédure Pénale, sur les repentis, est lié à l’article 132-78 du Code Pénale. Ce dernier prévoit des réductions de peines à des personnes qui "ont tenté de commettre un crime ou un délit", mais qui ont "permis de faire cesser l’infraction" ou d’éviter qu’elle ne se produise. En d’autres termes, ce sont des délinquants qui deviennent des collaborateurs de justice.

Dans les faits, le parquet ou le juge d’instruction pourront demander le placement d’un individu sous le statut de "collaborateur de justice", si cet individu est demandeur. Au départ, la loi française ne concernait que les collaborateurs de justice, les témoins n’étaient pas inclus. C’est chose faite depuis la loi du 3 juin 2016, avec des limites juridiques. Avant cette loi, les collaborateurs de justice sont mieux protégés que les témoins ordinaires.

En Italie, mais sans doute pour tous les pays qui disposent de programmes de protection, on enregistre plus de collaborateurs de justice que de témoins de justice.

L’Italie est désormais le plus gros producteur mondial de "collaborateurs de la justice". Des repentis criminels décident de passer aux aveux avec, en échange, une série de mesures de compensation pour lesquelles l’État est prêt à débourser près de 50 millions d’euros tous les ans. Cet outil juridique créé au début des années 1990 est devenu la clé de la lutte contre la mafia. "Les informations ainsi récoltées évitent aussi des règlements de compte sanglants", expliquait Vitrtorio Teresi, procureur adjoint de Palerme en 2014 à nos confrères de France24.

Aux Etats-Unis, il existe une série de dispositifs de protection des témoins, notamment le WITSEC (Witness Security Program).
Il a été créé au début des années 1970. Depuis cette date, le programme américain aligne des chiffres impressionnants : le WITSEC a pris en charge 18 400 personnes. Dont, 8 500 témoins et 9 900 parents ou relations directes de ces témoins selon United Staded Marshals Service (service fédéral de police chargé de la protection des témoins). À cela s’ajoute une protection si nécessaire et un soutien financier de près de 60 000 dollars par an, à condition de chercher un emploi.

Les résultats justifient-ils de telles dépenses ? Selon les autorités américaines, la réponse est oui. "Prendre de telles mesures drastiques pour protéger les témoins a porté ses fruits pour bon nombre de procureurs. Depuis la création officielle du programme en 1970, il a atteint un taux global de condamnation de 89% à la suite du témoignage d'un témoin protégé, et plus de dix mille criminels ont été condamnés". Ces chiffres sont publiés par le United Stated Marshals Service. 

Pourquoi Nicolas Bessone veut-il davantage recourir à des "repentis" ?

Au dernier décompte, on ne dénombre pas moins de 49 règlements de compte à Marseille depuis le début de l'année 2023. Ces morts violentes liées au narcobanditisme sont désormais appelées "narchomicides". Aucun quartier ne semble épargné, même si la plupart ont tout de même lieu dans les quartiers nord de la ville. A Marseille, ville meurtrie par les règlements de compte, un point de deal génère près de 300.000 euros par semaine.

Un des domaines de prédilection de Nicolas Bessone est la lutte contre le grand banditisme, les trafics de drogue et le crime organisé. Pour que cette lutte soit efficace, le nouveau procureur de la République à Marseille veut prendre le problème à bras-le-corps : "L'ampleur de ce phénomène, la difficulté à le juguler, doit nous amener à réfléchir sur l'adaptation de nos instruments", a-t-il déclaré.

Comment veut-il intégrer au dispositif les "repentis" "qui ont du sang sur les mains" ?

Selon lui, "ce statut est insuffisamment utilisé". Il a conscience "des incertitudes juridiques qu'il convient de corriger" tout comme "les considérations morales" car sont exclus du dispositif "ceux qui ont du sang sur les mains directement ou par commandité ".

Pour le nouveau procureur, "ce sont ces personnalités-là qu'il convient de recruter". Mais il ne se fait pas d'illusions, "pour que des personnes manifestent la volonté de collaborer, encore faut-il qu'ils aient une probabilité forte d'être condamné".

Et le procureur de la République regrette que ce ne soit "pas le cas, devant une cour d'assises composée de jurés populaires, non pas dû à leurs compétences, rappelle-t-il, mais parce que dans ces dossiers de grand banditisme, où suinte la peur, ils peuvent être approchés, impressionnés ou menacés."

"Pour affaiblir rapidement et durablement les organisations criminelles", Nicolas Bessone est pour une "directive européenne afin d'adopter le dispositif de confiscation sans condamnation".

Comment le procureur de Marseille compte-t-il financer les "repentis" ?

La loi Perben 2 est votée le 9 mars 2004, mais le décret d’application concernant le statut des "repentis"  ne sera promulgué qu’en septembre 2013 et son application prévue pour le début 2014. Pourquoi ce retard ? Officiellement, "on n’arrivait pas à financer" cette idée. Un repenti coûte cher. 

En 2013, la solution est trouvée, le financement se fera par l’intermédiaire de l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Criminels (Agrasc). Crée en 2010, l’Agrasc gère les biens saisis dans les affaires de grande criminalité.

Et le nouveau, procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone connaît bien l'Agrasc, puisque avant d'être nommé à Marseille, il en était le directeur général. "En supprimant le bénéfice du crime, il perd de son intérêt", précise Nicolas Bessone, notamment pour les plus jeunes attirés par de l'argent qu'ils pensent "facile". "La confiscation permet aussi d'affaiblir le crime organisé, dont les membres ont recours à la violence", ajoute-t-il. "On retire ainsi aux organisations criminelles des moyens de réinvestir l'argent, de corrompre ou d'acheter des témoins", indique Nicolas Bessone.

Il s'agit enfin, selon lui, de briser le cercle vicieux des trafics en "sortant" l'argent des réseaux, pour le réaffecter dans la lutte contre la criminalité et générer quelque chose de positif. 

Les confiscations initiées par Bessone à l'Agrasc ont rapporté à l'État. Pour 2022, 200 millions d'euros vont atterrir directement dans les caisses de Bercy par ce biais. En 2021, c'était 150 millions d'euros. En 2020, 85 millions d'euros.

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