Violences policières, narcotrafic, règlements de comptes, réforme de la police judiciaire sont les thèmes abordés par Nicolas Bessone, le nouveau procureur de la République de Marseille lors de son audience solennelle d'installation le 20 novembre en présence du ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti.
Ce lundi 20 novembre était un moment fort dans la carrière de Nicolas Bessone. Le nouveau procureur de la République de Marseille a été officiellement présenté au tribunal judiciaire de la ville, lors de son audience d'installation. De nombreux élus locaux étaient présents. Le nouveau procureur a abordé plusieurs thèmes dont les violences policières lors des émeutes de cet été, sa crainte de la réforme de la police judiciaire qu'il n'a pas hésité à exprimer devant le ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, présent à cette cérémonie.
La lutte "robuste" contre la criminalité organisée
La lutte contre le narcotrafic sera une des priorités de Nicolas Bessone. Il a insisté sur le fait de poursuivre le travail entrepris par Dominique Laurens, sa prédécesseure dont il a salué le travail, comme celui de la préfète de police. "Le narcotrafic et son cortège d'assassinats en bande organisée sont en très forte augmentation, malgré l'action volontariste et vigoureuse de Frédérique Camilleri". Il a notamment rappelé la stratégie de pilonnage des points de vente de drogue, la réduction de leur nombre, les opérations place nette etc., "dont nous partageons au niveau du parquet la finalité avec les suites robustes que nous y apportons dans le respect des compétences de chacun" a rappelé Nicolas Bessone.
Au dernier décompte, on ne dénombre pas moins de 49 règlements de compte à Marseille depuis le début de l'année 2023. Ces morts violentes liées au narcobanditisme sont désormais appelées "narchomicides". Aucun quartier ne semble épargné, même si la plupart ont tout de même lieu dans les quartiers nord de la ville. A Marseille, ville meurtrie par les règlements de compte, un point de deal génère près de 300.000 euros par semaine.
Des collaborateurs de justice "insuffisamment utilisés"
Pour que cette lutte soit efficace, Nicolas Bessone n'hésite pas à lancer un pavé dans la mare : "L'ampleur de ce phénomène, la difficulté à le juguler, doit nous amener à réfléchir sur l'adaptation de nos instruments".
Parmi les pistes de réflexion énoncées, il souhaite pourquoi pas mettre plus en avant "le collaborateur de justice". C'est-à-dire des personnes ayant participé à des activités criminelles qui coopérent avec les autorités judiciaires ou policières. Selon lui, "ce statut est insuffisamment utilisé". Il a conscience "des incertitudes juridiques qu'il convient de corriger" tout comme "les considérations morales" car sont exclus du dispositif "ceux qui ont du sang sur les mains directement ou par commandité ".
Pour le nouveau procureur"ce sont ces personnalités-là qu'il convient de recruter". Mais il ne se fait pas d'illusions, "pour que des personnes manifestent la volonté de collaborer, encore faut-il qu'ils aient une probabilité forte d'être condamné".
Et le procureur de la République regrette que ce ne soit "pas le cas, devant une cour d'assises composée de jurés populaires, non pas dû à leurs compétences rappelle-t-il, mais parce que dans ces dossiers de grand banditisme, où suinte la peur, ils peuvent être approchés, impressionnés ou menacés."
Dans ses dernières fonctions au sein de l'Agrasc en tant que président, il a mis en place la confiscation des biens des trafiquants, et pour lui il faut continuer dans cette lancée avec l'antenne marseillaise de cet organisme.
"Pour affaiblir rapidement et durablement les organisations criminelles", Nicolas Bessone est pour une "directive européenne afin d'adopter le dispositif de confiscation sans condamnation".
La crainte de "diluer" la police judiciaire
Le nouveau procureur de Marseille, s'est dit "inquiet" concernant "la réforme de l'organisation de la police", assurant : "Nous serons à Marseille comme ailleurs attentifs aux modalités de sa mise en œuvre avec des lignes rouges qui ont été tracées par la conférence des procureurs généraux", a-t-il déclaré devant le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti.
Nicolas Bessone précise que ces lignes rouges encadrent le fait de "ne pas diluer la police judiciaire dans la résorption des stocks de la sécurité publique", de garantir "la liberté absolue de choix par les magistrats du service enquêteur" ou encore "le maintien de l'autonomie de la PJ dans la gestion des dossiers sensibles", laquelle "a fait la grandeur de l'institution".
"Je ne fais pas pour autant de procès d'intention", a souligné le procureur de la République de Marseille, ajoutant que l'organisation de la gendarmerie, de laquelle selon lui se rapproche "par certains aspects" cette refonte de la police judiciaire, "échappe à ces écueils". Cette vaste réforme voulue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, en cours de mise en œuvre, prévoit de placer tous les services de police du département renseignement, sécurité publique, police aux frontières et PJ, sous l'autorité d'un seul directeur départemental de la police nationale, dépendant du préfet.
Cette refondation avait suscité à l'automne 2022 des manifestations de protestation partout en France, auxquelles le monde judiciaire s'était également joint. Les détracteurs du projet pointent un risque de "nivellement vers le bas" des compétences de la prestigieuse PJ, chargée des crimes les plus graves, en raison de la primauté accordée à la sécurité publique et craignent un renforcement du poids du préfet, sous tutelle de l'exécutif, dans les enquêtes.
La "fracture" entre police et magistrats après les émeutes
Il est "indispensable que je vous parle" de la "problématique violences policières après les événements et les émeutes de début juillet qui ont entraîné une fracture entre police et magistrature", a déclaré Nicolas Bessone. Il a insisté en disant qu'il "fallait mettre des mots", faisant référence aux émeutes à Marseille fin juin-début juillet, après le décès du jeune Nahel, tué quelques jours plus tôt par le tir d'un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre, en banlieue parisienne. Au total, le parquet de Marseille a décidé de poursuivre une dizaine de policiers dans le cadre de quatre affaires de violences policières présumées.
Le procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone, a tenu à rappeler que "les juges et les procureurs travaillent tous les jours en bonne intelligence avec la police pour poursuivre les délinquants avec les mêmes objectifs de protection de la population". En insistant sur le fait que "les juges et les procureurs sont tout à fait conscients de l'extrême difficulté du travail des policiers au quotidien" et "tiennent toujours compte de ce contexte qui peut encore être aggravé par des émeutes pour apprécier l'usage proportionné de la force", a-t-il ajouté.
"En revanche, les juges et les procureurs sont fondamentalement, à l'image de la société française, attachés au principe de l'égalité de tous devant la loi et aspirent à une police républicaine qui ne serait pas au-dessus des lois", a insisté le magistrat d'un des parquets les plus importants de France.