Pour le cinquantenaire de la mort de Marcel Pagnol, la chercheuse Marion Brun revient sur un aspect méconnu de l’auteur et cinéaste à succès : un intellectuel, inventeur et "touche à tout". "Un des derniers humanistes", et pourtant, peu reconnu par le milieu universitaire.
Marcel Pagnol est mort il y a cinquante ans jour pour jour. De lui, on garde le souvenir de répliques cultes, de chemins provençaux emblématiques et de romans qui marquent les enfances. Marion Brun, professeure agrégée en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) a écrit une thèse en 2017 sur l’auteur et cinéaste provençal. Intitulée "Marcel Pagnol, un 'illustre méconnu' : réflexions sur les valeurs d’une œuvre littéraire et cinématographique", elle revient sur la figure de Pagnol, aussi populaire que méprisée. France 3 Provence-Alpes l'a interrogée.
France 3 Provence-Alpes : Vous avez écrit une thèse pour réhabiliter Marcel Pagnol comme auteur, pourquoi ?
Marion Brun : Le point de départ d'écriture, c'est que j’étais partie à l'étranger, aux États-Unis et quand je disais que je venais de Marseille, on me parlait de Marcel Pagnol. J’étais très étonnée, car c’est un auteur très peu présent à l'université, même en France. Il y a une forme de mépris, ça ne se fait pas trop de citer Pagnol en dissertation dans un contexte académique, par exemple.
À la fois, c'est un auteur classique, on l'étudie à l'école, à la fois, dès qu'on évolue dans un parcours universitaire, Pagnol disparaît du canon. Nous n’avons pas de représentation positive de son œuvre. Peu de thèses lui sont consacrées.
Pourquoi Marcel Pagnol est-il si peu étudié par les universitaires ?
Il y a trois facteurs. Le premier, c’est la représentation régionaliste. Il écrit sur la Provence, cela restreint notre identification. Il y a une sorte de glottophobie, une discrimination sur l’accent. C'est une littérature et des films à accent. Cet accent est reçu comme comique par les spectateurs.
Le deuxième facteur, c’est la question populaire. Marcel Pagnol a eu beaucoup de succès. Il a gagné beaucoup d’argent. Il y a une sorte de méfiance des institutions pour ces auteurs qui ne sont pas "maudits".
C’est un auteur qui représente une classe populaire, qui en parle. Ses personnages s’expriment simplement, avec les mots du peuple.
Marion Brun, auteure d'une thèse sur Marcel Pagnolà France 3 Provence-Alpes
Le troisième facteur, c’est le changement de médium. C’est un auteur qui est passé du théâtre au cinéma. Il a été exclu, pour cela, du milieu théâtral. Puis, il a eu du mal à se faire reconnaître dans le milieu du cinéma. Il était accusé d’être un homme de lettres qui faisait du théâtre filmé. Pour les cases universitaires, il n’a pas fait toute sa carrière au théâtre, pas toute sa carrière au cinéma. Il est passé au roman tardivement. Pourtant, il a été réhabilité par les cinéastes néo-réalistes italiens, et les cinéastes de la nouvelle vague.
Comment a-t-il été réhabilité ?
Pour de nombreux cinéastes, Marcel Pagnol représente le cinéma d’auteur, le cinéma indépendant. Le cinéaste Italien Vittorio de Sica évoque La Femme du boulanger, comme une inspiration. Roberto Rosselini déclare, dans une archive INA, son admiration pour le cinéma de Pagnol; avec la libération du studio, l’emploi de comédiens non-professionnels, l’emploi de l’improvisation sur le tournage. François Truffaut écrit sur son indépendance, de même que Jean-Luc Godard.
Selon vous, même s’il n’est pas connu comme tel, Pagnol est tout de même un intellectuel ?
Oui, il a un côté touche à tout, un côté “dernier humaniste”. Il a notamment écrit un essai intitulé La Cinématurgie de Paris, où il réfléchit au rapport entre le théâtre et le cinéma. Il est également auteur d’un essai sur le rire, sur les sources du comique, qui revient aussi sur ses œuvres. Les préfaces de ses livres sont très fournies, il y développe des aspects théoriques. Notamment sur le fait qu’il est prêt à sacrifier le style pour se rapprocher de la parole spontanée.
Il a traduit Les Bucoliques, de Virgile, il a traduit Shakespeare. Il faisait des mathématiques. Il a inventé la Topazette, une voiture à trois roues. Durant la guerre, il a acheté un domaine pour y planter des œillets, comme Jean de Florette. Il a produit des disques, où il lisait ses propres titres.
Il avait soif d’inventer des formes. Il est passé de Manon des sources en film, à une adaptation romanesque. En 1948, il a produit La Belle meunière, premier film en couleurs français avec un procédé français. En pleine débâcle, en 1941, il a sorti La fille du puisatier.
Marcel Pagnol a tout de même eu des reconnaissances institutionnelles, avec, par exemple, son entrée à l’Académie française.
Marion Brun, auteure d'une thèse sur Marcel Pagnolà France 3 Provence-Alpes
Il souhaitait en faire un événement médiatique, faire entrer le cinéma à l’Académie française.
Vous avez écrit votre thèse en 2017. Avez-vous noté une évolution dans la perception universitaire de l’œuvre de Pagnol, depuis cette date ?
La lecture de Pagnol par le cycle romanesque de la fin reste assez prépondérante. Par ailleurs, il recule dans les programmes. On le voit moins dans les manuels scolaires. Les ayants-droits qui œuvrent pour le maintien de la mémoire essaient de maintenir une réception grand public. Il y a des verrous. Il y aurait matière à faire une édition savante. Mais pour le moment, il n’y a pas vraiment de demande éditoriale.