Depuis le dimanche 7 juillet, 30 des 42 mandats de députés de la région PACA sont tombés dans l'escarcelle du Rassemblement national, soit 10 sièges de plus qu'en 2022. Une politologue revient sur cette nouvelle poussée en Provence Alpes Côte d’Azur d’une extrême droite bien installée.
Grand vainqueur de ce second tour des élections législatives en Provence, ce dimanche 7 juillet, le Rassemblement national rafle 24 sièges dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Var, les Alpes-de-Haute-Provence, laissant échapper à la gauche les deux circonscriptions des Hautes-Alpes. Les Alpes-Maritimes totalisent six députés d'extrême droite sur neuf circonscriptions. La politologue Christèle Lagier analyse la vague bleu marine qui continue d'arroser la région Provence alpes Côte d’Azur.
Que peut-on dire de la progression de l'extrême droite en Provence ?
Christèle Lagier : malgré la percée du Nouveau Front populaire, en région PACA, le Rassemblement national poursuit sa progression sur des territoires sur lesquels il était déjà très fort. Dans le Vaucluse, il fait presque 50 000 voix de plus qu'en 2022. On est dans une consolidation de ses positions dans l'endroit où il était installé. Le RN mord sur la droite et sur des électorats qui avaient plus de réticences à voter pour lui, il va falloir regarder cela de très près. 143 élus qui siègent à l'Assemblée, c'est historique donc, on ne peut pas parler de défaite, malgré la majorité relative de l'alliance de gauche.
Finalement, pas le grand Chelem attendu dans le Vaucluse ?
Christèle Lagier : la victoire de Raphaël Arnaud dans la 1ʳᵉ circonscription du Vaucluse est contenue dans les résultats de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2017, mais aussi aux législatives de 2022. Avignon est isolée dans un environnement frontiste avec des scores très élevés de la France insoumise. Et le choix de ce candidat en particulier était stratégique pour aller chercher la gauche qui existe sur ce territoire. Fortement décrédibilisé, Raphaël Arnaud vient de la société civile et incarne un lien avec le milieu associatif et les militants de terrain face à une gauche plus établie, notamment soutenue par la maire d'Avignon. C'est ce qui se joue dans le Nouveau Front populaire, l’arrivée d'une nouvelle génération de militants politiques, celle du militant social.
On ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas eu de mobilisation sociale, comme s'il n'y avait pas eu les gilets jaunes ou les révoltes urbaines, il y a des catégories de la société qui cherchent à s'exprimer au travers de profils autres que ceux des professionnels de la politique.
Christèle Lagier, maîtresse de conférence en science politiqueFrance 3 Provence-Alpes
On va atteindre les limites de la social-démocratie, parce qu'il y a des attentes fortes sur des profils plus jeunes, plus sociaux, moins "professionnels de la politique". Ce qui va d'ailleurs poser d'autres problèmes pour le Rassemblement national. Le RN va se professionnaliser, c'est son enjeu aujourd'hui, pour être crédible, légitimé et il risque de ressembler à la classe politique traditionnelle, dont une partie quand même des électeurs se méfie.
En tout cas, cette victoire de la gauche est la preuve que la progression du RN peut être arrêtée, à condition que la gauche propose quelque chose à ces territoires. Il faut qu'elle sorte de certaines pratiques portées par des élus vieillissants sur des territoires abandonnés, comme le nord Vaucluse.
Dans quelle mesure le vote de la jeunesse a-t-il pesé dans cette progression du RN ?
Christèle Lagier : la proposition Jordan Bardella reposait sur des bases fragiles, très légères et mouvantes en termes de programme. La fracture de la jeunesse réside dans son rapport à la politique. Soit il est construit autour d'une communication politique : il suffit d'être beau, bien habillé et d'être sur les réseaux sociaux. Soit, on fait le pari de la ramener sur les contenus. Il y a toute une partie de la jeunesse qui ne s'engage pas en politique, qui ne vote pas, et qui pourtant s'est remobilisée dans ce scrutin. Cela prouve bien que ces jeunes sont dans des combats, ils ne sont pas désintéressés par la société, mais ne trouvent pas dans la classe politique des représentants qui leur parlent.
La région PACA demeure-t-elle un "laboratoire" pour l'extrême droite ?
Christèle Lagier : c'est vraiment ça. Il a failli se passer, sur le plan national, ce qui se passe dans cette région depuis vingt ans. Les formations politiques ont intérêt à y être très attentives. Ce qui se joue, c'est l'implantation plus globale du Rassemblement national dans le paysage politique. Et le RN va avoir des moyens pour le faire. Parce que 143 députés à l'Assemblée, cela rapporte des ressources financières pour avancer dans la professionnalisation du parti et sa légitimation. Dans cette région sud-est, on a pu observer des basculements sur des territoires qui, jusque-là, étaient quand même très réticents à l’extrême droite, des barrières partisanes sont tombées. Il faut en tirer des enseignements.
Comment les électeurs de gauche ont-ils pu déjouer les prédictions et pronostics des spécialistes ?
Christèle Lagier : cela interroge sur la place des sondages d'opinion dans les projections et sur la difficulté à saisir des électorats de plus en plus volatils et intermittents, qui ont sans doute un rapport bien plus critique à la politique et des exigences qui remettent du contenu dans le débat public. Ce qui a fait la différence, ce sont ces électeurs retournés vers les urnes qui s'en étaient détournés et qui ont vu un enjeu à revenir voter. Si on se contente de repartir dans de la tactique et de l'alliance électorale sans travail de fond derrière, ça va poser un problème.