TEMOIGNAGES. "On a refusé de prendre ma plainte pour violences conjugales"

"Revenez demain". Certaines femmes se voient refuser leur dépôt de plainte pour violences conjugales dans des commissariats et gendarmeries des Bouches-du-Rhône. Témoignages et explications de la police.

Mardi 13 décembre 2022, aux alentours de 19 heures, une femme vient déposer plainte dans un commissariat des Bouches-du-Rhône pour violences conjugales. À l'accueil, on lui demande si elle a été physiquement violentée. La réponse est négative. Elle est invitée à revenir le lendemain parce que les policiers, ce soir-là, sont "surchargés". 

Sur les réseaux sociaux aussi, depuis plusieurs années, des femmes victimes de violences témoignent de refus de leurs plaintes.

Les forces de l'ordre n'ont pas le droit de refuser de prendre des plaintes selon l'article 15-3, aliéna 1er du code de procédure pénale : "les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents". Une obligation mentionnée également dans la charte d'accueil du public et des victimes du ministère de l'Intérieur. L'article 2 dispose : "l’assurance d’être écouté à tout moment par une unité de la Gendarmerie nationale ou un service de la Police nationale, d’être assisté et secouru constitue un droit ouvert à chaque citoyen".

Plusieurs femmes témoignent de ce genre de refus. La police, elle, assure être de plus en plus formée à ces situations jugées "ultra médiatisées" par un commissaire.

"Une petite gifle, ce n'est pas si grave"

Lou*, subissait des violences conjugales depuis cinq ans quand elle a réussi à se séparer de son compagnon, le père de son enfant. "Le jour où je suis partie, je me suis rendue chez une amie, qui m'a bien aidé" raconte la trentenaire. Elle se souvient de ce soir-là, c'était en 2020. "Il avait encore bu, il est venu chez mon amie et nous a tous menacé de mort, même notre fils. Il m'accusait de l'avoir trompé" rapporte-t-elle. 

Le lendemain, Lou décide de se rendre dans la gendarmerie de sa commune, près d'Aix-en-Provence. "Je savais ce qu'il était capable de faire. J'ai pris ses menaces très au sérieux. Surtout qu'il avait le droit de détenir des armes", explique-t-elle. "Je suis arrivée aux alentours de 10 heures, il était déjà passé, juste avant moi" raconte-t-elle. 

"Le gendarme m'a dit : "vous êtes la femme qui trompe son mari?" ou encore "une gifle de temps en temps ce n'est pas si grave""

Lou*, victime de violences conjugales

Il a refusé de prendre ma plainte. "C'est votre parole contre la sienne. Et comme vous l'avez trompé, il vaut mieux ne rien dire" lui aurait assuré le gendarme pour justifier son refus.

Lou* se rend alors dans le commissariat de la grande ville la plus proche, où sa plainte est finalement prise en compte. "On m'a même mis en relation avec des associations" se réjouit-elle.

"De mieux en mieux formés"

La police, elle, assure que ces cas sont de plus en plus rares. "En ce qui concerne les violences conjugales, tout le monde est parfaitement formé" assure le commissaire Friedrich, chef du service de voie publique du commissariat d'Aix-en-Provence. Il indique un taux de formation à hauteur de 98%. Ces "formations" concernent "la prise en charge, l'accueil" de ces personnes victimes de violences conjugales, explique-t-il.

On ne refuse pas la prise d'une plainte sauf si au moment où la personne est devant l’enquêteur, ce dernier considère qu'il n'y a pas d'infraction pénale.

Philippe Friedrich, chef du service de voie publique du commissariat d'Aix-en-Provence

Il rapporte que les procédures sont différentes selon le type de plainte. Pour les cas de violences conjugales, "il y a un processus de mise en sécurité de l'individu et des procédures qui, depuis quelques années, sont très strictes et encadrées" assure-t-il. "Dans une grande majorité des cas, on est déjà en train d'interpeller le mari, conjoint ou ex alors même que la victime est en train de déposer sa plainte" raconte le commissaire.

Surpris par certains des témoignages que nous avons recueilli, il indique : "tout le monde a compris que c'était un sujet d'une extrême sensibilité. Les agents se sentent d'autant plus responsables que ces violences sont ultra médiatisées". 

"J'ai fini en garde à vue"

"J'ai été mariée à quelqu'un de violent" regrette Emma*. "Il avait des accès de colère quand il était sous l'emprise de l'alcool", précise la trentenaire. Et de raconter : "un jour, il a voulu tout casser, il criait, il a essayé de me frapper". "J'ai eu peur qu'il passe à l'acte" se souvient-elle. 

C'est à ce moment-là, en 2017, alors que la première campagne "#MeToo" est lancée, qu'elle décide de porter plainte ou une main courante. Elle échoue à deux reprises. "On ne prend pas les plaintes pour violences conjugales" lui aurait indiqué le policier à l'accueil d'un commissariat de Marseille. La trentenaire se rend alors dans un second commissariat. Même réponse : "on a trop de plaintes pour violences, on ne peut pas toutes les traiter".

Une amie avocate la redirige ensuite vers un troisième commissariat, de sa part, où elle est finalement entendue. "Quelques mois plus tard, ça a dégénéré" raconte Emma. Et de préciser : "il a essayé de m'étrangler. J'ai vu ma vie s'arrêter. Je me suis défendue, puis j'ai appelé la police". Les forces de l'ordre seraient alors intervenues et auraient embarqué le couple. "On est montés chacun dans une voiture" se remémore Emma*.

Au final, nous avons passé tous les deux la nuit en garde à vue parce que nous avions tous les deux des traces. Moi de sa tentative d'étranglement et lui de mes griffures d'autodéfense.

Emma*, victime de violences conjugales

"J'ai un fort caractère et je suis très bien entourée" tient à souligner la Marseillaise, "ce n'est pas le cas de toutes les femmes, qui ne sont vraiment pas aidées dans leurs démarches".

"Nul n'est parfait"

Depuis le mouvement "#MeToo", les paroles des femmes sont probablement de plus en plus entendues. "Dans le cadre des violences conjugales, depuis des décennies, il y a des améliorations constantes, mais il peut y avoir des bugs" d'après le service de communication de la DDSP 13. "Nul n'est parfait" reconnaît-il. 

Il y a des formations toute l'année dans les Bouches-du-Rhône. Le bureau départemental d'aide aux victimes se déplace dans tous les commissariats pour sensibiliser les policiers qui sont à l'accueil et les mettre en contact avec des associations.

Commandant de police des Bouches-du-Rhône

"On ne peut pas dire aux victimes qu'on est débordés" explique-t-il. En revanche, "il y a des caractères d'urgences. Il peut arriver qu'on leur demande de revenir le lendemain pour que la personne à l'accueil puisse lui consacrer un temps parce qu'il peut y avoir une recrudescence d'usagers. On peut demander à la victime de revenir pour que son accueil soit le mieux respecté". 

"Une plainte est toujours enregistrable", assure le commandant, "mais parfois les procédures sont lourdes, il ne faut pas percevoir ceci comme un refus. Ne pas être reçu tout de suite ne veut pas dire que le motif ne sera pas pris en considération".

Quand le caractère d'urgence est décrété, ce représentant assure que la police va immédiatement procéder à une interpellation. 

Si une dizaine de personnes attendent, dans un commissariat, toutes pour des cas aussi importants les uns que les autres, il peut être conseillé à la victime de revenir le lendemain. L'urgence doit être priorisée avec l'accueil de la victime puis à l'appréciation de chaque gendarme ou policier.

Commandant de police des Bouches-du-Rhône

Il conclut que certains cas relèvent de l'exception.

"On m'a dit que sans certificat, ma plainte ne pouvait pas être enregistrée"

Katia aussi, s'est vu refuser son dépôt de plainte. "Je fais partie de ces nombreuses femmes dont on a refusé le dépôt de plainte contre mon futur ex conjoint suite à des menaces de violences physiques" rapporte-t-elle.

Elle assure avoir patienté une heure, dans un commissariat des Bouches-du-Rhône, avant qu'on lui indique "que sans certificat médical, on ne pouvait pas enregistrer ma plainte".

Politique du chiffre

En juin 2013, un rapport de l'inspection générale de l'administration dénonce la "politique du chiffre" dans la police française, instaurée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Concrètement, les policiers sont soumis à des objectifs chiffrés. Le rapport explique que le nombre de plaintes déposées contribue aux statistiques de la délinquance. 

"Au-delà d’un simple défaut de contrôle, certaines directives de l’administration centrale ont pu contribuer à minorer fortement les statistiques de la délinquance en généralisant des pratiques d’enregistrement non-conformes" précise ce rapport.

La mission a établi un constat particulier pour la préfecture de police. Il lui a été indiqué et confirmé par tous ses interlocuteurs parisiens que, vraisemblablement depuis 2006 ou 2007, perdurait dans la capitale une pratique de report systématique de l’enregistrement des faits dès lors que les objectifs chiffrés assignés à un commissariat étaient atteints pour le mois concerné.

Rapport sur l'enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure

Ces facteurs pourraient expliquer certains refus de plaintes dans les Bouches-du-Rhône et en France plus généralement. Contrariés par nos questions, les policiers interrogés dans le cadre de cet article ont assuré se "renseigner" sur les témoignages les plus récents que nous avons rapporté.

Toujours le 13 décembre, Chloé, 24 ans, est retrouvée inconsciente dans le hall d'un immeuble à Blois (Loir-et-Cher). Elle vient d'être agressée par son ex-compagnon, contre qui elle avait tenté de déposer plainte deux heures plus tôt. Le policier lui avait demandé de revenir le lendemain. Chloé est dans le coma, le policier est visé par une enquête.

Une plainte ne peut être refusée. 

*Les prénoms ont été modifiés.

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