Témoignages. Rencontre avec des ours, immensité des territoires et des feux : un marin-pompier de Marseille et un pompier des Bouches-du-Rhône racontent leur expérience au Canada

Publié le Écrit par Amanda Jacquel
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Ils rentrent tout juste d'une mission de renfort au Canada, où ils sont intervenus avec leurs paires pour arriver à bout des flammes qui ont dévasté plus de 12 millions d'hectares. Un sapeur-pompier des Bouches-du-Rhône et un marin-pompier de Marseille racontent leur expérience.

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« Une expérience inoubliable ». C’est ainsi que Saïd B., sergent sapeur-pompier depuis 15 ans à Noves (Bouches-du-Rhône), qualifie ses trois semaines passées au Canada avec un détachement de 120 pompiers français. Rentré en France dans la nuit du 8 au 9 août 2023, ce professeur de physique-chimie a passé trois semaines en protection de Wemindji, un village de la communauté cri (Premières Nations au Canada), à environ 1600 km de Québec : « on était confrontés à des méga-feux, qu’on a jamais vus en France. Notre première mission était de protéger cette communauté en contrôlant les feux sur la route qui mène à ce village isolé ».

Thibault, marin-pompier, enseigne de vaisseau et adjoint au centre d’incendie et de secours de Louvain dans le 8ᵉ arrondissement de Marseille, faisait aussi partie de ce même détachement. Tout comme Saïd, il est spécialisé dans le détachement d’intervention héliportée (DIH) : « en plus de Wemindji, j’étais affecté à la protection du complexe d’Hydroquébec (l’équivalent d’EDF en France qui alimente notamment Montréal et New York en électricité) à Radisson où se situait notre poste de commandement, sur cette zone de travail, il y avait donc beaucoup de points stratégiques à défendre via des manœuvres associées à la spécialité de l’intervention héliportée » précise-t-il.

"Des collègues français ont aperçu un ours"

« Ce qui est hallucinant, c’est l'immensité des territoires et des feux : on nous a posés à Québec pour travailler à Radisson, c’est comme si on vous posait à Marseille pour aller bosser à Lille ! » souligne Thibault. « Donc on travaille avec 60-80 kilomètres d’espacement entre les équipes sur un même secteur, voire plus parfois comme à Radisson. Ça crée des problématiques de communication par exemple ou encore, il faut pouvoir bien anticiper les conditions météo, car si l’air est trop saturé, l’hélicoptère ne peut plus décoller et ça met en danger les équipes au sol ».

« Ce sont des forêts de sapin à perte de vue… Donc généralement, on est héliportés. Au Canada, il y a surtout des hélicoptères, les moyens terrestres, c'est une pompe et quelques tuyaux. Il y a tellement de surface… » raconte Saïd. « On est partis avec du matériel : des bacs, des tuyaux héliportables, des clés de portage, essentiellement du matériel DIH… On a pu aussi mettre en place des techniques : les drones français ont pu être utiles dans la recherche de points chauds par exemple. Ou encore, un module radio français a permis de créer des bulles de télécommunication par satellite où les ondes ne fonctionnent pas. »

Les deux hommes relatent aussi une mise en danger concernant la faune sur ces territoires peu habités : « des collègues français ont pu apercevoir des ours ou un lynx » raconte Thibault qui dit avoir croisé « un paquet de renards, des loups, un glouton et des porcs-épics. »

7 pompiers pour 200 000 hectares

Outre les drones et le module radio français, les deux hommes restent marqués par l’accueil généreux des pompiers canadiens et par leurs échanges. « C’est un territoire très différent. Ils ont pris en compte nos compétences et nos modes de travail. La SOPFEU* –  qui sont des pompiers locaux, professionnels des feux de forêts, qui bénéficient pour la première fois d'un mandat de défense dans cette zone nordique – ne travaille que sur des feux de forêts, mais en France les pompiers sont très polyvalents. La SOPFEU a souligné l’interopérabilité et l’alchimie qui s’est créée dans le détachement français avec des pompiers qui venaient de tout le territoire. Il y a eu une cohésion très forte », tient à ajouter Thibault.

« On a échangé sur le matériel. Par exemple, ils ont des haches typiquement canadiennes en fer forgé, puisqu’ils travaillent beaucoup en abattant les arbres pour faire des barrières naturelles et que le feu s’estompe » poursuit Saïd. « Mais en France, on est quand même mieux équipé. On a trouvé qu’il y avait peu de moyens par rapport à l’ampleur du désastre. Par exemple, en moyenne, là où on aura 200/300 pompiers mobilisés en France pour 10 hectares, il y en a 7 pour 200 000 là-bas ! »

Des Canadiens frileux des techniques françaises

Certaines techniques comme celle d’allumer des contre-feux pour stopper les incendies n’a pas pu être testée : « on avait une équipe de brûleurs avec notamment le chef du centre de Port-de-Bouc, mais les Canadiens ne connaissaient pas et étaient un peu frileux de l’essayer, car il y avait beaucoup de vent et ils craignaient que ça ne ravive le feu plus que ça ne l’éteigne » continue Saïd.

Plus de 13.5 millions d’hectares ont brûlé au Canada. Lorsqu’on les questionne sur la frustration de n’avoir pas pu éteindre les feux, les pompiers restent pragmatiques : « oui, c’est frustrant, mais on n’était pas là-bas pour les éteindre, mais pour défendre des points stratégiques. Ça a été réalisé et la mission initiale est remplie », tranche Thibault.

« Ça reste une magnifique expérience d’avoir pu apporter notre soutien à un autre pays. Ce qui est inoubliable, c’est aussi l’accueil de la communauté autochtone qui nous a accueillis, hébergés, nourris et organisé une fête pour notre départ », conclut Saïd. « Il n’y a rien de plus gratifiant que de voir leur reconnaissance. »

*La SOPFEU est un organisme sans but lucratif qui a pour mission de protéger la forêt, les communautés et les infrastructures stratégiques contre les incendies de végétation.

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