Trafic de drogue : cinq questions sur l'enquête pour "traite d'êtres humains" concernant les petites mains des réseaux

Le procureur de Marseille a demandé l'ouverture d'une enquête pour "traite d'êtres humains" concernant des jeunes recrutés à travers la France par le biais des réseaux sociaux pour servir de main d'œuvre au trafic de drogue à Marseille.

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On les appelle les "jobbeurs". Ces jeunes hommes débarquent à Marseille pour se faire de l'argent facile en participant au trafic de drogue dans les cités des quartiers Nord. Guetteurs, revendeurs et parfois même tueurs à gage, ils viennent de toute la France. Pour le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, ces jeunes sont aussi des "victimes". France 3 Provence-Alpes vous dit ce qu'il faut savoir sur l'ouverture d'une enquête pour "traite d'êtres humains" demandée par le procureur de la République de Marseille, qui a fait de la lutte contre la criminalité sa priorité. 

Pourquoi le procureur veut-il ouvrir une enquête ? 

Le phénomène est apparu il y a quelques années dans les cités des quartiers nord, et il n'a cessé de s'intensifier. Des jeunes des quatre coins de la France viennent à Marseille pour intégrer les réseaux du trafic de drogue avec l'espoir de gagner de l'argent. Guetteurs ou revendeurs dans l'un des 130 points de deal de la ville, les petites mains des réseaux défilent dans le box des prévenus au tribunal de Marseille, pour être jugés en comparution immédiate. La moitié des prévenus jugés à Marseille pour des petites affaires de trafic de stupéfiants ne sont pas originaires de la ville, selon le parquet. Un "esclavage moderne" selon le procureur de la République de Marseille, qui a demandé l'ouverture d'une enquête pour "traite d'êtres humains".

"Je suis très inquiet, car même si cela reste des auteurs et des personnes qui ont une complaisance coupable avec des choses qui sont illicites, tout autant ce sont des victimes", a-t-il expliqué sur franceinfo. Pour Nicolas Bessone, les trafiquants utilisent ces jeunes "précarisés" et "isolés comme "chair à canon pour (leurs) réseaux". Sans minimiser leur responsabilité dans les trafics dont ils font partie, le procureur estime qu'il faut "lutter férocement contre les têtes de ces réseaux qui profitent finalement de ces jeunes".  

Qui sont ces "jobbeurs" ? 

Leur job, le plus souvent, c'est faire le guet près d'un point de deal. Parfois, vendre la drogue. Jeunes adultes ou mineurs, parfois pré-adolescents, ils sont recrutés par petites annonces sur les réseaux sociaux, attirés par l'appât du gain facile. "On m’avait promis un poste pour vendre de la coke ou du shit, a témoigné auprès de France Bleu Provence un jeune Francilien de 19 ans, interpellé à la cité des Rosiers, dans le 14ᵉ arrondissement de Marseille. Jugé en comparution immédiate, il a écopé de six mois de prison avec sursis. 

En temps plein, je pouvais faire jusqu’à 500 euros par jour.

Un jobbeur

Franceinfo

Le procureur Bessone s'inquiète d'un "phénomène inquiétant" : la part croissante de jeunes femmes parmi ces jobbeurs. "On a eu quelques affaires récentes qui ne manquent pas de nous inquiéter puisqu'on a des femmes entre 20 et 30 ans qui vont être des logisticiennes, qui vont organiser des règlements de comptes, qui vont participer à des importations massives de drogue", précise-t-il. Contrairement au gros des troupes de jobbeurs, ces femmes sont plutôt des Marseillaises, employées en secours en cas d'empêchement des hommes incarcérés ou en fuite. 

Pourquoi ce phénomène prend-il de l'ampleur ? 

Les réseaux ont de plus en plus de mal à trouver de la main d'œuvre locale. Les risques du métier dissuadent les candidats locaux. À Marseille, la violence liée au trafic de drogue n'a jamais autant fait de victimes si jeunes. Depuis le début de l’année, fusillades, règlements de compte et autres violences liées au narcobanditisme ont fait 49 morts, contre 31 en 2022. 2023 est d'ores et déjà l'année la plus meurtrière depuis 2010.   

Pour les trafiquants, les jeunes recrues venues d'ailleurs présentent aussi plusieurs avantages. Dans cet environnement qui leur est étranger, ces jobbeurs sont totalement dépendants de leurs recruteurs. "Ils n’ont pas de repères. Il leur est donc très difficile d’imaginer concurrencer l’activité des réseaux de trafics de stupéfiants déjà établis", a expliqué Vincent Clergerie, magistrat au tribunal de Marseille, interrogé par franceinfo. Séquestrés, maltraités voire torturés, ces jobbeurs paient le prix fort quand le compte n'y est pas, si la drogue disparaît ou s'il manque de l'argent. Ils doivent parfois aussi travailler sans être payés pour rembourser une dette fictive. Ne connaissant personne et ne disposant que de très peu d'information sur le réseau, ils représentent aussi un moindre risque en cas d'interpellation. 

Est-ce nouveau d'évoquer la traite d'êtres humains pour les "jobbeurs" ? 

Le procureur Bessone n'est pas le premier à considérer les "jobbeurs" de Marseille comme des "victimes" et à évoquer la "traite d'êtres humains". En septembre 2023, trois procès ont mis en lumière la violence sans limite subie par les "interimaires de la drogue" à Marseille. Hakim, 15 ans, violé. Mathieu, originaire de Chartres, brûlé au chalumeau. Jules, séquestré et violenté toute une nuit. "C'est la réalité des points de vente. Ces victimes restent vivantes, mais elles sont détruites à l'intérieur", a déclaré au tribunal la procureure d'Aix-en-Provence Virginie Tavanti lors de son réquisitoire dans l'affaire Jules.

Les magistrats n'hésitent plus à parler de traite d'êtres humains. "Si vous lisez les études sur la traite des humains, vous retrouvez l'emprise, la peur, le secret, l'hypervigilance, les traumatismes physiques et sexuels, et le déni ou la minimisation du danger de la part des victimes", a expliqué à l'AFP Laurence Bellon, juge du tribunal pour enfants de Marseille, aujourd'hui à la retraite.

Que signifie la qualification pénale de "traite d'êtres humains" ?

Pour les Nations Unies, "la traite des êtres humains désigne généralement le processus par lequel des personnes sont placées ou maintenues en situation d'exploitation à des fins économiques".  
En France, le terme évoque le plus souvent travail forcé, esclavage, proxénétisme et exploitation sexuelle, prélèvement d'organes, etc. En 2022, près de 3 000 victimes ont été recencées. Dans le droit français, la traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende. Dix ans de prison et d'emprisonnement et de 1 500 000 € d'amende, s'il s'agit de mineurs. 

"La traite d'êtres humains est une qualification pénale très particulière, difficile donc à mettre en œuvre", avait déjà souligné la procureure de la République de Marseille, Dominique Laurens, en juin 2023 devant la presse. "Ces adolescents [recrutés dans le trafic de drogue] sont coincés dans un processus de répétition que l'on aborde aujourd'hui uniquement sous l'angle de la récidive, alors qu'il s'agit aussi d'emprise et de soumission à des réseaux très violents", insistait Laurence Bellon, pour qui il faut changer d'approche et surtout "les éloigner, voire les exfiltrer" le plus rapidement. 

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