La vidéo d'une future maman est devenue virale sur les réseaux sociaux. Elle décrit sa pathologie : la peur panique de l'accouchement.
"Je suis enceinte et je ne veux pas accoucher par voie basse parce que je souffre de tocophobie". Ce sont les mots de Sara, une jeune femme enceinte qui a choisi de parler ouvertement de cette pathologie sur les réseaux sociaux en février dernier. Une pathologie "trop peu connue" selon elle : la phobie de l'accouchement, ou de la grossesse en général. "Face à cette ignorance, je me dois, une nouvelle fois, de parler de ce sujet". Dans une vidéo publiée sur TikTok, Sara décrit sa phobie et bat en brèche les idées reçues. Une vidéo visionnée par plus d'un demi-million de personnes en 48 heures.
@monrireestillegal Je souffre de tocophobie & je ne veux pas accoucher par voie basse…
♬ son original - Sara
Une phobie qui peut mener jusqu'à l'IVG
La tocophobie - du grec "tokos", accouchement, et "phobos", peur - est reconnue par l'OMS depuis 1997. A la différence de la "simple" peur d'accoucher, partagée par 80% des femmes, la tocophobie correspond à un niveau de peur extrême. "C'est un trouble anxieux qui touche 6 à 11% des femmes", développe Sébastien Riquet, sage-femme, ex-enseignant à l'école de Maïeutique d'Aix-Marseille Université, aujourd'hui maître de conférence à l'Université Paris Nord. "La tocophobie est une peur sévère, voire invalidante. Les femmes qui en souffrent peuvent aller jusqu'à demander une césarienne dite de convenance, voire une interruption volontaire de grossesse".
Sébastien Riquet a coécrit un article universitaire en 2020 sur la peur de l'accouchement. "En France, cette phobie est peu connue, peu traitée", souligne-t-il. Outre-atlantique, une équipe de scientifiques américains a réalisé une étude avril 2023 sur la peur de l'accouchement. Les résultats ont été publiés dans la revue Evolution, Medecine and Public Health. Sur les 1 775 femmes interrogées, 62% ont répondu avoir peur de donner naissance.
Une peur qui peut être primaire, quand la femme n'a pas encore eu d'enfant, ou secondaire, pour une femme qui a déjà vécu un accouchement.
Dans le cas de Sara, il s'agit d'une peur primaire. Cela se manifeste par "une angoisse viscérale, décrit-elle sur TikTok. Ça me paralyse, ça génère de l’angoisse, on peut en faire des crises."
"Je me souviens de la première fois qu’on a abordé le fait d’avoir des enfants avec mon conjoint, on devait avoir 23 ans alors qu’on ne comptait pas en avoir avant 30 ans. J’étais assise sur le canapé et j’ai fait une crise d’angoisse."
La crise d’angoisse était telle que j’en ai fait un malaise, j’ai perdu connaissance.
SaraTikTok @monrireestillegal
Pour Sara, cette peur ne se limite pas à l'accouchement par voie basse. "Je ne suis pas à l'aise pour tout ce qui entoure la grossesse, explique-t-elle dans une autre vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Par exemple, quand je sens le bébé bouger dans le ventre, pour beaucoup, c'est mignon, moi ça me stresse énormément. Des femmes sont dégoutées de voir leur ventre rond".
"On me juge tout le temps"
La jeune femme explique devoir se justifier constamment. "Les réflexions partent d’un bon sentiment je pense, mais les gens ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent".
Sara liste les différents types de remarques qu'elle subit lorsqu'elle parle de sa maladie. En premier lieu, "les personnes qui donnent des conseils comme si j'étais totalement ignorante. Des réflexions de type : 'renseigne-toi bien avant de demander une césarienne même si tu souffres d'une phobie parce qu'il peut y avoir des complications'. Merci, mais quand on souffre de tocophobie, on est renseigné sur tous les aspects !".
Elle évoque ensuite les réflexions de type : "C'est une phobie, il suffit de la soigner !", ou encore, celle qu'elle reçoit le plus souvent : "C'est normal d'avoir peur, moi aussi j'avais peur, mais je l'ai fait".
Enfin, il y a des remarques "malveillantes, presque insultantes" : "Tu es complètement irresponsable, pourquoi tu fais un enfant ? Tu n'avais qu'à adopter !".
"On parle d’adopter comme si on achetait une baguette de pain", lâche-t-elle. "C'est sûr qu'adopter, c'est très très simple", ironise la jeune femme.
Concilier tocophobie et envie de devenir mère
"Suivi psychologique, EMDR, hypnose, sophrologie... une multitude de choses peuvent aider. Moi, j'ai tout essayé. Rien n’a jamais marché.", explique Sara. "On m’a dit de prendre le temps, que peut-être quelque chose allait se débloquer au cours de la grossesse, ce qui n’a jamais été mon cas."
Et pourtant, malgré cette peur viscérale, la jeune femme avait envie d'avoir un enfant. La solution pour elle a été la césarienne.
"Heureusement, j’ai été entourée de gynécologues, de professionnels qui me comprenaient et qui m’ont vraiment accompagnée là-dessus."
J’ai toujours été comprise dans ma démarche.
SaraTikTok @monrireestillegal
"Par chance, aujourd’hui, il y a des professionnels pour comprendre les femmes comme moi, sinon les femmes comme moi n’auraient pas d’enfants."
Dans les commentaires de la vidéo TikTok, de nombreuses femmes témoignent. "Je viens d'apprendre que je souffre de tocophobie" écrit l'une d'elles, qui semble s'être retrouvée dans ce témoignage.
Comme Sara, de plus en plus de mère osent parler de cette peur, parfois phobie, d'accoucher. C'est le cas de Josépha Raphard qui s'est exprimée dans le podcast sur la maternité Bliss Stories.
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Pour certaines femmes, l'accompagnement psychologique est nécessaire. Avant, pendant et après la grossesse.
Soigner la peur de l'accouchement
A Paris, Eugénie De Sevin est psychologue clinicienne dans un cabinet pluridisciplinaire de santé de la femme, Gynea. "Le moment de la grossesse est un moment charnière. Il se passe beaucoup de choses en termes de questionnement et en termes d’émotions. C'est un moment de perméabilité émotionnelle. Nos mécanismes de protection psychiques ne fonctionnent plus trop. Les émotions prennent beaucoup plus d'ampleurs".
"Je travaille avec les patientes autour des angoisses qui peuvent remonter, explique la psychologue. Je m'intéresse à la transmission, aux récits qui sont transmis dans la famille. Celles pour qui les peurs se focalisent sur l'accouchement ont souvent un antécédent traumatique. Par exemple une agression".
On a enlevé la douleur physique avec la péridurale, on n'a pas enlevé la douleur psychologique, intellectuelle.
Sébastien Riquet, sage-femme et maître de conférence
Pour que cette peur ne devienne pas pathologique, l'accompagnement des sages-femmes tout au long du processus de grossesse est important, note Sébastien Riquet. "La préparation à la naissance et à la parentalité (PNP) n'est pas suffisante, trop standardisée et ne prend pas suffisamment en compte l'émotionnel".
"Tout cela est lié au manque de moyens, de temps. Même si d'énormes progrès ont été faits, notamment à Marseille au niveau de la formation des sages-femmes, le projet de naissance et la question de la peur de l'accouchement ne sont pas suffisamment questionnés auprès des femmes".
Une peur maintenue par divers facteurs. "Notre histoire judéo-chrétienne avec la phrase de Moïse à Eve 'tu enfanteras dans la douleur' ou les films avec des scènes d'accouchement. Un haut niveau d'imaginaire collectif dans la société qui fait que les choses ne bougent pas." Les violences obstétricales subies par certaines femmes peuvent également jouer : "la peur d'une mauvaise prise en charge".
Pour contrer cette peur, l'enseignant-chercheur et sage-femme encourage les femmes à s'exprimer : "Cela vous appartient. Comment voulez-vous accoucher ? de quoi avez-vous envie ? C'est primordial d'en parler".