Les législatives des 12 et 19 juin prochain seront-elles comme ce fut souvent le cas par le passé une confirmation des élections présidentielles? Forts de leurs bons scores, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon espèrent entrer en force à l'Assemblée.
Dans sept semaines, les électeurs seront à nouveau invités à retourner aux urnes pour élire les députés. Troisième sur la marche du podium, Jean-Luc Mélenchon a dès le soir du 10 avril appelé à un troisième tour social rêvant de voir les électeurs l'imposer en premier ministre.
De son côté, forte de ses 13,6 millions de voix obtenues le 24 avril, un score jamais atteint par son parti, Marine Le Pen espère aussi faire entrer "un grand nombre de députés" RN aux Palais Bourbon.
"Il y a un enracinement du Rassemblement national depuis de longues années. Il est très fort dans les territoires où il était déjà fort, il y a un renforcement, on le voit dans les territoires ruraux notamment, qui est sans doute lié à la gestion de la crise sanitaire qui a capitalisé un certain nombre de protestations qui se sont exprimées sur ce vote au deuxième tour", analyse la politologue Christel Lagier.
Reste à savoir comment se traduira cette nouvelle poussée en Paca, où la candidate du RN s’est imposée d’une courte tête au second tour de la présidentielle.
"Les électeurs du RN sont des électeurs intermittents, ils ne sont pas toujours les mêmes et c'est le cas pour les autres formations politiques, ce sont des électorats très volatiles et très difficiles à saisir", souligne la politologue. Ce qui rend les projections assez hasardeuses.
Terre de droite jusqu’en 2017, Paca est aujourd’hui dominée par le parti présidentiel qui détient 22 des 42 sièges régionaux à l’Assemblée. LR a perdu 10 sièges n’en conservant que 15.
La nouvelle donne insoumise
A gauche, le PS a totalement disparu. La France Insoumise n’a remporté qu’un siège : Jean-Luc Mélenchon à Marseille (4e circonscription des Bouches-du-Rhône). Quant au parti communiste, il conserve un député, Pierre Dharréville dans la 13e circonscription, située à l’ouest de l’Etang de Berre autour de communes comme Istres, où le RN a fait 58,5 % des voix le 24 avril.
Le RN n’a aucun député sortant. L’extrême droite est représentée par un député de la Ligue du Sud, Jacques Bompard maire d’Orange député de la 4e circonscription de Vaucluse. En 1998, 2002 et 2017, le FN n’a pas réussi à transformer sa forte présence régional en victoire à l’Assemblée.
En projetant les résultats du premier tour de la présidentielle sur les 42 circonscriptions de la région Paca, on peut tenter de déterminer les grands enjeux des prochaines législatives.
Dans les Bouches-du-Rhône, Marine Le Pen réalise ses meilleurs scores dans le secteur de l'étang de Berre : à Saint-Victoret (70,34%), Port-Saint-Louis (68,90%), Fos-sur-Mer (68%), Châteauneuf-les-Martigues (65,70%), Gignac (65,34%), Istres (58,57%) ou encore Marignane (64,4%).... Des communes où le RN s'est souvent placé très largement en tête aussi au premier tour. Comme en 2017. Sans pour autant décrocher un siège au Palais Bourbon dans la foulée.
On note cependant une progression du vote lepéniste dans des communes comme Port-de-Bouc, où l'on vote communiste depuis 1944. Comme à Port-Saint-Louis-du-Rhône, les électeurs avaient placé Jean-Luc Mélenchon en tête au premier tour.
"Les problématiques sociales ont sans doute été insuffisamment prises en compte dans cette affiche de deuxième tour", explique Christel Lagier.
Au second tour, le parti présidentiel sauve la mise dans le département grâce aux grandes villes comme à Marseille (59,84%), grâce sans doute à un bon report des voix mélenchonistes qui ont joué le front républicain. Et le leader insoumis, qui a devancé Emmanuel Macron de près de 9 points au premier tour, tentera en juin de capitaliser son avantage pour être réélu et gagner de nouveaux sièges.
"Du fait du fort taux d'abstention à la présidentielle et du fait qu'au premier tour plus de 50 % des suffrages ne se sont pas portés sur les deux candidats finalistes, il y a du mécontentement et il y a un enjeu sur les législatives à venir", note Christel Lagier.
Quels enjeux dans les Alpes du sud?
Dans les Hautes-Alpes, les deux députés sortants sont LREM. En 2017, Pascale Boyer et Joël Giraud l’ont emporté contre des candidats de droite. Dans ce département, au premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron s’est imposé en tête (23,78%) mais il est talonné par Jean-Luc Mélenchon (22,87%) et Marine Le Pen (22,84%). Pour les législatives, la partie s'annonce serrée.
Dans les communes de la 2e circonscription, le 10 avril, Jean-Luc Mélenchon a devancé ses adversaires : à Briançon, L’Argentière-la-Bessée, Embrun et Guillestre. Marine Le Pen s'est imposée à Chorges, Orcières, Saint-Firmin et Savines-le-Lac, alors qu'Emmanuel Macron était devant à La Grave et Le Mônetier-les-Bains.
Mais dans les élections locales, la personnalité du sortant joue autant voir plus que son étiquette. Maire de l’Argentière pendant 28 ans, député depuis 2002, Joël Giraud est le ministre de la cohésion des Territoires et des Relations avec les collectivités territoriales du gouvernement Castex. Un élu bien en place.
La position de l’ancienne conseillère départementale Pascale Boyer, entrée à l’Assemblée en 2017 avec la vague en Marche pourrait sembler plus inconfortable sur le papier. Si Emmanuel Macron domine au premier tour de la présidentielle à Gap, Marine Le Pen prend l’avantage dans les communes d’Aspres-sur-Büech, La Bâtie-Neuve, Laragne-Montéglin, Saint-Etienne, Serrest et Tallard. Jean-Luc Mélenchon s’impose pour sa part à Barcillonnette, Orpierre, Rosans et Veynes.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les deux députés sortants sont aussi des marcheurs. Delphine Bagarry l’avait emporté face au FN dans la 1ère circonscription, alors que Christophe Castaner s’était imposé dans la deuxième, face à un candidat insoumis.
Dans ce département, au premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen a devancé de plus de 4 points Jean-Luc Mélenchon arrivé deuxième et de plus de 5 points Emmanuel Macron, troisième. Le président sortant a été battu par Marine Le Pen avec 51,45% des suffrages au second tour.
Le Vaucluse, toujours cible du RN
Le Vaucluse compte deux députés sortants LR, deux LREM et un extrême-droite. Comme il y a cinq ans, Marine Le Pen a fait de très bons scores dans ce département où elle arrive en tête avec 52% des voix au second tour de la présidentielle.
Malgré l’effondrement de la droite dans ce département, les députés LR sortants peuvent compter sur leur forte notoriété et leur longue implantation : Jean-Claude Bouchet est élu à l’Assemblée depuis 14 ans (2e circonscription) et Julien Aubert depuis 2012.
En Vaucluse, la candidate du RN améliore son score de 6 points par rapport à 2017. Marine Le Pen obtient plus de 60 % de voix dans une dizaine de communes comme Bédarrides (68,85%), Lapalud (64,21%), Mornas (63,37%), Saint-Christol (63,26%), Courthezon (63,25 %), Entraigues (61,07%), Camaret-sur Aigues (60,45%) ou encore Sorgues (60;81%).
En 2017, le FN y avait déjà fait d'excellents scores sans pour autant permettre l'élection d'un député.
Car quels que soient ses bons résultats en Paca, le parti lepéniste a bien du mal à concrétiser sa présence aux municipales, aux régionales comme aux législatives.
Duels, triangulaires et abstention
Aux dernières législatives, bien que présents dans de nombreux duels, ses candidats sont toujours sortis vaincus. Même dans le Vaucluse où son ancrage est ancien. En 2012, Marion Maréchal Le Pen a été élue dans la 3e circonscription du Vaucluse à faveur d’une triangulaire. Or, le nombre des triangulaires dépendra principalement du niveau de l’abstention.
Rappelons qu’aux législatives, les deux candidats arrivés en tête sont qualifiés au second tour, et tout candidat qui obtient 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits peut se maintenir.
Tout se joue sur l’abstention. Plus l’abstention est élevée, plus il est mécaniquement difficile d’atteindre le seuil imposé de 12,5 % des inscrits au premier tour. Ce qui limite les triangulaires.
Ainsi en 2012, on avait eu 12 triangulaires en Paca avec dans chacune d’elle un candidat FN. En 2017, le second tour des législatives s’est joué dans des duels dans les 42 circonscriptions de Paca.
La forte abstention notamment dans les milieux populaires a principalement pénalisé la FI et le RN. Et cette année encore l’abstention touche particulièrement ces catégories populaires et les jeunes qui constituent le cœur de ces électorats.
"Il va falloir aller chercher les électeurs qui ne veulent pas voter parce qu'on sait que les législatives risquent d'être beaucoup plus abstentionnistes que la présidentielle", rappelle Christel Lagier.
Autre donnée qui joue sur les triangulaires : le nombre de candidats en lice. En 2017, 623 prétendants s’étaient présentés au suffrage en PACA, avec en moyenne près de 15 candidats par circonscription, un éparpillement des voix couplé à une forte abstention rendant les triangulaires quasi-impossibles.
Pour Marine Le Pen se pose donc la question des accords après cette présidentielle perdue pour la troisième fois.
Dans ce scrutin majoritaire à deux tours, il lui faut impérativement conclure des alliances pour l'emporter, a rappelé Brice Teinturier, directeur d'Ipsos, sur France Inter: "Si vous avez 50% d'abstention, il faut obtenir 25% des exprimés. Cela suppose donc des alliances partout pour pouvoir gagner".
Eric Zemmour veut aussi récolter les fruits de ses 7% au premier tour. Il a appelé "le bloc national" à "s'unir" pour concrétiser une "union des droites", toute en relevant que c'est "la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen".
Au lendemain de la guerre fratricide entre Lepénistes et Zemmouristes dans cette présidentielle, il semble difficile d’envisager des alliances pour les législatives.
Pourtant, "des alliances sont possibles au plan local, estime Christel Lagier, ils surfent à peu près sur les mêmes électeurs donc ça va être compliqué pour eux de présenter partout des candidatures séparées".
La partie de cartes s'annonce d'autant plus compliquée pour Marine Le Pen qu'"elle a un parti affaibli et endetté, avec très peu de cadres et de responsables à positionner sur des postes pour les législatives", conclut Christel Lagier.