Comment la notion du consentement et la "culture du viol" peuvent évoluer grâce au procès de Mazan

Couvert par des médias du monde entier, emblématique de la question des viols sous soumission chimique, le procès des viols de Mazan est devenu un exemple pour les juristes et mouvements féministes qui veulent inscrire le consentement dans le code pénal.

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Elle n'en a aucun souvenir. Les scènes de viols que Gisèle Pelicot a décrites devant la cour criminelle de Vaucluse, elle les a découvertes sur les milliers de vidéos filmées par son mari, Dominique Pelicot, qui l'a droguée à son insu pendant 10 ans pour la faire violer par des dizaines d'inconnus. Le procès des viols de Mazan qui se tient depuis le 2 septembre à Avignon, et pour lesquels 51 hommes sont jugés, est devenu emblématique de la question de la soumission chimique. Ce procès relance aussi le débat sur la notion du consentement, absente du code pénal. Son retentissement pourrait accélérer l'évolution du droit français. Comme le procès aixois de 1978 pour juger les violeurs de deux touristes Belges à Marseille, a permis sous l'impulsion de l'avocate féministe Gisèle Halimi de définir le viol en France dans la loi en 1980. Le droit français définit depuis le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle" ou bucco-génital commis par "violence, contrainte, menace ou surprise", sans mentionner l'existence ou non du consentement.

Le consentement dans les stratégies de défense

Dans l'affaire des viols de Mazan, l'endormissement de la victime au moment des faits, sous soumission chimique, entre dans la catégorie du viol par "surprise", souligne la juriste Catherine Le Margueresse, auteur de "Les pièges du consentement" (éditions iXe), qui travaille depuis longtemps sur cette question, notamment sur le terrain, en accompagnant des victimes.

Mais cette semaine, à Avignon, les débats ont relancé la question du consentement de Gisèle Pelicot, inconsciente au moment des agressions. Les avocats de la défense affirment que leurs clients pensaient participer à un jeu."Il y a viol et viol, sans intention de le commettre, il n'y a pas viol", a ainsi affirmé Maître Guillaume de Palma le 10 septembre. Le Code pénal stipule qu'"il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre", sauf dans certaines exceptions comme l'homicide involontaire. "Il faut pour qu'il y ait viol que la démonstration soit faite de l'intention coupable de l'auteur", a résumé Maître de Palma.

Définir le consentement positif dans le code pénal

Pour la chercheuse, qui a présidé lAssociation européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) de 1998 à 2008, c'est cette stratégie sur l'intentionnalité adoptée par les avocats de la défense au procès de Mazan qui pourrait faire changer les choses sur la question du consentement. Un jeu ? Soit ! "Qu'est-ce qu'il se passerait si on inscrivait dans le code pénal une définition du consentement positif, ça veut dire que c'est seulement si la personne dit 'oui' explicitement, qu'on peut avoir une activité sexuelle avec quelqu'un, là en l'occurrence, elle n'était pas en état de dire oui, et elle a n'a pas dit oui", interroge Catherine Le Margueresse.

Si le consentement positif était inscrit noir sur blanc dans le code pénal, la charge de la preuve ne serait plus à faire par la victime, explique-t-elle. 

Plutôt que de demander à la victime, ce qui est le cas aujourd'hui, comment elle a résisté, comment (le violeur) a pu vraiment comprendre qu'elle n'était vraiment pas d'accord, c'est l'inverse qui va se passer.

Catherine Le Margueresse, juriste et auteur

France 3 Provence-Alpes

"C'est-à-dire qu'on va lui demander comment ça s'est passé et ensuite, on va se tourner vers l'autre personne mise en cause, et en lui demandant : monsieur, comment vous vous êtes assuré du consentement de madame, quelle mesure raisonnable, vous avez prise pour être certain qu'elle était d'accord ?", détaille la juriste.

"Qui ne dit mot ne consent plus"

En clair, si la victime "dit non, ça veut dire non, si elle ne dit rien, ça veut dire non", car "qui ne dit mot ne consent plus, alors qu'aujourd'hui, on a souvent : elle n'a rien dit, alors j'ai cru que c'était bon parce que sinon elle aurait dit non, elle aurait résisté", résume la doctoresse en droit.

La ministre démissionnaire, chargée de l'Egalité femmes hommes, Aurore Bergé, a, elle aussi, estimé ce jeudi 12 septembre sur RTL que le procès de Mazan démontre le besoin de définir le consentement dans le Code pénal. "Il faut que la question du consentement soit inscrite noir sur blanc dans le Code pénal, soit définie dans le Code pénal", a déclaré l'ex-ministre.

Dans ce domaine, la France est très en retard par rapport à d'autres pays. Le Canada a fait évoluer son droit dans ce sens dès 1992.

75% de condamnations en plus en Suède

Plus près de nous, la Suède fait cette modification de son code pénal en 2018. Cela a conduit à une augmentation de 75 % de condamnations. Une hausse en partie due au fait que "les femmes suédoises ont davantage confiance dans le droit". D'autres voisins de la France ont passé le pas. L'Espagne en 2022 et la Belgique en 2023. 

"Au-delà des chiffres des condamnations, ajoute Catherine Le Margueresse, l'important, "c'est la fonction pédagogique de la loi, ça change aussi le message qu'on envoie" aux agresseurs alors qu'en France, "notre droit pénal repose sur une présomption du consentement, donc on est supposée être d'accord et on accepte qu'un non est un vrai non quand c'est corroboré par violence, contrainte, menace, surprise, ce qui est juste inacceptable"

En France, on évalue à environ 220 000 le nombre annuel de victimes de viols, de tentatives de viol et d’attouchements sexuels parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans, ce qui correspond à environ 80 000 viols par an en France. Seule une victime sur dix porte plainte et les deux tiers des affaires sont classées sans suite. Chaque année, environ 1 500 condamnations sont prononcées en cours d'assises.

La France et la "culture du viol"

Le procès de Mazan contribuera peut-être à faire évoluer les mentalités, toujours très marquées en France par la "culture du viol", selon Catherine Le Margueresse. En début d'année, l'Europe a adopté une directive visant à harmoniser le droit des pays membres sur les violences faites aux femmes. Mais le texte a été amputé d'une définition communautaire du viol, la France refusant de le caractériser par l'absence de consentement de la victime. Une ligne partagée par l'Allemagne et la Hongrie.

En mars, en réponse à l'association Choisir fondée par Gisèle Halimi, Emmanuel Macron s'est dit favorable à l'inscription d'une définition pénale du viol en France. "On connaît le poids des déclarations", ironise Catherine Le Margueresse, car depuis "c'est le point mort". Mais l'Europe pourrait faire plier la France, qui a ratifié la convention d'Istanbul sur les violences faites aux femmes et qui a déjà été épinglée à deux reprises par le Conseil de l'Europe pour le non-respect de ce texte. Encore faut-il que "le consentement soit caractérisé, dans le texte de loi, sinon ce sera contre-productif, voire dangereux pour les victimes", met en garde la chercheuse.

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