"C'est un cri du cœur" : quatre questions sur la personnalité juridique des rivières, qui permettrait d'agir contre les pollutions

Le 25 novembre 2023 était rédigée la Déclaration des droits de Durance. Une action symbolique qui s'inscrit dans le mouvement international des droits de la nature visant à accorder une personnalité juridique aux éléments naturels pour mieux les protéger. On vous explique les principes d'une démarche qui suit son cours dans toute l'Europe.

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Le 25 novembre 2023 était rédigée la Déclaration des droits de Durance. Un acte symbolique fort qui s'inscrit dans le mouvement international des droits de la nature visant à conférer une personnalité juridique aux éléments naturels pour mieux les protéger. Cette initiative de l'association SOS Durance Vivante emboîte le pas à des actions similaires dans l'Hexagone. On vous explique cette démarche qui impose de reconnaître que "la nature et l'homme ne font qu'un".

Qu'est-ce que la personnalité juridique d’un cours d'eau ?

Une manière différente d'envisager les relations entre l’homme et la nature. La porte-parole de l'association SOS Durance Vivante y tient : il faut enlever l'article "la" qui précède le nom d’une rivière, pour cesser de la considérer comme "un objet ou une chose placée sous la domination de l'homme". Selon Solange Follet, "Durance est une ENJ, une entité naturelle juridique", au même titre que les requins ou les tortues de nouvelles Calédonie qui sont les premières en droit français à bénéficier de cette reconnaissance depuis le mois de juin 2023.

Face aux menaces sur leur écosystème, les cours d'eau pourraient ainsi "vivre leur vie" et s'exprimer en leur nom propre. En France, l'idée de doter des écosystèmes d'une personnalité juridique fait son chemin, collectifs et citoyens œuvrant pour faire avancer cette cause.

Sur les traces du fleuve Tavignanu en Corse en 2021, ou de la Têt dans les Pyrénées orientales, d'autres cours d'eau comme la Loire, la Seine, la Garonne et désormais la Durance font leur révolution juridique et revendiquent leurs droits identiques à ceux de l'homme.

Existe-t-il des précédents ?

Aujourd'hui, les droits de la nature sont appliqués dans plusieurs pays, comme l'Équateur, qui en 2008, a inscrit dans sa Constitution "les droits à la Terre mère, les droits de la "Pachamama", à vivre, à exister et à prospérer". La Bolivie a fait la même chose en 2010.

Pour la première fois en Colombie, en 2017, les magistrats de la Cour constitutionnelle déclarent le fleuve Atrato, "sujet de droit", enjoignant l’État colombien à assainir ses eaux contaminées au plastique et au mercure, souillées par une exploitation minière illégale.

La nature n'est devenue qu'une ressource, alors que de nombreuses sociétés traditionnelles la sacralisent comme un don qu'il faut préserver.

Victor David, chercheur en droit à l'IRD

France 3 Provence-Alpes

En 2017, après 150 ans de combats, en Nouvelle-Zélande le parlement reconnaît la rivière Whanganui, le plus long cours d'eau navigable du pays, comme une entité vivante et la dote du statut de "personnalité juridique", répondant aux exigences culturelles des tribus maoris formant un tout avec l’univers. La même année, en Inde, trois cours d'eau, dont le Gange, fleuve sacré long de 2 500 km, sont reconnus comme des êtres vivants. Le statut de personnalité morale apparaît comme un levier pour stopper les pollutions par des rejets industriels et d'égouts, ou encore de freiner des projets gouvernementaux dévastateurs.

Le parlement espagnol accorde, de son coté en 2022, ce statut unique, à l’un de ses espaces naturels les plus dégradés : la Mar Menor, une lagune paradisiaque d'Andalousie défigurée à coups de rejets de l’agriculture intensive.

Sur le territoire français, à ce jour, seules des espèces animales ont obtenu le statut d'entités juridiques. En Nouvelle-Calédonie, "le principe unitaire de vie a été accepté en 2016," explique Victor David, chercheur en droit à Institut de recherche pour le développement, "à savoir que l'homme et la nature ne font qu’un. L'homme est la nature ".

Qu'est-ce que ce statut peut changer ? 

Accorder à un cours d'eau les mêmes droits qu'à une personne, c'est permettre à des citoyens de saisir la justice, au nom de ces entités naturelles, face aux pollueurs par exemple ou à tout ce qui peut constituer une menace. C'est ce qu'envisage de faire SOS Durance vivante dans plusieurs dossiers d'aménagement de la rivière, notamment à Pertuis et Cavaillon.

Il ne s'agit pas de revenir à Cro-Magnon, mais il faut retrouver un équilibre avec la nature et la défendre face à la cupidité des hommes.

Victor David, chercheur en droit

France 3 Provence-Alpes

Ce statut offrant un arsenal juridique nouveau, des entreprises, des collectivités territoriales vont également pouvoir se tourner les tribunaux pour défendre la nature, là où "le droit de l'environnement français ou européen présente jusqu'ici des failles", explique Victor David " il existe toujours des dérogations, on le voit avec les abeilles", espèces essentielles menacées de disparition par l'usage de pesticides et "malgré tout, on resigne pour 10 ans de glyphosate"

... et pour la Durance ?

"Durance est historiquement la rivière la plus aménagée de France", explique Solange Follet, ayant perdu "sa liberté" au fil du temps ainsi que certaines de ses fonctions vitales : "ses canaux bétonnés et busés contrarient le cycle de l'eau et l'alimentation des nappes phréatiques, car il n'a plus de perméabilité". Autre exemple, selon Solange Follet, "les 16 barrages qui jalonnent la Durance, empêchent les poissons de remonter en période de reproduction, et constituent une entrave au bon fonctionnement d'un écosystème de rivière ". 

La légalité, qui sert les projets d'urbanisme et d'aménagement, doit changer de camp, dit-elle et grâce "cet outil juridique, toute atteinte aux droits de la Durance et à son existence propre demain devra être justifiée et pourrait être condamnée le cas échéant".

"C'est un cri du cœur des riverains, comme il y en a d'autres en France" conclut Victor David, "des actions qui, par leur multiplication" ont pour but de sensibiliser les élus à faire évoluer le droit français.

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