VÉRIFICATION. Covid 19 : la seconde vague est-elle liée à une souche provenant d'élevages de visons au Danemark ?

Dans un tweet posté le 10 décembre, Didier Raoult rapproche la deuxième vague de l'épidémie d'un élevage de visons contaminés au Covid-19 au Danemark. Mais cette hypothèse n'est pas validée par les spécialistes interrogés par France 3. Décryptage.

Nouvelle souche, nouvelles questions ? La Première ministre danoise, Mette Frederiksen, a annoncé, début novembre, l'abattage de la totalité des visons élevés sur son territoire, soit plus de 15 millions, en raison d'une mutation du Covid-19 transmise à 12 personnes. Au même moment, six pays avaient déjà rapporté des cas de SARS-CoV-2 dans des élevages de visons : le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, l’Italie et les États-Unis. Une "éclosion" de Covid-19 a également été déclarée dans une ferme en Colombie-Britannique, indique Radio-Canada. Huit membres du personnel ont été dépistés positifs.

Le professeur Didier Raoult a émis, jeudi 10 décembre, l'hypothèse que les visons contaminés au Danemark étaient liés à la deuxième vague de l'épidémie de Covid-19. "Nous pensons que la deuxième partie de l'épidémie, qui a commencé en juillet (...) est due à une souche provenant des élevages de visons du Danemark", a déclaré le directeur de l'IHU Méditerranée sur Twitter.

Si la transmission du virus du vison à l'homme est avérée, peut-on supposer que la seconde vague de l'épidémie de Covid-19 est liée à une souche provenant des élevages de visons au Danemark, comme l'affirme Didier Raoult ?

• Quelles sont les différences entre variantes, mutations et souches du virus ?

La souche détectée chez les visons danois, une mutation du SARS-CoV-2 est nommée "Cluster 5". Ce n'est pas la seule mutation détectées au Danemark. Jannik Fonager, virologue au Statens Serum Institut de Copenhague, a rapporté à Nature (revue scientifique de référence) que les prélèvements effectués auprès de 40 fermes danoises avaient mis en évidence l'existence de 170 variations du virus.

Comme tous les virus, le SARS-CoV-2 mute en permanence. Une fois qu'il a infecté nos cellules, il se réplique en réalisant des copies de lui-même. Parfois, ces copies présentent des "erreurs", ce sont des mutations."Ces erreurs peuvent être silencieuses, sans impact, mais elle peuvent aussi induire un changement délétère ou avantageux pour le virus, explique à France 3 Yves Gaudin, virologue et directeur de recherches CNRS à l’Université Paris-Saclay. Dans le cas d'une mutation délétère, le virus peut être moins fort, dans le cas inverse, le virus peut par exemple être plus facilement propagé, ou mieux survivre sur les surfaces"

"Les mutations expliquent aussi le passage d’un virus d’une espèce à une autre : elles jouent un rôle dans l’adaptation du virus au nouvel hôte", est-il expliqué dans un article de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publié en octobre .

"À la base, le virus n'est pas totalement adapté à l'animal. C'est pour ça qu'il y a une série de mutations."

Yves Gaudin

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 214 Danois positifs depuis le mois de juin présentaient des variantes du SARS-CoV-2 associées à des visons d'élevage. "Les visons peuvent agir comme un réservoir de SRAS-CoV-2, en transmettant le virus entre eux, et présentent un risque de propagation du virus du vison à l'humain".

Le virus du Covid-19 est un virus à ARN. Contrairement aux virus à ADN, il mute plus rapidement et plus fréquemment. Mais comme le souligne l'Inserm, "les coronavirus sont néanmoins plutôt stables (...). Le SARS-CoV-2 muterait ainsi environ deux fois moins rapidement que les virus grippaux".

"À l'heure actuelle, on est sur des variants du SARS-CoV-2, affirme Yves Gaudin. On voit un certain nombre de différences mais les coronavirus se propagent de la même façon, les personnes infectées ont à peu près les mêmes symptômes. On est sur une très grande homogénéité du virus".

Une deuxième souche issue des visons, comme le laisserait entendre Didier Raoult n'est pas d'actualité selon le virologue. 

"On parle de souche quand le virus accumule des mutations, et qu'il évolue différemment. Aujourd'hui, ne voit pas apparaître de nouvelle souche."

Yves Gaudin

Quant à la "deuxième partie" de l'épidémie qu'évoque Didier Raoult, Jean Gaudart, épidémiologiste à l'Inserm, souligne que ses prémices ont été décelées "dès le mois de juin en Europe de l'Est et même au Luxembourg". Cela ne correspondrait pas à l'apparition des contaminations au sein des élevages danois.

Contactée par France 3, l'équipe du professeur Raoult évoque "un faisceau de preuves" amenant à cette hypothèse, mais réserve ses explications pour l'instant. "On devrait communiquer dans plusieurs jours".

• Les variantes du SARS-CoV-2 sont-elles plus dangereuses ?

Le 6 octobre, le professeur marseillais parlait d'une nouvelle variante du coronavirus, "moins bénigne que la précédente", à savoir celle de "juillet-août". Ce "variant 4", serait, selon lui, la cause de la deuxième vague de l'épidémie.

Or, d'après l'Inserm, "plusieurs dizaines de mutations du SARS-CoV-2 ont déjà été décrites, sans que des conséquences sur l’épidémie aient été mises en évidence". C'est le cas de la mutation D614G au niveau de la protéine Spike du virus qui a fait l'objet d'une publication dans le journal Cell. Des études ont ensuite montré que cette mutation a pour effet de rendre le virus plus facilement transmissible. 

"Néanmoins, les implications de cette transmissibilité accrue du coronavirus en matière de sévérité de l’infection et de mortalité sont encore loin d’être claires. Il n’existe pour le moment aucune donnée pour soutenir l’idée que cette mutation aurait rendu le virus plus virulent", précise l'Inserm.

Lundi 14 décembre, le ministre de la Santé britannique Matt Hancock a annoncé qu'une nouvelle variante du virus avait été identifiée au Royaume-Uni. Détectée chez plus de 1 000 patients, cette variante pourrait être impliquée dans la propagation "exponentielle" du virus dans le sud-est de l'Angleterre. Le ministre a toutefois indiqué que rien ne laissait penser à une forme plus grave de la maladie ni qu'elle ne réponde au vaccin. 

L'Inserm précise que les mutations des virus "ont toujours fini par aboutir à une atténuation de leur virulence. Les virologues espèrent que ce sera aussi le cas pour l’épidémie de SARS-CoV-2."

Selon Kåre Mølbak, le responsable de l'Autorité danoise de contrôle des maladies infectieuses (SSI) entendu par l'AFP, le virus muté détecté sur les visons "ne réagit pas autant aux anticorps que le virus normal. Les anticorps ont toujours un effet, mais pas aussi efficace". "La poursuite de l'élevage de visons impliquerait un risque beaucoup plus élevé pour la santé publique, tant au Danemark qu'à l'étranger", a-t-il ajouté.

Dans un communiqué du 6 novembre, l'OMS tempère : "Les premières observations suggèrent que la présentation clinique, la gravité et la transmission des personnes infectées sont similaires à celles des autres virus du SARS-CoV-2 en circulation."

Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Nul ne peut le prédire. "A terme, on peut voir apparaître dans quelques mois, années, une nouvelle souche chez le vison, souligne Yves Gaudin. Le virus peut diverger par rapport au virus humain. Cette souche peut revenir chez l'homme en étant différente, et suffisamment différente pour créer une maladie".

Dans cette hypothèse, qui reste pour l'heure théorique, notre système immunitaire pourrait alors ne pas être assez efficace pour ceux qui avaient déjà contracté la maladie. Cette souche pourrait aussi compromettre l'efficacité des vaccins anti Covid. Mais elle pourrait aussi être bénigne.

• Pourquoi le vison peut-il transmettre le virus à l'homme ?

Le vison fait partie de la famille des mustélidés, tout comme la belette, la fouine, l'hermine ou encore le furet. "Ils ont des récepteurs qui permettent d'accrocher le virus de la Covid-19, les récepteurs ACE2", explique Barbara Dufour, professeur d'épidémiologie et de maladies infectieuses à l'École nationale vétérinaire d'Alfort.

"Cette espèce est réceptive et sensible au SARS-CoV-2, avec une transmission intra-espèce avérée et inter-espèce présumée, publie l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans un communiqué le 19 novembre. Les événements survenus aux Pays-Bas et plus récemment au Danemark, sont en faveur d’une transmission-retour du virus à partir des visons infectés vers les humains". En clair : les humains auraient contaminé les visons, le virus a muté dans l'organisme des visons, les visons ont à leur tour contaminé d'autres humains.

L'agence souligne que cette transmission du virus des visons vers l'homme est "vraisemblablement" liée au contexte de "forte pression virale due à une densité élevée de la population animale au sein de ces élevages". "Les visons d'élevage sont très concentrés dans des bâtiments fermés. Le confinement et la densité sont propices à la circulation d'un agent pathogène entre eux", détaille Barbara Dufour.

Dans une publication du 12 novembre, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), a invité les pays de l'Union européenne et le Royaume-Uni à prendre "des mesures de prévention et de contrôle des infections pour les travailleurs des élevages de visons et les visiteurs". L'ECDC appelle également à tester les visons et à élaborer des "stratégies de préparation et de réponse"

De son côté, la Russie est sur le point d'achever les essais cliniques d'un vaccin Covid-19 pour les animaux domestiques et le vison, rapporte Reuters le 14 décembre. Le processus réglementaire d'approbation devrait commencer fin février.

Qu'en est-il de nos animaux domestiques ? Selon l'Anses, les chats peuvent être contaminés et contaminer à leur tour d'autres chats, mais il n'existe pas de données scientifiques mettant en évidence une transmission du virus depuis le chat vers l'homme. Concernant les chiens, très peu ont développé des signes cliniques de contamination. "Par ailleurs, les essais réalisés sur des chiens contacts n’ont pas permis de démontrer une transmission du virus entre eux", note l'agence. Idem pour une transmission vers une autre espèce.

Enfin, un premier cas de Covid chez un animal sauvage a été relevé le 11 décembre par The National Veterinary Services Laboratories du département de l'Agriculture des États-Unis. Le virus SARS-CoV-2 a été détecté chez un vison sauvage dans l'Utah. 

• Y a-t-il un risque de contamination provenant des élevages français de visons ?

Les visons français ne sont pas épargnés par l'épidémie. Fin novembre, les ministères de l'Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique ont annoncé la présence de Covid-19 dans un des quatre élevages de visons de France, en Eure-et-Loir (28) et "l’abattage de la totalité des 1.000 animaux encore présents sur l’exploitation et l’élimination des produits issus de ces animaux"

Interrogé sur Franceinfo, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie a botté en touche : "À ce stade, je ne peux pas vous dire comment cette situation est arrivée""Toutes les mesures sanitaires, et de biosécurité, sont prises", a-t-il ajouté avant de préciser que la France faisait face à une "situation très différente de celle du Danemark" : "Nous n'avons que 20 000 visons, dans quatre élevages. Nous les suivons au cas par cas avec une très grande précision".

"Les résultats des analyses réalisées sur les éleveurs des 4 élevages se sont tous révélés négatifs. Une surveillance renforcée a été mise en place pour 4 personnes en lien avec l’élevage contaminé et de nouvelles analyses sont en cours", a précisé le ministère de l'Agriculture. Le 9 décembre, le ministère a publié les résultats concernant les trois autres élevages en France. "Un élevage de visons a été entièrement dépeuplé et les trois autres sont aujourd’hui indemnes de SARS-CoV-2".

"L’analyse de séquençage du virus découvert dans l’élevage d’Eure-et-Loir permet d’exclure toute contamination par le variant SARS-CoV-2, souligne le ministère. Une transmission locale à partir d’humains infectés par le SARS-CoV-2 constitue la source la plus probable de contamination des visons de cet élevage". C'est donc bien l'homme qui aurait contaminé ces visons.

L'Anses a été saisie le 27 novembre pour définir "les modalités appropriées de surveillance de l'infection SARS-Cov-2 à mettre en place dans les trois élevages, pour les visons comme pour les travailleurs au contact de ces animaux". Son avis est attendu pour la mi-décembre.

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