Adoptée à une très forte majorité par les luthériens et réformés, la possibilité de bénir des couples homosexuels ne fait pas l'unanimité dans le monde protestant. En Alsace-Moselle, l'UEPAL s'est donnée trois ans, le Conseil des évangéliques y voit quant à lui une évolution "consternante".
En juin 2014, l'Union des Eglises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL) s'était donnée "un délai de trois ans avant d'envisager de reprendre cette question en assemblée". Et le moratoire ira jusqu'au bout.
Bénédiction des couples homosexuels: les Églises protestantes désunies
Adoptée à une très forte majorité par les luthériens et réformés, la possibilité de bénir des couples homosexuels est cependant loin de faire l'unanimité du monde protestant. Le Conseil des évangéliques y voit même une évolution "consternante", et périlleuse pour les relations oecuméniques. Dimanche lors d'un synode national, deux ans après l'adoption de la loi Taubira autorisant le mariage homosexuel civil, l'Église protestante unie de France (EPUdF) a pris une décision quasiment inédite dans le paysage religieux français, mais avec de grandes précautions."Le synode est soucieux à la fois de permettre que les couples de même sexe se sentent accueillis tels qu'ils sont et de respecter les points de vue divers qui traversent l'Église protestante unie", proclame le texte adopté à Sète (Hérault). "Il ouvre la possibilité, pour celles et ceux qui y voient une juste façon de témoigner de l'Évangile, de pratiquer une bénédiction liturgique des couples mariés de même sexe qui veulent placer leur alliance devant Dieu", ajoute la décision, qui laisse donc parfaitement libres ses pasteurs.
L'équilibre du texte explique en partie le raz-de-marée en sa faveur (94 voix pour, 3 contre). Mais cette quasi-unanimité ne reflète pas les divergences de vue au sein même d'une EPUdF qui, avec ses quelque 110.000 membres actifs parmi 400.000 personnes faisant appel à ses services, incarne le courant central et historique du protestantisme français, avec des sensibilités théologiques diverses.
Plusieurs dizaines de pasteurs et responsables locaux de cette Église avaient ainsi signé un "appel" invitant à ne pas statuer "dans la hâte de répondre à la pression de la société et l'évolution de ses moeurs". Parmi eux le charismatique pasteur du temple du Marais à Paris, Gilles Boucomont, s'inquiétait qu'"une décision synodale majeure puisse être prise contre tous les textes bibliques".
Lundi, ce piétiste opposait aux événements un silence prudent, sinon désapprobateur. Le Conseil national des évangéliques de France (Cnef) n'avait pas ces pudeurs, estimant que le synode de l'Église protestante unie "a pris une décision consternante", celle de "promouvoir une grâce à bon marché bien éloignée de l'Évangile de Jésus-Christ et de ses exigences en matière d'éthique de vie".
Révolution très tranquille
Or le Cnef revendique sous son ombrelle 70% des évangéliques français, une mouvance volontiers conservatrice sur les questions de société mais en plein essor démographique, qui est estimée aujourd'hui à quelque 600.000 pratiquants réguliers. Cet organe représentatif prévient: "Nul doute que la décision de l'Église protestante unie marquera de façon négative les relations qu'elle entretient avec les protestants évangéliques et compliquera aussi les relations avec les autres Églises."Sûre de son magistère, qui considère le mariage comme un sacrement accessible aux seuls couples hétérosexuels, l'Église catholique n'a pas réagi officiellement à la décision luthéro-réformée. Venu en voisin à Sète, l'archevêque de Montpellier, Mgr Pierre-Marie Carré, a cependant confié au quotidien catholique La Croix que ce vote "ne va sans doute pas simplifier les choses" sur le plan oecuménique, car il "souligne les différences qui existent aujourd'hui entre nous pour ce qui relève des question morales". Le pasteur (réformé) François Clavairoly, président d'une Fédération protestante de France (FPF) à laquelle appartient l'EPUdF mais qui comprend aussi des Églises évangéliques, reste serein: "On n'a jamais été aussi reliés les uns aux autres dans le dialogue oecuménique". La décision de Sète est "un sujet qu'on abordera certainement, mais qui ne remettra pas an cause les acquis" du dialogue, assure-t-il à l'AFP.
Quant au pasteur Daniel Cassou, porte-parole de l'EPUdF, il préfère ne pas dramatiser l'enjeu d'une "révolution très tranquille" qui "ne remet pas en cause le coeur de la doctrine protestante", et qu'il voit plutôt comme une "réponse pastorale" à des demandes "quantitativement marginales". Dans les Églises étrangères où cette possibilité est déjà offerte, le nombre annuel de bénédictions de couples homosexuels est de l'ordre de "une pour cent mille" fidèles, fait-il valoir.