Le potentiel géothermique du sous-sol de Bure (Meuse) a-t-il été délibérément sous-estimé pour faciliter l'implantation d'un futur centre de stockage de déchets radioactifs? Le TGI de Nanterre, saisi par des antinucléaires, examine cette question sensible lundi 5 janvier 2015.
Au printemps 2013, six associations antinucléaires ont assigné "en responsabilité pour faute" l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), l'accusant d'avoir "délibérément dissimulé" les ressources géothermiques de Bure.
Des militants de ces associations, dont le réseau Sortir du Nucléaire, ont prévu de manifester lundi 5 janvier 2015 dès 14H00 devant le tribunal de grande instance de Nanterre, où une audience doit se tenir devant la 6e chambre civile.
Les associations réclament chacune 3.000 euros en réparation.
"L'objectif est surtout d'obtenir une reconnaissance symbolique d'une faute de l'Andra pour montrer qu'elle n'est pas infaillible et qu'elle sait tricher quand elle veut." Antoine Godinot, géologue de l'association BureStop 55.
A Bure, une zone rurale très faiblement peuplée aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, l'Andra propose d'installer son futur "centre de stockage industriel géologique" (Cigéo), pour entreposer à 490 mètres de profondeur des déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue provenant des centrales nucléaires françaises.
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exclut toutefois une telle entreprise sur tout site en France présentant "un intérêt particulier" pour la géothermie. Aussi, depuis plus de 11 ans, les associations opposées au projet Cigéo tentent de démontrer l'intérêt géothermique du sous-sol de Bure.
Leur avocat, Me Etienne Ambroselli, fait aussi valoir "un risque sérieux" si de telles ressources souterraines venaient un jour à être exploitées à proximité du centre, redoutant des "perforations des déchets" radioactifs par des forages.
"La crédibilité de l'Andra est en jeu" dans cette affaire, a-t-il encore estimé.
Une bataille d'expertises
De son côté, l'Andra réfute les accusations d'avoir menti sur le potentiel géothermique.Au regard d'études qu'elle a diligentées en 2007-2008, "il n'existe pas de ressources géothermiques exceptionnelles" dans la zone de 30 km² étudiée pour Cigéo, répète-t-elle. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a aussi estimé en 2013 qu'au vu de ces tests, le potentiel géothermique de Bure n'était "pas de nature à remettre en cause le choix du site d'implantation du projet Cigéo", au regard des critères de l'ASN.
Les antinucléaires contestent la précision de ces études, qu'ils jugent par ailleurs incomplètes, réclamant notamment des forages plus profonds. En 2013 une contre-expertise de Geowatt, un bureau d'études suisse, avait conforté leurs doutes.
Après avoir mené en 2013 un débat public controversé sur le projet Cigéo, l'Andra a proposé un démarrage progressif de l'exploitation du centre à partir de 2025, avec une phase industrielle pilote de 5 à 10 ans. L'Andra compte finaliser sa demande de création du centre en 2017, dans l'optique d'un décret d'autorisation à l'horizon 2020.
L'exploitation de Cigéo est prévue pour durer au moins un siècle, tout en étant "réversible" et "flexible" sur cette période, rappelle l'Andra, afin de laisser aux générations futures un maximum de possibilités pour permettre des adaptations techniques, voire le retrait des "colis" radioactifs de leur tombeau souterrain.
Sous la pression des antinucléaires, un article qui devait préciser le critère de réversibilité et réviser le calendrier des procédures d'autorisation du centre avait été retiré début décembre du projet de loi pour la croissance et l'activité, dite "loi Macron".
De grosses incertitudes pèsent également sur le coût final du projet, actuellement en cours de réévaluation par l'Andra. De précédentes estimations, divulguées par une commission d'enquête parlementaire sur les coûts de la filière nucléaire, parlaient d'une trentaine de milliards d'euros, soit deux fois plus qu'initialement prévu.