Démantèlement. C'est le mot du moment à Calais. Est-il la solution miracle permettant de résoudre l'épineux dossier des migrants ? Tous ceux qui connaissent bien la situation en doutent fortement.
Démantèlement ne veut pas dire évacuation
Quand Bernard Cazeneuve annonce "la fermeture définitive la plus rapide possible", certains ont-ils compris : il n'y aura bientôt plus de migrants à Calais ? A lire certains titres dans les médias, à écouter certains élus, on pourrait presque le croire.La réalité est toute autre. Car ce qu'on appelle communément la "Jungle" de Calais regroupe deux réalités bien différentes depuis plusieurs mois. D'un côté, des containers aménagés. Un centre d'accueil provisoire "officiel", géré par l'Etat. De l'autre, des cabanes, des tentes, dans la zone Nord. Y vivent des migrants arrivés ces derniers mois à Calais et qui n'ont pas de place dans le CAP et d'autres issus du démantèlement de la zone sud en février dernier.
C'est cette deuxième partie de la "jungle" qui doit être démantelée à une date non communiquée, avant l'hiver, à partir d'octobre. Les migrants devraient être envoyés dans des CAO en France pendant que parallèlement, les tentes et cabanes seront détruites. Déjà actuellement, 2 à 3 bus par jour emmènent des personnes vers des centres partout dans le pays., pour tenter de "vider" petit à petit la lande.
Il faudra sans doute y ajouter, après le démantèlement, d'autres migrants : ceux qui refuseront de partir ailleurs en France dans un centre d'orientation et d'accueil (CAO), ceux qui préfèreront se trouver un abri ou un squat dans Calais pour tenter un jour de rejoindre l'Angleterre et ceux qui arriveront dans les semaines qui suivront. Car l'histoire récente le montre, les démantèlements ne sont pas une solution miracle à l'énorme problème que vit Calais depuis près de 20 ans.
Les démantèlements n'ont pas permis de diminuer le nombre de migrants à Calais
Qu'est-ce qui a changé depuis le démantèlement de la zone sud de la "Jungle" ? Les migrants sont simplement plus serrés, répondent les associations. Désormais, ils s’entassent sur une zone divisée par deux après l’évacuation de la moitié nord du campement.Depuis plus de 15 ans, le mot "démantèlement" est souvent utilisé à Calais. En décembre 2002, 3 ans après son ouverture, le hangar de Sangatte, transformé en centre d'accueil humanitaire, est évacué alors qu'il compte 1500 réfugiés. Les migrants se répartissent alors dans Calais, dans des squats, des parcs... Avant de se regrouper à la fin des années 2000 dans des camps qu'on commence à appeler "Jungle".
En 2009, 3 camps sauvages sont à leur tour démantelés, sur ordre d'Eric Besson, ministre de l'immigration. L'instabilité en Syrie, Irak, Erythrée, Soudan, Ethiopie continuera pourtant d'amener de nombreux hommes, femmes et enfants à Calais.
L'afflux de migrants ne va pas s'arrêter du jour au lendemain
Un autre chiffre frappant montre que le flux de migrants est continu à Calais ces derniers mois. Depuis octobre 2015, 5 685 migrants de la "Jungle" ont rejoint l'un de ces 161 CAO, disséminés partout en France. 5685 départs alors que dans le même temps les chiffres du mois d'août montraient qu'il n'y avait jamais eu autant de migrants à Calais : 6900 officiellement, 9000 selon les associations. En octobre 2015, ils étaient officiellement 6000.L'orientation vers des centres d'accueil en France n'a donc pas diminué la taille de la "Jungle". Aucun élément concret ne permet de dire que le même mouvement ne va pas se poursuivre après le démantèlement.
L'Angleterre reste un objectif pour de nombreux migrants
Douvres restera à 30 km de Calais. De nombreux migrants venus d'Afrique ou du Moyen-Orient, mal informés ou trompés par des passeurs, continuent de penser que la cité calaisienne est une porte d'entrée vers l'Angleterre. Calais est pourtant devenu un cul-de-sac au fil des renforcements de la sécurité autour du tunnel et du port.Dans la "Jungle", les bénévoles associatifs saluent d'ailleurs modérément le plan Cazeneuve : une avancée pour une moitié de migrants qui souhaite demander l'asile en France... mais pas pour ceux qui veulent toujours rejoindre l'Angleterre. "Le problème de base, c'est que cette frontière est bloquée, affirme Christian Salomé, président de l'association "L'auberge des migrants". Que ces gens sont obligés de risquer leur vie pour réussir à passer outre ce blocage. Il y a eu des morts sur l'autoroute. Contre ce problème-là, je n'ai pas vu de solution dans ce qui est proposé."
Natacha Bouchart, maire de Calais, ne dit pas fondamentalement autre chose. Quand on lui demande si le démantèlement suffira à désengorger Calais, elle répond : "J'en doute. C'est un plan qui arrive trop tard. Je n'ai pas à juger les mesures du ministre de l'intérieur mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il faut dans ce pays des positions plus fermes."
Même s'ils seront peut-être moins nombreux, les migrants restés à Calais, venus aussi de Grande-Synthe ou de Norrent-Fontes, continueront sans doute à essayer de monter dans des camions, à passer par la mer, à prendre des risques...
Questions
Comment convaincre tous les migrants de la "jungle" de Calais de renoncer à l'Angleterre ? Comment tarir le flux de personnes arrivant à Calais ? Comment éviter qu'un démantèlement ne succède bientôt à un autre ? Comment faire pour que l'accalmie éventuelle après le démantèlement ne soit pas de courte durée ?A ces questions, les réponses du gouvernement ne sont pour l'instant pas claires. Elles seront pourtant l'enjeu des prochains mois.