"S'il est coupable alors nous aussi", un comité de soutien pour le directeur accusé de complicité de trafic de drogue à Valence

Un directeur d'école avait rendu deux sachets de cannabis à un dealer venu les réclamer à la grille de l'école. Il a été suspendu et se retrouve poursuivi pour complicité de trafic de drogue. Entre colère et indignation, habitants, parents d'élèves et artistes ont lancé un comité de soutien.

Le directeur de l'école Pierre Brossolette dans le quartier du Plan à Valence est poursuivi pour avoir rendu de la drogue posée aux grilles de l'école à un dealer en mars 2024. Serge Bessède travaille dans ce quartier depuis 30 ans. Il dirige cet établissement depuis 2001, une école considérée comme une oasis dans le quartier, où les enfants peuvent s'épanouir et trouver des conditions d'apprentissage apaisées. Mais le désert autour a eu tendance à s'étendre, et les trafics, d'années en années, se sont rapprochés. La situation s'est vraiment dégradée en mai 2023, quand une série de meurtres et de règlements de comptes a tout soufflé sur son passage. 

L'arrivée de CRS, les interpellations et l'installation de grilles n'ont pas empêché le trafic de se poursuivre. Dans le quartier du Plan ça n'est un secret pour personne : "il y a de la drogue partout ici" nous explique une mère d'élève. "Moi, je pousse des sachets avec le pied souvent" ajoute-t-elle avant de laisser la parole à une autre habitante. "Mon fils a déjà ramassé une barrette de shit, vous trouvez ça normal ?". On comprend vite que dans ce quartier, il faut sensibiliser les enfants à la drogue très tôt, notamment pour ne pas confondre des bonbons avec les cachets qui se retrouvent parfois dans la boite à livres en face de l'école. 

"J'ai fait une erreur" 

Le 25 mars 2024, une surveillante a retrouvé deux paquets de chips aux pieds d'une des grilles de l'école. À l'intérieur, du cannabis, elle les ramasse et en avise le directeur. Ce dernier décide alors de les mettre hors de portée des enfants. Il demande à l'agent municipal de prévenir sa hiérarchie. Ce qu'elle fera, selon ses déclarations à la police. La hiérarchie demande aux agents de prévenir la police, mais ils sont réticents, de peur des représailles. Le directeur décide le soir même de remettre la drogue à la même place, pensant qu'elle serait récupérée. Mais le lendemain les sachets sont toujours là. 

Le directeur de l'école les range dans son bureau. À l'heure du déjeuner, deux individus se présentent à l'entrée, demandent à les récupérer. Le directeur accepte devant leur insistance et leur état d'énervement selon sa version des faits et celle de la surveillante. 

Des faits qu'il reconnaîtra lors de son audition avec la police. " J'ai fait une erreur, j'aurais dû prévenir ma hiérarchie, si c'était à refaire, je m'y prendrais autrement" affirme-t-il, "mais ça ne fait pas de moi un complice de trafiquant de drogue". Quand ils entendent ces accusations, plusieurs habitants et parents d'élèves rencontrés sur place s'indignent : "on le soutient à fond. De la drogue, on est nombreux à en trouver tous les jours ici. Alors dans ce cas-là, s'il est coupable, nous aussi, on est tous complices, tous coupables". 

Un élan de solidarité 

Un comité de soutien composé d'habitants, de parents d'élèves, d'anciens et d'artistes a lancé une pétition pour défendre l'idée que "cette affaire n'est pas seulement une atteinte à la réputation d'un individu qui a consacré sa vie à contribuer positivement à la communauté locale. Elle soulève également une question complexe sur le danger que les citoyens et les agents de service publics subissent quotidiennement dans des zones touchées par le narco trafic".

"J’ai reçu nombre de témoignages, de réactions surprises et attristées, de collègues ou d’anciens élèves, de familles, qui ont eu affaire à Serge Bessède dans le cadre de son travail", explique Khadra  Yahia-Benattia, présidente du comité de soutien, ancienne adjointe à la cohésion sociale et la politique de la Ville et amie de longue date du directeur. "J’ai été submergée d’appels de soutien de personnes qui voulaient comprendre, car aucun ne pouvait se résoudre à le croire coupable. C’est ainsi qu’est née l’idée de ce comité de soutien". 

Un élan de solidarité qui s'étend aussi en dehors de Valence à travers des signatures reconnues de la littérature jeunesse. Serge Bessède est spécialiste de l'apprentissage de la lecture et a créé un salon du livre jeunesse qui chaque année depuis 2001 réunit auteurs, illustrateurs ou scénaristes reconnus internationalement. Plusieurs d'entre eux, ont réagi aux accusations qui pèsent sur lui et ont fait part de leur indignation. 

Hubert Ben Kemoun, auteur de centaines d'ouvrages vendus dans le monde entier, était présent pour l'édition 2024 :  "je n’étais pas revenu au Plan depuis 13 ans. Son organisateur, Serge Bessède m’avait invité et avait insisté, tout en me prévenant, que '"le quartier avait changé", écrit-il dans un texte publié sur le compte officiel du comité de soutien. 

Le quartier du Plan dans lequel, avec d’autres auteurs et illustrateurs, j’ai mis les pieds au printemps 2024 n’avait effectivement plus grand-chose à voir avec celui où j’avais effectué mes rencontres scolaires et dédicacé mes livres plus de dix auparavant. (...) Celui qui n’a pas le contexte du terrain ne peut rien comprendre à ce qui s’y passe

Hubert Ben Kemoun, auteur de littérature jeunesse

"Directeur d’une école qui est l’un des seuls havres demeurant dans le quartier, Serge Bessède n’est pas trafiquant de produits illicites, mais un trafiquant de sécurité et de culture. (...) Veiller à ce qu’une fois en classe ou dans les couloirs de l’école, s’instaure une confiance et une sécurité qui fait défaut à quelques mètres de l’établissement, est une gageure que tout le monde ne tient pas. J’ajoute que l’harmonie et la dynamique qui transpirent à Brossolette sont rares dans ces proportions, je suis parfaitement placé pour l’évaluer après avoir rencontré des enfants partout en France". 

L'avocat de Serge Bessède soutient que s'il a pris la décision de rendre des sachets de drogue "c'était pour protéger l'école et sous la contrainte. Il y avait un trafiquant aux portes de l'école. Il faut s'imaginer que dans ce quartier, le trafic est devenu la normalité, et si on se place dans l'affront à certains, il peut y avoir un danger réel. Ces enseignants exercent dans des conditions anormales et essaient de prendre les décisions les plus sécurisantes possibles", plaide Me Jean-Yves Dupriez. 

Crier dans le désert 

Quelques heures après qu'un individu soit venu récupérer ses sachets, le 25 mars 2024, des coups de feu ont retenti, sous les salles de classes. Un homme s'est fait tirer dessus dans l'enceinte de l'établissement, sur le parking. Le directeur est resté avec le blessé allongé au sol pour empêcher les assaillants de le tuer. "Je ne voulais pas de mort dans notre école”, nous avait-il dit quelques minutes après les faits, encore en état de choc. Aucun lien ne peut être établi entre les deux affaires à ce stade de l'enquête. Comment, dans ce contexte, peut-on accueillir des enfants et leur offrir des conditions d'éducation républicaine ? C'est un défi que les équipes éducatives relèvent chaque jour, avec des méthodes d'enseignement innovantes et un dévouement quotidien. 

Oui, la peur fait partie de notre vie

Serge Bessède, ancien directeur de l'école Pierre Brossolette à Valence

 Trois jours après la fusillade de mars 2024, nous étions sur place, Serge Bessède était en état de choc, une cellule d'écoute avait été ouverte et plusieurs familles refusaient de remettre leurs enfants en classe. Il nous expliquait alors : "les enseignants, quand ils viennent travailler ici, ils savent que leurs proches ne sont pas tranquilles, ils peuvent se demander ce qui va arriver dans la journée, parce qu'on en est là. Ce qui se passe, c'est sur des horaires scolaires, donc on peut tout imaginer. Les collègues ont le courage de venir devant leur classe pour faire leur métier. La peur est présente auprès des parents et des enfants aussi. Comment on la met à distance ? Comment on la combat ?". Par souci de préserver la sérénité des conditions d'enseignement et la sécurité de l'école nous avons fait le choix de ne pas en exposer les enseignants et personnels dans cet article. 

Dans cette situation de danger et de peur, les réponses de l'État, des autorités locales sont multiples, changeantes et jugées insuffisantes sur le long terme. Valence et ses quartiers prioritaires font partie d'un dispositif qui concerne quatre villes expérimentales en France. Les Forces d'Action Républicaine, créées après les émeutes liées à la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, consistent à créer une synergie entre les acteurs de terrain, la justice, la police et les élus. Après une période de diagnostic de plusieurs mois, les habitants en espèrent beaucoup, comme ceux que nous avons rencontrés pour ce reportage espèrent revoir le directeur de l'école, suspendu depuis mars dernier. 

La justice devra désormais se prononcer sur la présumée culpabilité de complicité de trafic de drogue. Une audience est prévue en décembre prochain. 

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