Il rend la drogue à un dealer “pour protéger son école”, un directeur poursuivi pour complicité de trafic de stupéfiants

Le directeur de l'école Pierre-Brossolette quartier du Plan à Valence est poursuivi pour avoir rendu de la drogue posée aux grilles de l'école à un dealer. Une affaire qui soulève la question du danger et des décisions complexes auxquels sont confrontés habitants et agents de service publics dans des zones de narco trafic.

Le quartier du Plan à Valence est le théâtre de faits de violences récurrents liés le plus souvent au trafic de drogue et aux règlements de compte entre quartiers. Fusillades, enlèvements, menaces de morts sont des mots récurrents pour y décrire les conditions de vie des habitants depuis quatre ans. Au cœur du quartier, une école s'est fait remarquer à de nombreuses reprises pour les qualités de ses enseignements et ses projets pédagogiques innovants. Les équipes y travaillent, malgré le climat extérieur très tendu et dangereux, afin d'offrir des conditions normales d'apprentissage à des enfants confrontés à des situations traumatisantes à l'extérieur. 

Mais depuis plusieurs mois, le trafic, les échanges de tirs, les menaces d'enlèvement, s'étaient rapprochés de l'école. Plusieurs parents avaient même fait le choix de ne plus envoyer leurs enfants en classe pendant plusieurs jours, certains ont déménagé. 

Les faits reprochés au directeur

Le 25 mars 2024, une surveillante retrouve deux sachets d'où se dégage une odeur de cannabis aux abords des grilles de la cour de récréation. Elle en informe la direction de l'école Pierre Brossolette, qui lui indique de prévenir la mairie (son employeur). Décision est prise de ranger ces deux sachets hors de portée des enfants et de les remettre au même endroit, le soir, une fois les enfants partis. 

Le lendemain, les sachets sont toujours là, le directeur de l'école les range dans son bureau. Il appelle les forces de l'ordre quand plusieurs individus cagoulés courent autour de l'école. À l'heure du déjeuner, un individu se présente à l'entrée comme le propriétaire des sachets et demande à les récupérer. Le directeur accepte.

Quelques heures plus tard, des coups de feu retentissent. Un homme s'est fait tirer dessus dans l'enceinte de l'établissement, sur le parking, sous les fenêtres des classes. Le directeur reste avec le blessé et empêche les assaillants de le tuer, lui sauvant ainsi la vie. "Je ne voulais pas de mort dans notre école” nous avait-il dit quelques minutes après les faits, encore en état de choc. Aucun lien ne peut être établi entre les deux affaires à ce stade de l'enquête.  

Où en est l'enquête ?  

Le directeur a été entendu par la police judiciaire dès le mois de mars. Il a reconnu avoir rendu les sachets. Il admet avoir commis une erreur : 

Si c'était à refaire je ne prendrais pas la même décision, je préviendrais ma hiérarchie. J'ai fait une erreur, mais ça ne fait pas de moi un complice de trafic de drogue  

Serge Bessède,

directeur de l'école Pierre Brossolette

Le procureur de la République de Valence a confirmé que des poursuites pour détention et complicité de trafic de stupéfiants étaient en cours. Il est reproché à Serge Bessède d'avoir découvert de la drogue au sein de l'établissement et de n'avoir prévenu ni sa hiérarchie, ni la police. Lors de son audition devant la police, le directeur a confirmé et a déclaré qu'il pensait que l'employée municipale avait prévenu sa propre hiérarchie.

"Être complice de trafic de stupéfiant signifie apporter aide ou assistance au trafic" rappelle Jean-Yves Dupriez, son avocat. "Mais il faut avoir en tête que si on affronte ces personnes, le niveau de dangerosité est plus que réel". L'avocat estime que la drogue "a été restituée sous la contrainte, et par peur des représailles. Je rappelle qu'un trafiquant de drogue était présent dans l'enceinte de l'école, il y avait donc un danger réel." 

Qui est ce directeur d'école ?  

Serge Bessède travaille dans ce quartier depuis 30 ans. Directeur de cette école depuis 2010, il est reconnu par la communauté éducative et les parents d’élèves comme un professionnel très investi dans la réussite scolaire des élèves. Spécialiste de l’apprentissage de la lecture, il a mené de nombreux projets de formation à destination des enseignants et des parents d'élèves. 

“Depuis 30 ans, je n’ai qu’un seul slogan «tous capables», qu’un seul credo : en plaçant les enfants dans des situations de sécurité cognitive, affective et physique, j’affirme au quotidien que l’école est le levier républicain pour la réussite scolaire et sociale, quel que soit son environnement” nous affirmait-il lors d’un précédent reportage à l’occasion du salon du livre du Plan qu’il a créé en 2001.    

Depuis 23 ans, dans ce quartier excentré et considéré comme prioritaire, Serge Bessède invite les grandes signatures internationales de la littérature jeunesse. Pour l’ensemble de ses actions professionnelles et associatives, il a reçu les palmes académiques en 2019 et reçu en 2022 le prix de l’innovation académique.  

“L’école est un des remparts de la république” nous affirma-t-il lors d'un précédent reportage, “à condition de la protéger”. Et c’est là toute la difficulté de ce dossier. Quand une école se trouve à 50 mètres d’un point de deal, où des tirs à la kalachnikov ont été entendus à de nombreuses reprises, impossible de ne pas être confronté à cette réalité. Quand de la drogue se retrouve aux abords de l’école et qu’un dealer présumé la réclame, ce directeur, dont l’investissement n’est plus à démontrer, a deux choix : refuser ou accepter. En quelques secondes, il accepte “pour ne pas mettre les enfants en danger”, ni les équipes de l’école, estime son avocat.  

La peur pour ces équipes fait partie du quotidien depuis de nombreuses années. Mais leur leitmotiv, a été de préserver l’école comme un espace d’apprentissage et d’épanouissement pour les élèves confrontés à une réalité très violente à l’extérieur. "Ils exercent dans des conditions anormales et essaient de prendre les décisions les plus sécurisantes possibles. Au milieu de ces trafics, l'exception, c'est l'école. Est-ce leur travail de faire un rapport tous les jours sur les trafics ? " interroge Jean-Yves Dupriez. 

"Trouver de la drogue, ça nous arrive souvent" 

"Mon fils a ramassé une barrette de shit" en allant à l'école. "Ça fait des années qu'on alerte sur cette situation" raconte une mère d'élève de l'école. Plusieurs autres parents d'élèves confirment qu'en circulant à pied dans le quartier, on trouve de la drogue dans de nombreux endroits. Le plus emblématique est la boîte à livres installée juste devant l'école... "Plus personne n'y va", regrette, regard au ciel, une mère de famille, "la dernière fois, il y avait des cachets dedans, ma fille est arrivée avec le paquet dans la main". Le point de deal le plus proche de l'école est à quelques dizaines de mètres, visible de tous. La police est intervenue à plusieurs reprises, des arrestations et des saisies ont eu lieu, mais le trafic continue.

Des agents de police ont été déployés aux heures d'entrée et de sortie de classe, mais cela ne suffit pas à rassurer. Le parvis de l'école était un des rares lieux de vie mais "maintenant, on reste cinq, dix minutes maximum. Et pendant l'été, moi je ne mets presque pas les pieds dehors, regrette une mère d'élève, c'est l'école qui nous amène là-bas". Quand on évoque le directeur de l'école, tous les avis sont unanimes : " C'est n'importe quoi ! En tant que parents délégués, on aurait été les premiers informés et évidemment on n'aurait jamais cautionné. Il a toujours été droit, à l'écoute et surtout ce qui compte pour nous, c'est aussi le niveau de l'école, il est très bon, on en parle de ça?" 

L’affaire est désormais entre les mains de la justice. 

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