Un collectif de parents d'élèves appelle à ne pas accompagner les enfants à l'école du Plan à Valence après une fusillade qui s'est déroulée juste devant la grille, faisant un blessé grave. Un appel au secours en total soutien avec les équipes enseignantes qui seront présentes pour accueillir les élèves, en première ligne.
La sidération... C'est le mot qui vient en premier aux lèvres des habitants qui ont accepté de nous parler dans le quartier du Plan à seulement 4 km du centre-ville de Valence. Pourtant, ces familles sont coutumières de ce genre de situations. Les tirs en bas de chez eux, les menaces, les vidéos d'actes de barbarie sur les réseaux sociaux, elles ont déjà dénoncé tout cela, elles le vivent au quotidien.
Mais ce mardi 26 mars 2024, une élève a crié, en montrant la fenêtre : "il y a un monsieur en cagoule !". En effet, un homme, armé, a tiré sur un autre d'une vingtaine d'années, le blessant à la jambe et au visage. Ce dernier a été transporté à l'hôpital en urgence absolue, l'auteur des tirs, lui, a pris la fuite.
Depuis les salles de classe, élèves et enseignants ont entendu les tirs retentir, sans savoir dans quelle direction ils allaient. Les volets ont été baissés, certaines salles fermées à clef. "Les enfants étaient dans l'enceinte de l'école, ils n'ont pas été en danger, ils ont pu continuer leurs cours" tente de rassurer François Jouffroy, le directeur de cabinet du préfet de la Drôme. Devant le parvis de l'école, quelques heures après les faits, il explique : "nous avons une surveillance sur ce quartier dans lequel les trafics de stupéfiants sont très importants. Nous menons de nombreuses opérations et nous sommes en train de gérer la conséquence de ces trafics. Les effectifs seront maintenus dans les jours à venir pour s'assurer qu'il n'y ait aucun risque pour les familles". Des mots qui ne suffisent pas à convaincre les parents d'élèves. Plusieurs familles ont décidé de lancer une action collective, elles refusent que leurs enfants retournent en classe et appellent "une majorité de parents à rejoindre ce mouvement de contestation", dans un communiqué.
Des enfants traumatisés
"Nous sommes déjà en train de retrouver nos enfants. Hier soir, nous avons beaucoup parlé avec eux. Ils disent qu'ils ont peur de mourir, une élève nous a même dit : " j'ai cru que j'allais mourir". Vous trouvez ça normal ?", s'indigne une des membres de ce collectif. Comme tous les témoins et habitants qui apparaissent dans cet article, ils n'acceptent de le faire que sous couvert d'anonymat. "C'est tellement tendu à tous les niveaux !", nous dit-on... Puis arrivent les questions : "comment on fait pour continuer à vivre là-dedans ?" et la plus récurrente : "qu'est-ce qu'on attend ?". Des interrogations qui font écho aux drames survenus dans d'autres villes où, sur fond de trafics de drogue et de règlements de compte, des innocents ont reçu une balle perdue. Le 12 mars, à Rennes, un couple de retraités a vu des balles traverser son appartement, et en septembre 2023, Socayna, 24 ans, était en train d'étudier à Marseille quand sa sœur l'a retrouvée morte, à son bureau, une balle dans la tête. Les parents du Plan disent craindre que le prénom de l'un de leurs enfants ou d'un membre de leur famille vienne compléter cette liste macabre.
"On fait quoi de ça, nous, parents ?"
"Il y a une incompréhension totale du positionnement des services compétents", estime le collectif des mamans indignées de la Drôme, mobilisées depuis plusieurs années pour redonner égalité des chances et dignité aux habitants des quartiers populaires. "On exige que nos enfants aient une éducation de qualité, en sécurité, au-delà d'une intervention unique de police. Il y a une grande angoisse des parents et des enfants et on ne sait pas du tout comment gérer la suite. On accueille les pleurs de nos enfants comme ils viennent. La vie va continuer, mais ce qu'on fait de ça nous parents ???" s'inquiète une membre du collectif. Elle ajoute : "on sait par expérience que ce n'est pas suffisant à court, moyen et long terme".
Comment permettre aux enseignants d'enseigner dans des conditions normales ? Comment continuer à vivre quand on est en danger jour et nuit, au quotidien ?
Une habitante du quartier du Plan à Valence
Les écoles restaient des lieux préservés par les violences dans les quartiers du Plan et de Fontbarlettes "qui s'affrontent depuis toujours", dit-on ici. Mais depuis un an, malgré les efforts des autorités et l'implication de tous les adultes : parents, enseignants, policiers, agents communaux, les situations inquiétantes se sont succédées.
En janvier dernier, la colère et l'effroi d'un collectif de parents de Valence les avaient poussés à adresser un courrier au Premier Ministre dans lequel ils affirmaient déjà ne plus vouloir accompagner leurs enfants à l'école sans présence policière.
En juin 2023, des individus armés s'étaient présentés devant l'autre école du quartier et avaient menacé de venir à la sortie des cours pour "tuer tout le monde". Les équipes éducatives des trois écoles avaient alors décidé d'exercer leur droit de retrait.
Des enseignants toujours debout
L'équipe enseignante de cette école est une équipe stable, solide, engagée dans sa mission d'éducation et d'accès aux droits. Quatre jours avant cette fusillade, l'ensemble des enseignants et le reste du collectif pédagogique animaient un festival de littérature jeunesse de très grande qualité avec des auteurs de renommée internationale. On osait alors à peine se réjouir d'un calme revenu après deux ans de très gros défis à relever.
Et des défis, il y en eut beaucoup, mais à chaque évènement traumatique, les enseignants ont tenu bon, comme nous l'avons constaté depuis trois ans, au cours de notre travail d'enquête. Ils ont prévu d'être à l'école le jeudi 28 mars pour accueillir les familles. Une cellule d'écoute doit être ouverte comme ce fut déjà le cas par le passé. Des signes de chocs traumatiques et de dépression avaient alors été constatés par les psychologues, eux-mêmes, émus de découvrir pareille situation.
"Nous essayons de travailler en partenariat avec l'éducation nationale dans les écoles", essaie de rassurer Cécile Paulet adjointe au maire à la ville de Valence en charge de l'éducation. "On essaie de leur dire qu'on est présents, qu'on met des moyens sécuritaires aux abords et c'est difficile à entendre quand on a peur, je le comprends. On fait partie des trois villes retenues pour la FAR, (Force d'Action Républicaine, NDLR) on n'abandonne pas les habitants, les gens du Plan et de Fontbarlettes sont des Valentinois, on ne les abandonne pas".
La FAR est un dispositif expérimental, pensé pour diagnostiquer les besoins au plus près du terrain, créer des synergies entre les services et débloquer des moyens. Autant dire qu'à Valence, on en attend beaucoup. Peu enclin à se mettre en avant, priorisant la réussite et la sécurité des élèves, le directeur de l'école pensait que l'annonce de cette FAR coïncidait avec une sorte de retour à la normale. Mais "les faits nous ont rattrapés", "et on ne peut pas faire comme si de rien était, on sera au boulot, mais jusqu'où on est en droit d'accepter un certain nombre de choses ?" interroge-t-il, en pensant à ses collègues.
→Meurtres en série à Valence : revoir notre enquête
Cette fusillade survient presque un an jour pour jour après la succession de quatre meurtres en pleine rue dans ce même quartier. Une escalade de violence qui avait nécessité le déploiement de moyens exceptionnels de CRS et abouti à des dizaines d'arrestations. "On se demande si on aura la pérennité des moyens policiers. Quand on met un coup de pied dans la fourmilière, il y a un apaisement, mais après, on a la crainte que ça reparte" s'inquiète l'élue en charge de l'éducation. "On espère que la FAR va nous donner des moyens supplémentaires". Un espoir que beaucoup partagent sur le terrain, mais qui ne répond pas à la question très immédiate posée plus haut "comment on fait pour continuer à vivre là-dedans ?"