ENQUÊTE 1/6. L'exceptionnelle réussite d'une école de Valence malgré les fusillades et le trafic de drogue

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À l'école Pierre Brossolette de Valence, les élèves font partie du réseau d'éducation prioritaire et obtiennent de très bons résultats
Après deux ans de rencontres avec les habitants du Plan à Valence, notre caméra a été acceptée dans l'école du quartier. ©Alexandra MARIE /Géraldine CHAINE/ BAPTISTE FONTAINE

L'école Pierre Brossolette, classée en réseau d'éducation prioritaire, brille par ses résultats dans la Drôme. Au cœur du quartier du Plan, élèves et équipes éducatives appellent à construire ensemble "une école de la promotion collective". Chacun se tire vers le haut et tout le monde se serre les coudes. Sur le chemin de l'école : épisode 4 de notre série documentaire dans les quartiers prioritaires de Valence.

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On pourrait croire à un récit un peu utopiste ou idéaliste. Une école au cœur d'un quartier avec de très nombreuses difficultés sociales, économiques, et un profond sentiment de relégation, mais où la réussite est accessible à tous. 

Pourtant, il suffit de quelques minutes dans l'établissement pour ressentir qu'ici, tout le monde est au travail, dans un climat apaisé. Un contraste saisissant avec l'autre côté des grilles de la cour de récréation. À chaque visite dans cette école, un parent, un enseignant ou même un élève nous raconte une histoire qu'on pourrait croire d'un autre temps ou située dans un autre pays. 

"La semaine dernière, ils ont retrouvé une réserve de kalachnikov dans une voiture sur le parking à côté de l'école". "Moi ma copine, elle a une balle qui a traversé son appartement, maintenant, on s'allonge au sol des fois quand on entend les tirs". "Ils ont fait une descente hier, il y avait des CRS armés à chaque étage dans l'escalier." Un climat difficile à imaginer pour ces enfants de 2 à 10 ans, qui entrent tranquillement en classe. 

Derrière la porte, le directeur, Serge Bessède, les accueille, les salue, leur sourit. Son regard est toujours attentif, à portée de personnes plus petites que lui qui auraient quelque chose à lui dire. Il y en a tant à dire... Avec un ton respectueux, il murmure discrètement : "vous voyez cette enfant ? Elle dort à l'hôtel depuis des mois et lui, il vit seul avec sa mère dans une grande précarité…" La liste pourrait ne jamais s'arrêter tant elle est longue. 

Étape numéro 1 : apaiser le climat scolaire 

"Il y a des parents ici qui rencontrent des difficultés qu'on ne rencontre nulle part ailleurs, c'est pour cela qu'on est en REP. Ces difficultés sociales, économiques, l'insécurité à l'extérieur, ce sont des facteurs sur lesquels nous n'avons pas la main", explique-t-il. "Pourtant, il y a 15 ans, ces facteurs étaient explicatifs de l’échec scolaire. Et puis progressivement, nous avons accepté que l'échec scolaire était un problème de l'école et devait être réglé par l'école. Les parents ne sont pas le problème, ils sont la solution. Un groupe quel qu'il soit ne se porte bien que grâce à l'attention que l'on porte aux plus vulnérables. Aujourd'hui, c'est ce qu'on a construit. Nous portons l’attention nécessaire sur les plus fragiles et le groupe s'en ressent. Ce qui explique la qualité du climat scolaire."

 

Une fois le manteau déposé sur des accroches colorées, chacun est un élève en droit de réussir. "Plus tard, je serai informaticienne". Des autoportraits dans le couloir traduisent les projections d'une classe de cours élémentaire. "Policier, médecin, maître, pilote" : des rêves de gosses, mais aussi des droits à un avenir souhaitable. 

Et pour y parvenir, l'équipe éducative de l'école Pierre Brossolette a travaillé et travaille toujours d'arrache-pied. "Tout d'abord, il a fallu apaiser les choses, raconte Sylvaine Meister, la plus ancienne enseignante de l'équipe. "Avant, dans les classes il y avait de la violence, des professeurs et des élèves qui criaient, il y avait des conflits. La première étape a été d'apaiser le climat dans les classes pour pouvoir se concentrer sur les apprentissages. Et si le climat à l'extérieur a empiré, en 20 ans, dans l'école, il s'est amélioré." 

"On ne parle pas aux enfants, mais avec les enfants" 

Voilà pour le climat, ensuite pour la méthode, l'école travaille depuis plus de 20 ans, à l'autonomie des élèves. Pour cela, aujourd'hui, l'ensemble des niveaux fonctionne, dès la petite section de maternelle, avec une pédagogie des médiations cognitives. Apprendre à apprendre pour le dire plus simplement.

  

Frédérique Marnas, l'enseignante des petites sections, débute toujours sa séance de travail en mettant les élèves en action. Des questions directes auxquelles ils doivent répondre, un plan de travail et un objectif du jour. Puis arrivent les exercices pratiques, un énoncé à reformuler, une mise en action et enfin un retour sur le travail réussi.

"Tu as bien trois objets dans la main, tu as réussi. Et sais tu pourquoi tu as réussi ?

"Oui, j'ai bien compté, répond Soumaya. 

"Tu as bien compté en récitant la comptine, tu as vérifié et tu as bien récupéré trois cubes."

Dès le plus jeune âge, les étapes d'apprentissage sont décryptées pour avoir les outils d'acquisition des connaissances. "On vient pour mettre des connaissances dans sa tête", la formule est préférée à "on vient travailler", plus abstraite.

Prêts pour la 6e 

"Ce n'est plus parler aux enfants, c'est parler avec les enfants, interagir avec eux pour qu'ils nous expliquent ce qu'ils sont en train d'apprendre.

À l'étage, en CM2, on comprend tout de suite que la méthode porte ses fruits. Une évaluation de mathématiques est en cours, tout le monde est au travail. Un tableau affiche les objectifs de la journée, des fiches surplombent le tableau : réactiver ses connaissances, objectif, tâche, enlever les blocages, sont des termes précis inscrits en toutes lettres comme autant d'étapes à suivre, une sorte de mode d'emploi pour gagner en autonomie.  

"On leur donne les armes intellectuelles pour arriver à décrypter le monde scolaire. Comprendre ce qui est caché derrière le cours d'un professeur. Et ensuite, on voit énormément de réussite dans le passage au collège, grâce à ça" précise Caroline Tornabene, enseignante en CM2 et formatrice en médiations cognitives.  

Une école ouverte sur le monde

À la fin de leur évaluation, les CM2 s'engagent vers la sortie pour rejoindre une autre classe de l'école voisine. Ils préparent un concert avec la célèbre chanteuse Amélie les Crayons, un projet d'une très grande exigence artistique, mené sur plusieurs mois, dans le cadre du salon du livre jeunesse du quartier du Plan

Ce rendez-vous réunit chaque année, depuis plus de 20 ans, de grandes signatures de la littérature jeunesse et embarque l'ensemble des élèves dans un bouillon de culture fait d'illustrations, de cinéma, de graphisme et de rencontres. 

"Les spectacles, le luxe, le cinéma… On souhaite faire baigner les enfants et les parents dans tout cet univers culturel et sportif qui constitue le quotidien de tous les enfants de France. Donc, ceux-là y ont droit aussi nécessairement" précise le directeur de l'école. 

À la fin de l'atelier, les visages des élèves sont lumineux, ceux des enseignants sont souriants autant que fatigués. Cette équipe s'investit énormément et à la sortie des classes, on compte au moins 5 enseignants disponibles dans la cour et devant la porte pour parler avec les parents. Le directeur est là aussi et prendre la parole est possible pour tous ceux qui le souhaitent. Elle circule, c'est palpable. 

Chocs post-traumatiques 

Quelques semaines plus tôt, il a fallu faire intervenir une cellule psychologique. La direction d'académie, compte tenu du climat de guérilla urbaine et des fusillades à répétition, a constaté des situations de chocs post-traumatiques. Les parents ont peur et cela se répercute sur leurs enfants et leurs possibilités d'apprentissage. 

Si ces problèmes sont au cœur des échanges de l'équipe éducative, ces derniers réussissent la prouesse de marcher sans cesse en équilibre sur un fil avec d'un côté l'excellence et de l'autre la violence. Les élèves ne sont pas réduits à leurs situations difficiles, les parents non plus et les profs ne sont ni des martyrs, ni des héros. Il règne dans cet établissement une volonté d'égalité des chances très concrète et réelle. La devise française, comme dans chaque école, rappelle à l'entrée les impératifs fondamentaux. 

"Nos enfants ici, ont la possibilité d'apprendre comme en centre-ville, voire mieux !", conclut une mère de famille. Au Plan, les habitants sont fiers de leur école, on y croise des champions d'échecs, des artistes, des écrivains. 

À la sortie, on dit bonjour aux anciens élèves qui désormais passent la journée au pied d'un immeuble dont les vitres portent des impacts d'arme lourde. La réussite leur était promise aussi, mais au collège tout ne s'est pas passé comme prévu.  

L'enquête en intégralité 

>>> ENQUÊTE. 6/6 S'il est coupable alors nous aussi", un comité de soutien pour le directeur accusé de complicité de trafic de drogue à Valence

>>> ENQUÊTE. 5/6 Il rend la drogue à un dealer "pour protéger l'école", le directeur d'un établissement cerné par les trafics à Valence poursuivi par la justice

>>> ENQUÊTE 4/6. "J'ai cru que j'allais mourir", les mots glaçants des enfants après une fusillade devant leur école à Valence

>>> ENQUÊTE. 3/6 "Peut-on être un enfant ici comme ailleurs ?", après deux ans de violence à Valence, un salon du livre jeunesse redonne espoir

>>> ENQUÊTE 2/6. VIDÉO : Meurtres en série à Valence, chronique d'un chaos annoncé au cœur du narcotrafic 

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