Quatre morts à Valence dans la Drôme. Une folie meurtrière sur fond de règlements de compte mine le quotidien des 13.000 habitants des quartiers du Plan et de Fontbarlettes. Pourtant, il y a eu de nombreux signaux d'alerte depuis deux ans. Enquête de la rédaction.
Mai 2023 : en l'espace de deux semaines, quatre hommes sont tombés sous les balles à Valence, dans la Drôme. Des morts en pleine rue, et des fusillades sous les fenêtres des habitants terrorisés par les tirs à l'arme lourde. Depuis, des renforts de policiers ont été déployés. Pour l'heure, l'enquête a abouti à la mise en examen et au placement en détention provisoire de trois personnes, dont un mineur de 17 ans.
"Quand ça sonne à l'interphone, je suis en panique. Dès que la lumière s'allume dans le couloir, je suis tétanisée. On a été menacés directement." Ces mots sont ceux d'une personne qui n'ose plus sortir de chez elle. Dans certains quartiers de Valence, la peur ne se cantonne pas aux trafiquants qui se livrent à une guerre de territoire. Elle habite aussi des femmes, cousins et enfants, cibles de menaces de mort.
Comment en est-on arrivé là ? L'enquête de la rédaction de France 3.
L'effroi
Le 9 mai 2023, la scène filmée par un riverain fait résonner la violence d'un meurtre en pleine rue. Tirs en rafale sous les fenêtres des habitants de Fontbarlettes. 52 douilles sont retrouvées au sol. Bilan : 1 mort et 1 blessé grave, séquestré et à qui on a coupé une oreille.
Depuis le début de l'année, 30 cas de fusillades avec des armes de guerre, des kalachnikovs. On parle vraiment d'une guerre de territoire.
Denis Iglesias, secrétaire d'Alliance Police nationale 26
Les CRS 8, experts en maintien de l'ordre dans les situations extrêmes, sont déployés au lendemain de cette fusillade meurtrière filmée par un riverain. Une douzaine de fourgons et une cinquantaine d'agents sont déployés dans les deux quartiers concernés de Valence. Mais, quelques heures après le premier meurtre, un deuxième homme est tué par balle alors qu'il circule en scooter sur un rond-point à deux heures du matin.
"Par habitude, je sais qu'ils viennent. Ils font la sécurité pendant à peu près une semaine. Ils contrôlent un peu tout le monde et vérifient s'il n'y a pas d'armes. Et après, ils partent et on les revoit plus", nous raconte un habitant.
Cette perte de confiance est renforcée par la mort d'un troisième homme, membre d'une famille dont deux frères avaient déjà été tués en mars 2022. La ville de Valence vient de connaitre une semaine meurtrière qui a plongé 13.000 habitants dans un état de sidération. Pourtant, il y a 3 mois, certains alertaient déjà.
Les alertes
Des habitants avaient accepté anonymement de briser le silence, malgré la peur, pour essayer d'être entendus. Ils évoquaient les tirs de mitraillette. "On est en guerre. On est en guerre. Ça ne choque même plus les gamins de voir les trafics de drogue, de retrouver des seringues. C'est la normalité, c'est comme ça qu'on doit grandir, qu'on doit évoluer. On est laissés à l'abandon." Climat de terreur.
Alerter les autorités, nombreux sont celles et ceux qui affirment l'avoir déjà fait. Alors à qui la faute quand chacun se rejette les responsabilités ?
Nous ne sommes pas aux États-Unis. Nous ne sommes pas des shérifs.
Nicolas Daragon, maire LR de Valence
"Nous n'intervenons pas sur ces sujets-là, se défend le premier édile de la ville. Des solutions existent. Il y a à Valence deux rues majeures où les deals, la délinquance, la criminalité se déroulent de façon massive. C'est la rue Verdi et la rue Jean Perrin. Tout le monde le sait. Et on nous envoie des forces de sécurité systématiquement après le déroulement de faits extrêmement graves."
Sur fond de rivalités historiques entre deux quartiers, Fontbarlettes et le Plan, sur fond de trafic de drogue et de règlements de compte avec des armes lourdes, l'État affirme ne pas avoir failli dans ses missions.
Réponse de l'État
Lors d'une visite très médiatique et encadrée par les forces de l'ordre, la préfète de la Drôme est venue, en personne et en uniforme, démontrer que l'État occupe le terrain. "J'ai demandé au bailleur de faire son boulot, c'est-à-dire d'assurer la sécurité de ses biens, et donc, la bonne jouissance des biens à ses locataires."
Cette déclaration d'Élodie De Giovanni n'est pas vraiment du goût de la présidente de Valence Romans Habitat. "Ce que j'ai du mal à accepter, c'est que d'un seul coup l'État se réveille, nous dit Annie Paule Tenneroni. Voilà, on vient sur le terrain, on fait une grosse action. On vient m'expliquer que ça, ce n'est pas fait, ça il faudrait le faire... Pardon, je suis désolée. Vous voyez ce bureau, il est à Fontbarlettes.
Moi, je suis là tous les jours. Les employés de l'immeuble, ils sont là tous les jours. Et ils font tout ce qu'ils peuvent.
Annie Paule Tenneroni, présidente de Valence Romans Habitat
Malgré les projets de rénovation urbaine engagés, le sentiment de deux quartiers délaissés persiste historiquement.
Le plan de rénovation urbaine s'élève à 114 millions d'euros répartis sur 10 ans. L'État, via l'Anru, finance 25 millions d'euros sur les cinq quartiers prioritaires de Valence dont Le Plan et Fontbarlettes.
Le bailleur social a été épinglé par la Cour des comptes avec cette recommandation : se conformer au code de sécurité en matière de gardiennage.
"Le nouveau programme national de rénovation urbaine dont bénéficie l’agglomération prévoit la reconstruction de l’offre de logements sociaux (...)" pointe également le rapport, qui s'attache aux années 2017-2018. "Les réalisations de VRH en matière de constructions et de rénovation de son patrimoine au plan thermique ont été inférieures à ce que prévoit le programme local de l’habitat. Les dépenses de maintenance et de gros entretien sont d’un niveau acceptable, mais toujours inférieur à la médiane des offices."
Le bailleur social a cependant engagé depuis de lourds travaux de rénovation et la construction de nouveaux logements. La présidente du bailleur, également adjointe en charge du logement et de la politique de la ville, ne s'associe pas au "sentiment d'abandon des habitants". Annie Paule Tenneroni rappelle notamment qu'une maison pour tous et un centre social de quartier fonctionnent avec un budget de 2,5 millions d'euros par an.
Beaucoup de familles rencontrées témoignent cependant d'avoir vu leur cadre de vie se dégrader ces dernières années.
Le piège
Entre toutes ces institutions, de nombreuses personnes se disent prises au piège d'un engrenage qui les dépasse. Avec cette urgence : que faire en cas de danger ? Nous avons posé la question l'une de celles qui ont préféré partir à l'étranger pour se mettre à l'abri.
On a trop peur de porter plainte et de leur donner de bonnes raisons de s'attaquer à nous. Ces gens, on les connait. Ils tapent de la coke, ils sont armés, ils n'ont peur de rien.
Anciens résidents du quartier
"Il faut nous faire confiance. Nous avons la volonté, la détermination. Nous avons eu une instruction ferme et claire du ministre de l'Intérieur pour agir en la matière", déclarait le 13 mai dernier le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, sur le terrain à Valence. "Et nous nous sentons extrêmement concernés par tout ce qui se passe, par tout ce qui vient perturber le quotidien des habitants." Il reconnait avoir affaire "à des personnes qui n'ont peur ni de la mort ni de la prison."
"Depuis le début de l'année, on a saisi une vingtaine d'arme et l'an dernier, nous en avions saisi une cinquantaine, dont des armes de guerre" explique Noël Fayet, directeur départemental de la sécurité publique de Valence. "Des analyses balistiques nous permettent d'établir des liens, et de pouvoir travailler en vue d'interpeller certains individus en lien avec ces affaires."
Un site internet, Ma sécurité, permet de contacter des services de polices si on se sent en danger. Mais la réponse semble éloignée des besoins sur le terrain pour certains.
"Qu'ils envoient l'armée, qu'ils envoient des chiens, pour retrouver l'argent, la drogue, les armes" s'insurge un militant associatif impliqué dans le quartier. "Si le procureur m'entend, qu'il mette un numéro en place ! Un numéro vert où on pourrait appeler pour signaler des informations. Madame la préfète, arrêtez de laisser les gens s'entretuer" ajoute-t-il.
"Il faut au moins que ça s'atténue, tout le monde sait très bien ce qu'il se passe et on laisse faire ! J'ai beaucoup de peine pour ces mamans qui ont perdu un enfant, que ce soit par accident ou peu importe... J'espère qu'on n'attendra pas qu'il y ait 10 ou 15 morts d'un coup, il est temps de s'activer."
Les services du parquet et de la préfecture rappellent qu'il existe des moyens prévus par la loi pour témoigner anonymement, se faire connaître des services de police et " faire preuve de civisme", a estimé la préfète. "En démocratie, on est tous coresponsables de la sécurité de son voisin", a déclaré Elodie De Giovanni lors d'une conférence de presse, le 11 mai 2023.
Mais l'escalade de violence de ces deux dernières semaines a rompu la confiance et renforcé l'isolement de ces quartiers situés à seulement 4 km du centre-ville de Valence.