Le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) célèbre ses 50 ans. Sa branche lyonnaise organise un colloque le samedi 28 septembre pour analyser cinq décennies de réflexions et d’actions au service de la non-violence politique. Retour sur ce principe d'actions et son utilisation dans les luttes sociales contemporaines.
Il y a 50 ans, plusieurs groupes non-violents se fédéraient afin de proposer une stratégie non-violente pour changer la société : le Mouvement pour une Alternative Non-violente était créé. Chaque année, du 21 septembre pour la journée internationale de la paix jusqu'au 2 octobre (journée internationale de la non-violence), le MAN Lyon organise une Quinzaine de la non-violence et de la paix.
Depuis 1974, le MAN a agi pour et par la non-violence : lutte du Larzac, campagne de boycott contre l'apartheid en Afrique du Sud, envoi d’une force d’interposition civile en Palestine...Mais l'évènement qui fera connaître l'association en France est la célèbre "marche pour l'égalité et contre le racisme" lancé en 1983 par SOS Avenir Minguettes, le père Christian Delorme, un des fondateurs du MAN et le pasteur Jean Costil. Ils s'inspirent des moyens d'action de Martin Luther King et Gandhi.
Le 15 octobre 1983, la marche part de La Cayolle à Marseille, qui vient d'être le théâtre d'un nouveau meurtre raciste d'une enfant de 13 ans. Dix-sept personnes, dont neuf issues des Minguettes démarrent le cortège, avec comme message sur leur banderole “Marche pour l’égalité".
Espace de dialogue
La non-violence n'est "ni la neutralité, ni le pacifisme, ni la passivité", rappelle Xavier Dormont, chargé de mission au MAN. Le trentenaire s'occupe du dispositif "médiation nomade", des rencontres nocturnes menées dans des quartiers de l'agglomération lyonnaise. Un camion et des bénévoles viennent, thermos de thé à la menthe à la main, à la rencontre des habitants des quartiers comme Saint-Fons ou les Minguettes pour échanger, et créer du lien social entre eux et les institutions. L'idée est partie de Yazid Kherfi et de sa volonté de répondre aux conflits dans les quartiers. Petit à petit, les médiations nomades se multiplient. Au total, 500 soirées ont été organisées depuis 2017 dans les banlieues de Lyon.
La démarche s'inscrit dans le principe de non-violence."Nous créons des espaces de rencontre pour se connaître, permettre le dialogue, désamorcer les rancœurs et ainsi mieux vivre ensemble"", explique le médiateur. Lors des émeutes de 2023 à la suite de la mort de Nahel, les médiations nomades ont permis de créer du dialogue. "Cette semaine-là, on a eu trois soirées dans les quartiers, ça s'est bien passé on a pu intervenir pour convaincre certains jeunes de ne pas passer à l'action violente.", raconte Xavier Dormont.
L'idée n'est pas de "promouvoir la non-violence" mais de l'incarner, "c'est un principe d'écoute active, sans jugements, pour rendre visibles les problèmes que ces jeunes rencontrent". L'association fait venir des personnes extérieures à la vie du quartier, ou des policiers municipaux pour "faire tomber les murs psychologiques et géographiques" avec les jeunes et les habitants.
Aujourd'hui on est dans un contexte politique au bord de la falaise avec des valeurs totalement reniées. Ce n'est pas évident de trouver des moments réels de rencontre et de sortir du virtuel, qui nous enferme dans des bulles complètement biaisées. L'entre-soi incite au rejet.
Xavier DormontChargé de mission Coordination, formation & médiation au MAN Lyon
Et les résultats sont là : "le MAN est connu, les acteurs locaux reconnaissent la démarche et on est très sollicités, on a notre notoriété sur les réseaux sociaux aussi.", précise Xavier Dormont.
Au-delà des actions dans l'agglomération lyonnaise, les méthodes de la non-violence ont pénétré la société. La non-violence a obtenu des acquis comme dans l'éducation avec l'instauration de formations pour les enseignants à la prévention et à la résolution non-violente des conflits grâce à la loi Peillon (2013).
La non-violence au service du climat
Des syndicats, des associations comme Alternatiba ou Greenpeace se revendiquent eux aussi de la non-violence, même si les modes d'actions peuvent différer. Sylvine Bouffaron, 40 ans est militante depuis quinze ans, dont dix passés à la tête d'Alternatiba Lyon. Pour elle, la non-violence est d'abord l'occasion de mobiliser "au plus large" et de rassembler différentes alliances.
"La non-violence est une force transformatrice de la société, cela permet à tout le monde de participer, d'incarner des luttes d'où qu'il soit", explique l'actuelle porte-parole d’Action Justice Climat Lyon. En d'autres termes, il faut "faire masse" pour construire "l'idéal progressiste" recherché, à savoir : une "société libre du système capitaliste et colonialiste", résume Sylvine Bouffaron qui est aussi militante féministe et antiraciste.
Le principe de la non-violence est parfois jugé inefficace et "pas assez" radical par des militants. L'urgence écologique est venue rouvrir ce débat ancien. "On n’a pas assez de grandes victoires étant donné l'ampleur du défi de l'urgence climatique, concède la porte-parole. Toutefois, Sylvine Bouffaron réfute toute mollesse : "le mot radical signifie prendre à la racine, or quand on veut changer tout un système économique et politique pour donner vie à un projet soutenable d'égalité, c'est radical. La radicalité n'est pas synonyme de violence, c'est une erreur sémantique".
Quant au procès en inefficacité, les actions de terrain ne sont pas vaines selon elle : "On a permis des rencontres par exemple localement en ouvrant l'Alternatibar à la Croix-Rousse. Manifester, être dans la rue, ce n'est pas inutile ça permet de se former et de résister collectivement".
Le corps comme moyen de résistance
Sabotages, manifestation, sit-in, militants enchaînés à des pelleteuses... le corps est essentiel dans les luttes non-violentes. "On est formés pour encaisser des coups : notre corps est un moyen de résistance". Reste que les associations doivent se réinventer constamment et changer de tactiques notamment face au durcissement de la réponse étatique. Selon Sylvine Bouffaron, les violences contre les manifestants ont augmenté ces cinq dernières années : "on est davantage gazés par les forces de l'ordre ou agressés, on doit se réadapter. On ne peut plus envoyer 2 000 personnes sur une assemblée générale de Total par exemple car on doit s'ajuster pour éviter la violence contre nos militants, on doit réfléchir à d'autres tactiques".
Les discours officiels changent aussi. Par exemple, quand l'ancien ministre de l’intérieur, Gérarld Darmanin, affirme que les "modes opératoires" d’une partie des opposants à l’installation de mégabassines qui ont participé à la manifestation interdite à Sainte-Soline, "relev[aient] de l’écoterrorisme".
Pour Sylvine Bouffaron, c'est là que la non-violence a un rôle à jouer. Car elle est aussi synonyme de créativité et d'humour, "une partie d'échecs" entre David et Goliath, l'Etat ou des multinationales dans le rôle du géant. "La violence est un piège tendu par l'adversaire qui lui, dispose des armes, il faut être plus malin.", explique Sylvine Bouffaron. Un principe que son association et ses partenaires estiment aussi appliquer face à la montée de la violence de l'ultradroite à Lyon.
Du temps long
De manière générale, la non-violence permet de s'extraire de l'affrontement direct et offre des solutions alternatives. Xavier Dormont s'appuie sur un livre "Le pouvoir de la non-violence : pourquoi la résistance civile est efficace" publié en 2012 par deux chercheuses, Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, et traduit en français dix ans plus tard.
Dans cet ouvrage, les autrices étudient plus de 320 insurrections ayant eu lieu au cours du XXe siècle dans le monde entier. Elles y démontrent que les résistances non-violentes ont trois à quatre fois plus de chances de réussir que les révolutions violentes. Surtout elles permettent d'assurer un avenir démocratique plus stable et d'éviter des guerres civiles. Toutefois, cela ne veut pas dire non plus que la non-violence réussit à chaque fois : seulement 40% des mouvements non-violents atteignent leur objectif.
"La non-violence s'inscrit dans le temps long, celui que l'on prépare pendant et après un conflit, ce n'est pas celui d'un gouvernement qui promet une action instantanée mais rarement efficace.", conclut Xavier Dormont.