Pendant toute la durée du confinement, nous vous avons raconté ces initiatives individuelles ou collectives pour organiser des actions solidaires ou simplement supporter le quotidien. Que sont devenus leurs auteurs et quel regard portent-ils sur ce vécu si particuliers? Voici leurs témoignages.
Nous les avions rencontrés pendant le confinement. Alex et Valéria, Evelyne et Brahim, et puis Ludovic, Sébastien ou Yann.
Chacun à sa manière, individuellement ou avec son voisin, son colocataire ou son association, a refusé les effets du confinement, accepté de sortir de sa zone de confort, voire de se mettre en danger au service des autres. Des petits héros du quotidien qui ont permis à leurs voisins de supporter le confinement, à des personnes âgées de rompre l'isolement, à des soignants de penser à autre chose que ce maudit virus.
Auprès des plus isolés
Il y a eu d'abord Yann Badra, rencontré avec toute son équipe le 21 mars 2020. Quasiment dès le début du confinement, avec l'association qu'il a créée, le Groupe d'Intervention, de Protection et de Sauvetage, ce pompier de profession a organisé des tournées auprès de personnes âgées ou malades. Objectif très pratique : leur faire les courses ou aller chercher leurs médicaments. Pendant 54 jours, sans relâche, avec sa jeune équipe, le GIPS a surtout offert à ces personnes un moment de partage et de présence. Et Yann, comme les autres, a découvert ce que pouvait être l'ampleur d'une solitude."On a eu des personnes qui nous ont touchés de par leur solitude", raconte, encore ému, Yann Badra. "Notamment une histoire qui me revient. Une maman qui était toute seule dans son foyer. Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas mangé ! C'est difficile. On essaye de garder une carapace en se disant qu'on doit rester dans notre rôle d'associatifs. Mais c'est compliqué de rester vraiment à distance. Aujourd'hui encore on prend de ses nouvelles car cela fait trop mal au coeur."
Parmi les bénévoles du GIPS, beaucoup de jeunes, comme Sabrina Gotte. La jeune-femme est vendeuse et ne regrette absolument pas son engagement.
Je ne garde que du positif de cette mission. Les remerciements des gens que nous avons aidés étaient juste géniaux. Et si c'était à refaire, je le referais sans aucune hésitation. Sur moi-même j'ai appris que j'ai énormément de patience, que je sais être à l'écoute des autres, ce qui peut s'avérer compliqué parfois. Et puis c'est aussi un savoir vivre avec l'équipe, découvrir comme on peut bien s'entendre.
Pendant le déconfinement le GIPS est aussi intervenu sur la logistique des "drive-tests" à la demande de la mairie de Givors. Et a encore trouvé le temps de reprendre son activité principale le temps d'un week-end en allant aider des victimes d'inondation en Lozère!
Soigner la tête des soignants
Lui c'est Sébastien. Sébastien Allary. Coiffeur et même Meilleur Ouvrier de France dans sa catégorie. Un titre et un concours qui récompensent les meilleurs artisans dans chaque métier. Son salon fermé, Sébastien a décidé d'appliquer la devise contenue dans l'article 8 de la Charte du Meilleur Ouvrier de France : généreux, solidaire et disponible.Alors tous les jeudis, au commencement et puis aussi le mardi, il est allé coiffer gratuitement les personnels soignants de l'hôpital St Joseph St Luc de Lyon. Bravant sa peur, obligé d'enfiler deux blouses, une charlotte, un masque et des gants, pendant 6 heures, il les a coiffés. Et surtout il leur a permis d'oublier le virus, leurs malades et leur fatigue aussi. Comme une sorte d'hommage à leur courage à eux. Découvrant une relation toute nouvelle à ces "clients" d'un moment.
J'ai la chance d'avoir au salon une clientèle très fidèle. Et ainsi on accompagne des gens tout au long de leur vie : lorsqu'ils réussissent un examen, lorsqu'ils se marient, lorsqu'ils ont des enfants, lors de changements professionnels. On s'aperçoit que les hommes et les femmes viennent changer leur coiffure, leur look dans des moments importants dans leur vie. Mais là c'était la première fois qu'une coupe de cheveux prenait autant d'importance. Et ça dépassait la coupe de cheveux car c'était surtout le rapport humain qu'on entretenait avec eux à ce moment-là. Prendre soin de ces gens-là qui étaient, en permanence, à s'occuper des autres; leur offrir une petite demi-heure, trois quarts d'heure pour s'occuper d'eux. Cela a été un rapport à ma profession, une émotion que je n'avais encore jamais connus.
Depuis Sébastien Allary a rouvert son salon et souhaite désormais aller coiffer des handicapés physiques ou mentaux, afin, dit-il de participer à leur thérapie.
Et puis il y a aussi ceux qui sont devenus la courroie indispensable dans leur immeuble ou leur quartier, créant un peu de magie pour leurs voisins.
La magie du cinéma
C'est le cas de Ludovic Dechamps. Menuisier de profession, il avait dû fermer l'atelier partagé où il travaille le bois. Ludovic a eu l'idée de sortir son vidéo-projecteur et de projeter depuis la cour de son immeuble à la Croix-Rousse, choisissant des court-métrages d'animation. Les plus jeunes comme les adultes avaient de petites étoiles dans les yeux. Et puis le jour, la cour-jardin est devenue un vrai lieu de rencontres. Ainsi, au début du confinement, Ludovic avait songé déménager pour s'installer à la campagne. Mais les projections ont tout changé.
Il y avait des gens tous les soirs à la fenêtre qui buvaient l'apéro. Il en reste quelque chose de fort. Un sentiment d'appartenance qui s'est créé qui est assez sympa. Il en reste le groupe what's app sur lequel il y a maintenant quasiment tous les voisins. Il en reste une envie de vivre ensemble...une dynamique collective. Maintenant on a repris le nettoyage du jardin. Il y a plus de gens qui se sont appropriés ce lieu.
Nous avions rencontré Ludovic le 27 mars. Et après notre passage, un second "Monsieur Cinéma", Sylvain Malaise, est venu lui aussi avec un vidéo-projecteur encore plus puissant. A deux, avec Ludovic, ils ont pu projeter simultanément sur les deux murs opposés, permettant ainsi à tous les habitants des immeubles d'en profiter. Ludovic a fait des études de cinéma et c'est un peu un rêve qu'il a concrétisé et qu'il veut poursuivre avec Ludovic.
C'était magique de voir toutes ces fenêtres s'ouvrir, s'éclairer. Des gens qui applaudissaient aussi. Un rêve! Pour moi c'était vraiment une envie depuis longtemps qui me trottait dans la tête. Maintenant on se dit avec Ludo pourquoi ne pas créer un festival! D'aller se balader de cour en cour! On rêve peut-être un petit peu mais c'est ça qui est chouette aussi. On viendrait avec notre vidéo-projecteur et on s'installerait dans les cours des gens pour leur projeter une demi-heure de courts métrages. Ce serait chouette de s'inviter comme ça.
Les crieurs du 7e
C'est grâce à leur petite annonce affichée en bas de leur immeuble et postée sur les réseaux sociaux que nous avions rencontré Alex Repain et Valéria Cardullo, deux jeunes comédiens en co-location avec Saad Belfakir, professeur de danses de salon. Toute la journée ils récoltaient les messages de leurs voisins par SMS ou sur une adresse mail. Et puis le soir à 19h, ils les portaient avec leurs voix dans une criée en bas de leur immeuble.
Un voisin cherchait des vis spéciales, un autre, boulanger de métier proposait de rapporter baguettes et croissant. Une adepte de gymnastique décrivait des mouvements simples pour éviter de s'ankyloser. On souhaitait tous les anniversaires.
Alex et Valéria, tous deux en rouge, comme des super héros, retransmettaient ces moments de vie et d'échanges. Ils ont ainsi fait 46 criées pendant tout le confinement et même 4 après!
Depuis, Valéria a décidé de continuer:
C'était une vraie expérience nouvelle en tant que comédienne. Ça m'a emmenée vers une nouvelle vocation. C'est quelque chose qui me plait : retransmettre les messages des gens et de pouvoir les retransmettre comme ça, uniquement avec ma voix dans l'espace public."
Et les deux comédiens s'interrogent sur ce nouveau rapport avec un public.
Ça se rapproche surement du théâtre d'improvisation où l'improvisateur va aller puiser des idées dans le public. Mais là, on se met uniquement au service des messages et donc de la parole du public. Et ça, c'est intéressant et c'est quelque chose qu'on retrouve dans très peu d'autres formes artistiques.
Chanter, danser, se costumer pour alléger le confinement
Difficile de faire émerger une personnalité dans ce collectif d'un quartier de la Guillotière à Lyon. Tous les soirs pendant le confinement à 20h02, après les applaudissements pour les soignants, ils ont chanté, dansé, ont répondu à un dress-code sur la dalle béton en bas de leurs immeubles, ou à leurs fenêtres et même sur un muret séparant un autre ensemble d'immeubles pour les danseurs.
Alors bien sûr il y a Evelyne, qui la première a chanté Bella Ciao avec son orgue de barbarie. Vincent son mari, Adam et Adel, les frères, l'un pianiste, l'autre percussionniste, qui ont repris goût à la musique et puis Virgile guitariste professionnel.
Mais au final tous se sont fondus dans un énorme collectif : plus de 100 personnes, inscrites sur le groupe what's app, qui chaque jour choisissaient la chanson, y mettaient les paroles. Et les danseurs créaient une chorégraphie, également mise en ligne.
Aujourd'hui, beaucoup disent que l'arrêt de ce rendez-vous quotidien a laissé un grand vide. Mais si les notes ne résonnent plus que rarement, le collectif, lui, est toujours là. Et des apéros-rencontres sont régulièrement organisés, comme si désormais ils ne pouvaient s'en passer. La parenthèse enchantée, dans tous les sens du mot, a laissé son empreinte.
Et des amitiés solides sont nées sur la dalle comme des fleurs sur le béton. Avant de se séparer pour les vacances, ils ont déjà commencé à réfléchir à la chanson qu'ils interprèteront, tous ensemble, pour la fête des voisins, en septembre.Ce temps où on pouvait penser à soi, à ce qui nous était peut-être plus essentiel pour notre bien-être, il faut un peu le mettre sous le couvercle. Mais il est encore là. On sait que cela existe et c'est important pour nous. Moi la musique par exemple a toujours fait partie de ma vie depuis très longtemps. Donc elle peut exister désormais dans cette vie-là.