Ce vendredi 6 mai 2022, le collectif des victimes du père Ribes organisait sa première conférence au Club de la presse de Lyon. Un événement qui a déplacé une foule de journalistes. François Devaux et Nanou Couturier étaient présents pour soutenir ce tout jeune collectif dans son combat.
Presse locale, régionale, nationale .... Certains journalistes sont venus bien en avance pour assister à cette première conférence de presse. Ce vendredi matin, on se bousculait au club de la presse de Lyon. Les journalistes ont répondu présent à l'invitation du collectif des victimes du père Ribes, surnommé le Picasso des Eglises. La petite salle où se déroulerait la rencontre avec plusieurs membres du collectif était pleine à craquer. Une première conférence de presse pour Annick Moulin et Luc Gemet victimes du père Ribes.
Des victimes "oubliées", "abandonnées"
Annick, Luc et sa fille semblaient calmes en apparence, mais un peu intimidés tout de même. Ce tout jeune collectif est né après un nouveau scandale de pédophilie qui a éclaboussé le Diocèse de Lyon, mais aussi celui de Saint-Etienne et de Grenoble. Il met en cause un prêtre, originaire aujourd'hui décédé : le père Ribes. Ce dernier était aussi un artiste reconnu. C'est en juillet 2021 que cette nouvelle affaire éclate au grand jour. Les premiers signalements arrivent au Diocèse de Lyon, peu de temps après les procès Barbarin et Preynat. Peu de temps avant le rapport de la Commission Sauvé sur les abus dans l'Eglise en France. On parle alors de nombreux enfants abusés des années 70 au début des années 90. Le père Louis Ribes, décédé en 1994 à 74 ans. On compterait une cinquantaine de victimes du père Ribes. Ce collectif affirme représenter 25 victimes, "mais il y en a beaucoup plus, peut-être
300". 49 se sont aujourd'hui officiellement manifestées auprès de la Commission sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique (Ciase).
Nous demandons à l'Eglise catholique la reconnaissance du caractère systémique de ces crimes.
Luc Gemetvictime du père Ribes
Avec cette conférence de presse, la première pour le collectif, les victimes veulent en finir avec "le sentiment d'isolement" et mettre en lumière "la lenteur, le mépris, le silence, la passivité de l'Eglise" dans cette nouvelle affaire de pédophilie qui frappe les diocèses de Lyon, Saint-Etienne et Grenoble. Les victimes se sentent "oubliées" par ces trois diocèses. Elles évoquent les errances devant les autorités ecclésiastiques, les messages échangés, les demandes sans réponse. "On se rend compte que le Diocèse de Lyon ne communique pas avec nous. Depuis la réunion à Sainte-Catherine, rien ! On n'a pas de nouvelles. On a besoin d'être inclus dans leurs actions," explique Annick Moulin.
Aujourd'hui, ces victimes attendent des actes concrets de la part des autorités religieuses, plus que des bonnes paroles ou des intentions.
Les œuvres du père Ribes à l'index ?
Durant la conférence, les victimes n'ont pas voulu revenir sur les abus subis durant leur enfance. Leurs souffrances, leurs vies brisées... ils ont déjà évoqué tout cela à maintes reprises dans leurs témoignages. Mais, le besoin de s'exprimer devant le parterre de journalistes est malgré tout plus fort.
Je voulais savoir ce qu'étaient devenues les photos. On nous avait dit qu'elles avaient été détruites. Suite à mon témoignage dans la presse, c'est un proche de Ribes qui nous les a données.
Luc Gemetvictime du Père Ribes
Presque sans prévenir, Luc et sa fille brandissent des clichés en noir et blanc. Des photos de Luc prises voilà plus de 40 ans. Il a devant lui des albums photos complets, des clichés récupérés "par hasard".
Pour Annick Moulin, c'est le livre qui valorise le travail artistique du Père Ribes toujours en vente qui est une plaie ouverte. "C'est choquant qu'il soit encore disponible !" dénonce la jeune quinquagénaire dans un souffle. "Je suis outrée, à la fin du livre mes parents sont cités dans les remerciements!" ajoute-t-elle. Elle a été abusée, comme le reste de la fratrie.
Si les œuvres ont été décrochées des églises où elles étaient exposées, les victimes du père Ribes disent ne pas en avoir été averties et s'en émeuvent. "Des tableaux ont été déposés sans que personne ne soit prévenu. Nous victimes, on est encore les grands oubliés !" déplorent les trois membres du collectif. Ils auraient apprécié être associés à la démarche, être présents lors du décrochage des toiles, "une question de symbole".
Le collectif s'interroge sur les intentions de l'Eglise concernant ces oeuvres "Seront-elles cachées tant qu'on est vivant ? On se pose des tas de questions," explique Luc. "Et que vont devenir les vitraux ?" s'interroge encore le collectif. Parmi leurs revendications, ces victimes expliquent qu'elles réclament aussi une autre mesure symbolique. Certaines œuvres du prêtre pédophile sont classées monuments historiques, les victimes demandent leur déclassement.
Des réparations financières au point zéro
Pourquoi ce rendez-vous avec la presse aujourd'hui ? Les représentants du collectif explique vouloir obtenir des réparations et la prise en charge des soins. Ils affichent une grande détermination. "On veut contraindre l'Eglise à respecter son engagement. On n'a toujours rien ! L'église est prête à lâcher beaucoup d'argent pour garder une belle image. Nous, on risque d'attendre longtemps pour obtenir réparations," dénonce Luc Gemet. Le collectif pointe notamment la complexité des démarches pour obtenir des indemnisations.
Envoyer ma demande à l'INIRR, c'est compliqué. Je ne sais pas comment évaluer ce que j'ai vécu. J'ai l'impression de mendier ma réparation !
Annick Moulinvictime du père Ribes
"On se sent abandonnés, on ne se sent pas entendus. On apprend que l'Eglise cherche à minimiser, à étouffer ce qui s'est passé. Au niveau communication, ils sont très forts. Devant la presse, ils expliquent que nous allons enfin avoir réparations, mais quand ? Et de quelle façon ? Mais on ne voit rien arriver !" confie Luc Gemet, en marge de la conférence.
Lors de cette conférence de presse, le patrimoine du Diocèse de Lyon a également été évoqué : entre 172 et 200 millions d'euros. Pour le collectif de victimes, l'argent reste à ce jour "la seule sanction". L'Eglise "a les moyens, elle peut et doit payer", a déclaré Luc Gemet.
Cette lutte pour obtenir des réparations s'annonce longue et âpre. Les membres du collectif sont-ils préparés et suffisamment aguerris ?
Les pionniers, soutien discret
Dans la salle, les pionniers du combat contre la pédophilie dans l'Eglise sont présents, à leurs côtés pour les épauler. A commencer par François Devaux, co-fondateur de La Parole Libérée. Le Lyonnais a fait une arrivée discrète mais remarquée. Il s'installe non loin d'Annick et Luc. Une présence bienveillante pour ne pas éclipser le collectif naissant.
Une autre victime est présente aussi : Nanou Couturier. Abusée avec sa soeur par trois prêtres pédophiles dans son enfance. Des viols qui ont duré plusieurs années. Aujourd'hui son combat pour obtenir des réparations est encore loin d'être terminé. Elle ne pouvait pas manquer cette conférence, a-t-elle confié. Elle est là par devoir, par besoin aussi. Son avocat, Me Jean Sannier, est également dans la salle, assis entre François Devaux et Nanou Couturier.
L'Eglise n'a pas du tout envie d'indemniser et a tout mis en oeuvre pour ne pas indemniser ! (...) Le but est d'étouffer la parole, à terme, de la confisquer ! La première étape est de ne surtout pas identifier le montant de la réparation.
Me Jean Sannieravocat
Concernant les réparations financières, Me Sannier, a dénoncé le "bricolage" des deux instances en charge - la Commission reconnaissance et réparation (CRR) et l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIIR) - dans la fixation des montants. Elles chercheraient selon lui "exclusivement à protéger les finances de l'Eglise"
Et François Devaux enchaîne : "le Diocèse entretient l'opacité. La colère reste entière. La CIASE est passée mais le montant des indemnisations est nivelé par le bas. La repentance, c'est vraiment ça?" s'interroge-t-il. Depuis la présentation du rapport de la commission Sauvé, François Devaux n'a rien perdu de sa virulence. Il poursuit : "Ils ont cramé le message originel des Evangiles. Si on bâcle les réparations des victimes, on va bâcler les réparations morales de l'Eglise", lâche-t-il.
Aujourd'hui, le collectif porte également des revendications juridiques, réclamant l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur les mineurs.