Polluants éternels : Arkema déconseille la consommation des légumes de ses jardins ouvriers

Depuis le début du scandale sanitaire aux perfluorés, c'est la première fois que l'industriel lui-même laisse entendre que la pollution aux PFAS pourrait comporter un risque. Jusque-là, les teneurs en "polluants éternels" au sud de Lyon étaient jugées "non préoccupantes", mais le groupe Arkema déconseille aujourd'hui aux locataires de ses jardins ouvriers d’en consommer les végétaux. Aveu de culpabilité ou gestion du risque juridique ?

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Ce matin, il a beau faire presque 30 degrés dans les jardins ouvriers de Pierre-Bénite, Amor Bakouche bêche sans relâche. Ses salades, ses tomates, ses carottes, il les bichonne et les mange depuis 40 ans. Avec ou sans perfluorés. “On le sait qu’il y a des pollutions, on vit avec, sinon le monde s’arrête”, assure-t-il, mi-philosophe, mi-résigné. Et le courrier qu’il vient de recevoir de la part de l’industriel Arkema n’y changera rien. 

La direction de l’établissement de Pierre-Bénite, en sa qualité d’employeur et de propriétaires des terrains concernés, vous recommande de ne pas consommer les fruits et légumes issus de ces jardins partagés”, est-il écrit.  

Des légumes au-dessus des recommandations européennes

Un petit bout de papier qu’Amor Bakouche a décidé d'ignorer. C'est pourtant la première fois que l'industriel indique publiquement que la pollution aux PFAS peut comporter un risque. “C’est inquiétant, d’accord, mais on a toujours vécu comme ça... Pourquoi arrêter aujourd’hui ?”, continue Amor. Parce que derrière le déni, il y a aussi l’attachement à ce petit bout de terre, oasis de verdure au milieu des barres d’immeuble qui ceinturent la plateforme industrielle. “Avec tout ce qu’on a investi, le temps, l’argent... Par leur faute, du jour au lendemain, il faudrait tout arrêter ? J’ai toujours jardiné, c’est un choix de vie. C’est comme si on demandait à un sportif qui pratique tous les jours d’arrêter. 

Et pourtant, depuis le mois de janvier déjà, on sait que dans ces jardins, les carottes révèlent un taux 158 fois supérieur aux recommandations européennes pour le PFNA et connue pour provoquer de nombreux effets sur la santé, notamment sur le système endocrinien. Une molécule utilisée par l’industriel Arkema jusqu’en 2016. Dans la totalité des légumes prélevés, on retrouvait aussi du PFHxA, molécule utilisée par l'autre industriel de la plateforme, le japonais Daikin

Et même si dans le secteur, les œufs et les poissons avaient déjà été déconseillés à la consommation par les autorités, pour les légumes, en l'absence de valeurs toxicologiques de référence, la préfecture n’avait pris aucune restriction

Arkema sous pression ?

Alors pourquoi ce revirement soudain, de la part de l'industriel lui-même ? La réponse se trouve peut-être entre les lignes d’une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) prescrite à Arkema par la préfecture le 14 juin dernier. Peut-être aussi, parce que l'entreprise est visée par un recours en droit pénal environnemental déposé par une association citoyenne, Notre Affaire à Tous

Dans le contexte des investigations prescrites (…) le site de Pierre-Bénite a fait réaliser des premiers calculs de risques potentiels. Ces premiers calculs utilisent des scénarios d’exposition théoriques et maximisant en l’absence de valeurs sanitaires concernant les sols et végétaux”, explique justement la direction de la communication du groupe. Et d’ajouter : “bien qu’il s’agisse de résultats préliminaires, le site de Pierre-Bénite a pris la décision de recommander de ne pas consommer les fruits et légumes issus des jardins potagers qu’il possède situés à proximité immédiate de son site de Pierre-Bénite dans l’attente des résultats définitifs de l’évaluation des risques potentiels

De quels risques parle-t-on ? De quels scénarios parle-t-on ? Sur quelles normes ou valeurs toxicologiques de référence se base-t-on ? Les chiffres mentionnés sont-ils bien plus préoccupants que tous les résultats annoncés jusque-là ? À ces questions, le directeur du site refuse de répondre.  

Au sein des services de l’État, le courrier de l’industriel fait donc grincer des dents. La méthodologie est incomplète et la mesure, un peu prématurée, sans mentionner l'absence de concertation avec les autorités, prescriptrices de l’étude. “Les services de l'État portent une attention toute particulière à ce que les décisions prises dans la gestion de cette pollution s'appuient sur une approche scientifique solide alors même que nos connaissances sur ce sujet sont en constante évolution et la réglementation française comme européenne encore en construction”, rétorque donc la préfecture.  

Un premier aveu de culpabilité ? 

C’est aberrant, c’est d’une contradiction absolue même... Comment peut-on dire qu’il faut arrêter de consommer les légumes pollués et continuer à produire ces mêmes substances ?”, affirme Me Jean-Marce Hourse, l’avocat de la ville de Pierre-Bénite, qui a indiqué sa volonté de porter plainte avec une trentaine d’autres communes à la rentrée. “C’est la première fois qu’ils reconnaissent un risque potentiel, et ce, bien après tout le monde et alors qu’il sort un article sur le sujet presque tous les jours. C’est une sorte de principe de précaution à froid... On ouvre le parapluie, mais il est bien troué quand même”, ajoute l’avocat.  

Du côté des riverains, on apprend la nouvelle avec circonspection. “Il n’est jamais trop tard pour réagir”, souffle Edith Metzger, qui habite à quelques centaines de mètres de l’usine et qui a un taux important de PFAS dans le sang. “Mais si les potagers partagés sont mis en cause, moi, je me pose la question pour mon propre jardin, je ne vois pas comment il pourrait ne pas être pollué”, assure-t-elle. Même question du côté de Stéphanie Escoffier, qui réside un peu plus loin, dans la commune voisine. Les sols de son potager partagé ont déjà été analysés et contiennent des taux importants de PFAS. Par précaution et dans l'attente de directives claires, elle avait arrêté de donner ses légumes à son enfant. Je me dis qu’on rentre dans une période où on n’est plus dans le déni, et c’est positif, mais sans la pression des médias et des habitants, il n’y aurait jamais eu tout ça”, s’exprime-t-elle

De là à y voir un premier aveu de culpabilité de la part de l’industriel, il n’y a qu’un pas : si ce sont eux qui font cette recommandation, c’est qu’ils y sont pour quelque chose, forcément”, affirme Edith Metzger. Mais l’industriel reste prudent et précise qu’il faudra attendre “les résultats définitifs” de l’EQRS avant d’affirmer que le risque est avéré.

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