Polluants éternels : discorde autour de la mission gouvernementale confiée à un député du Rhône

Le député de la 12° circonscription du Rhône, Cyrille Isaac-Sibille, vient d’être mandaté par le gouvernement pour mener une enquête sur les “polluants éternels”. Une nomination qui fait tiquer les habitants et élus de Pierre-Bénite, épicentre de la pollution. Le député s’était notamment prononcé le mois dernier pour le report de la régulation des PFAS dans les rejets aqueux.

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Vue de loin, vue d’ailleurs, la décision paraît logique. Pour faire le point sur les “polluants éternels”, le gouvernement a missionné le député de la zone française la plus touchée, en tout cas en l’état actuel des connaissances, c’est-à-dire Pierre-Bénite. C’est donc Cyrille Isaac-Sibille, député de la 12° circonscription du Rhône qui vient d’être officiellement mandaté par Elisabeth Borne pour "faire le point” sur la question des PFAS.

Une mission pour “faire le bilan et le diagnostic”

En clair, l’élu aura six mois pour remettre un rapport à quatre ministères : Transition écologique, Agriculture, Santé et Industrie. “Ce qu’il faut, c’est faire le bilan, le diagnostic. Il faut agir rapidement et efficacement”, résume Cyrille Isaac-Sibille.

Depuis l’émergence médiatique de la problématique des PFAS dans le sud de Lyon, notamment autour de la plateforme industrielle d’Arkema et de Daikin, le député affirme s’être engagé sur le sujet. Il a en effet posé une question au gouvernement en juillet 2022 et demandé l’ouverture d’une commission d’enquête sur les “polluants éternels”.

De commission, “trop compliquée à mettre en œuvre", l’action s’est transformée en mission décidée unilatéralement par le gouvernement et donc non soumise au vote de l’hémicycle. Mais, l'objectif reste le même. Le député devra “actualiser et compléter le diagnostic de la situation en France, faire un point sur la connaissance des imprégnations par les perfluorés dans les différents milieux et étudier le caractère essentiel ou non de certains PFAS pour des technologies cruciales pour la transition écologique”.

Une nomination contestée par les élus locaux

Mais vue de près, c’est-à-dire vue d’ici, la décision fait bondir. Sur le plan politique, d’abord. Jean-François Baudin par exemple, candidat EELV déçu aux législatives de la même circonscription, se dit “révolté”. “Au regard des prises de position du député ces dernières semaines, on peut se poser comme question : pour qui roule-t-il ? Est-ce qu’il est soumis à des impératifs économiques ? 

Jean-François Baudin fait référence au positionnement récent du député lors d’un débat en commission. France 3 Rhône-Alpes avait révélé que Cyrille Isaac-Sibille avait fait voter, le 31 mai dernier, un amendement pour reporter la limitation des rejets de PFAS dans l'environnement de 2024 à 2026. Il s’était également opposé, entre autres, à un amendement du député EELV Nicolas Thierry demandant l’interdiction de toute la famille des PFAS qui comprend des milliers de molécules, proposition actuellement portée par cinq pays au niveau de l’Union Européenne. C’était peut-être la dernière personne à qui il fallait confier cela. Un député à l’autre bout de la France aurait peut-être été plus à même de s’acquitter de cette mission, en toute impartialité”, ajoute Jean-François Baudin.

On perd du temps”, s’impatiente également la députée EELV Marie-Charlotte Garin. Pendant qu’Isaac-Sibille enquête, le gouvernement peut légitimement s’abstenir d’agir sur le sujet. “Mais pour qui on essaye de gagner du temps ? Quels intérêts on essaye de protéger ? Si le but est de produire des données, le député aurait accepté notre amendement demandant le contrôle obligatoire des PFAS dans tous les captages d’eau potable”, explique encore l’écologiste.

“Surprise”, également, du côté des élus locaux. “Je prends presque ça comme une provocation de la part du gouvernement. On nomme celui qui a la position la plus éloignée de l’ensemble des habitants du sud lyonnais”, s’exclame Jérôme Moroge, maire LR de Pierre-Bénite et également candidat déçu aux législatives, avant de pointer que la moindre des choses aurait été de nommer un co-rapporteur. “Ce type de mission devant être transpartisane”, assure l’édile, qui est à l'origine d'une lettre ouverte dans laquelle de nombreux élus locaux dénoncent les prises de position du député.

Des accusations dont Isaac-Sibille se défend. "Je suis médecin, je suis sensibilisé aux questions de santé environnementale depuis longtemps. C’est ridicule de m’accuser de faire du lobbying. Si certains veulent faire de la polémique politicienne, qu’ils le fassent. Moi, je préfère être utile, opérationnel et efficace. Ce qu’il nous faut, c’est produire de la connaissance scientifique.

L’indignation de la population

Mais la création de cette mission, censée apaiser l’agitation politique et citoyenne provoquée par ce début de scandale sanitaire, inquiète plus qu’elle ne rassure les habitants de Pierre-Bénite.

On n’a pas confiance”, confie Thierry Mounib, président de l’association Bien vivre à Pierre-Bénite, mobilisée sur la question des PFAS depuis plus d’un an. Alors que France 3 Rhône-Alpes a révélé le mois dernier l’imprégnation d’une partie des riverains des usines Arkema et Daikin, Thierry Mounib milite sans relâche pour qu’une vaste étude d’imprégnation soit diligentée par l’État. En vain. Récemment, Cyrille Isaac-Sibille, malgré sa position anti-PFAS assumée, a assuré ne pas être pour une telle étude. “On comptait sur nos élus pour nous soutenir, et au final, on est encore déçu”, se désole Thierry Mounib.

C’est révoltant et choquant. Les politiques se plaignent d’être taxés de “tous pourris”, mais par cette nomination, on est en droit de penser que le gouvernement oriente l’objectif de cette mission : laisser les mains libres aux industriels le plus longtemps possible au détriment de notre sécurité. À force de ne pas être pris en considération, les citoyens risquent de se soulever”, prévient Sylvie, habitante d’Oullins, commune proche de la plateforme industrielle.

On se sent très mal représentés, par un député qui, prétextant la complexité du problème, prend des positions choquantes et injustifiables, laissant du répit aux pollueurs. Il est bien ironique de voir que cette nomination intervient le lendemain de l’affichage en face d’Arkema d’un panneau dénonçant la complaisance de ce même député”, ajoute Lucie, de Pierre-Bénite.

Une affiche dénonçant les prises de position du député

Cette habitante fait référence à l’action “non violente et sans dégradation matérielle” d’un tout jeune collectif, sans nom et sans page officielle. Composé d’une dizaine d’habitants “du Sud-Ouest Lyonnais en colère”, ses membres ont procédé à l’affichage sauvage d’un très large panneau représentant le député Isaac-Sibille et intitulé “la pollution tranquille”. “Les gens, ici, sont impactés dans leur quotidien. On ne mange pas les œufs, on ne mange pas les légumes. Que notre représentant, celui de notre circonscription, nous trahisse à ce point... On a ressenti le besoin de le faire savoir à tout le monde ce qu’il était en train de faire”, explique Louis, membre de ce collectif.

Alors forcément, en apprenant, deux jours après cette action, la nomination du député pour cette mission gouvernementale, le militant rit jaune. “Je suis assez perplexe sur ce qui nous attend, pas du tout confiant et très dubitatif. C’est une mission pour jouer le jeu des industriels, Isaac-Sibille reprend les arguments pour défendre l’utilisation de certains PFAS et ralentir l’éventuelle interdiction de ces polluants”, ajoute Louis.

Les arguments du lobbying

Parmi ces arguments, celui du “caractère essentiel” de certains PFAS. Isaac-Sibille confirme “vouloir faire le point avec les industriels, sur leurs perspectives, comprendre quels PFAS sont utilisés dans le cadre de la transition environnementale et s’ils sont nécessaires ou pas”.

C’est clairement l’un des arguments utilisés par les industriels, selon lequel leurs produits sont essentiels dans la transition écologique et qu’il n’y a pas d’alternative. Il faut être très critique par rapport à toutes les logiques narratives qui viennent de l’industrie”, commente Vicky Cann, de l’ONG Corporate Europe Observatory, qui va publier dans quelques jours un article sur les stratégies de lobbying de l’industrie des PFAS.

Bien qu’existant depuis les années 1980 et utilisé notamment dans le protocole de Montréal, le principe “d’usage critique ou essentiel” n’a pas été officiellement repris dans la proposition d’interdiction de toute la famille des PFAS portée au niveau européen. Mais, le concept de “dérogation” dans certains secteurs, et là où il n’y a pas d’alternative, a, lui, bien été introduit dans la proposition que l’Agence chimique européenne doit étudier d’ici 2025. “Alors forcément, les industriels ont sauté dessus”, explique encore Vicky Cann. “Et ces stratégies de lobbying, on peut les voir à Bruxelles, c’est évident, mais également au niveau national, et même régional. J’ai vu des gouvernements régionaux recevoir des représentants de l’industrie sur le sujet des PFAS. Il faut donc être attentif et les représentants politiques doivent être très rigoureux dans ce qu’ils disent”, conclue Vicky Cann. 

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