Lundi 16 décembre 2013, le 8e jour du procès des deux jeunes incendiaires du foyer Adoma s'est ouvert à la cour d'assises de Côte d'Or à Dijon. La journée doit être consacrée aux plaidoiries des parties civiles.
9h15 : l'audience est ouverte
La matinée commence par le visionnage d'images amateurs de l'incendie. La bande son de la première vidéo est effrayante. Des cris stridents retentissent dans la nuit. Les deux accusés regardent attentivement ces images du drame.
9H30 : Maître Bruno Nicolle ouvre le bal des plaidoiries des parties civiles
Me Bruno Nicolle représente les familles des deux hommes d'origine sénégalaises qui ont perdu la vie pendant l'incendie. L'un a succombé aux fumées toxiques, l'autre s'est défenestré par peur des flammes.
Sa plaidoirie commence ainsi : "Une nuit en novembre, entre un samedi et un dimanche, froide, humide (...) une nuit où le vent a quitté la plaine de Saône pour venir s'abattre sur la façade du foyer Adoma. (...) Souvenez-vous, vous dormiez, vous étiez dans vos rêves ou vos cauchemars, dans le silence, la quiétude et dans la paix (...)"
"Maintenant vous sentez la fumée, la panique, vous entendez les cries. Devez-vous sautez par le fenêtre, fuir? (...) mais la fumée à commencé par vous prendre votre souffle, puis votre vue (...) vous vous précipitez vers l'ascenseur, là où l'un de vos voisins va perdre la vie!"
"Vous n'êtes plus qu'un animal, n'avez à ce moment là qu'une obsession, c'est de vous en sortir! (...) Certains ont tenté de descendre mais se sont ravisés, impossible d'y arriver seul. Vous voyez toute cette mort rentrer de tous les côtés (...) Puis c'est fini (...) vous respirez mal mais vous respirez encore."
Mais que s'est-il passé? Comment en est-on arrivé là?
"Alors quand on vous dit que ces deux hommes, deux jeunes hommes ont mis le feu à une poubelle, les questions fusent. Comment ces deux là, deux abrutis, comme dirait leur grand-mère, ont pu provoquer ça? Comment ce feu a-t-il pu se propager si vite?"
Monsieur le président, Mesdames Messieurs les jurés, le drame peut se résumer en une formule : la bêtise et la chance!
"La bêtise d'un briquet craqué dans un bac à déchets ménagers et la chance du concours de circonstances."
Me Bruno Nicolle poursuit son plaidoyer en expliquant que ce n'est pas le procès de la société Adoma. Mais selon lui, la dimension du concours de circonstances doit être posée. "Beaucoup de résidents se posent la question. N'y a t-il que la responsabilité des accusés ici présents? Pourquoi une propagation du feu si rapide? La défense va bien entendu s'emparer de cette question (...)"
L'avocat des parties civiles sénégalaises continuent en rappelant les faits. Mettant en cause le système de désenfumage, en s'appuyant sur un rapport des experts. Il pointe ensuite du doigt l'isolant de la façade qui, toujours selon un rapport scientifique, aurait favorisé la toxicité des fumées.
Ensuite doit-on trouver ça normal que le local à poubelles, avec 16 conteners, soit installé à moins d' 1 mètre 50 du mur du foyer?
"Je suis certain qu'aucun d'entre nous n'aurait accepté ça pour sa propre maison, ajoute Me Nicolle. Alors vers qui se tourner? pousuit-il. Pas du côté de la société Adoma cela serait injuste, mais adoma est financé par l'Etat. Il faudrait au moins pouvoir en tirer des enseignements."
Parce que ce sont toutes ces circonstances qui ont donné sa chance à la bêtise! Mais on ne peut pas faire le procès de la chance, alors on fait celui de la bêtise (...)
"Leur bêtise est appelée familièrement, leur connerie. Aujourd'hui ils sont tout entiers responsables et sans excuse (...) Car leur bêtise n'est pas folle! (...) On va leur chercher des excuses, que vous allez écarter. D'abord leurs vies personnelles puis leurs parents. Mais leur vie n'est pas une excuse."
Chacun d'eux est responsable de ce qu'il est. Ils ne sont pas blâmables d'avoir eu les parents qu'ils ont eu.
"J'ai quand même bien entendu le parallélisme des mères catastrophiques et les pères n'en parlons même pas! Ce qu'il faut retenir, au delà de ces enfances massacrées, c'est qu'ils n'ont pas eu de sursaut. Ces deux garçons ont fait des choix. Des mains leurs ont été tendues. Il auraient pu saisir leur chance. En cela ils sont responsables de ce qu'il s'est passé cette nuit là. Intégralement responsables."
Me Nicolle évoque à présent le parcours des victimes elles-mêmes. Il explique à la Cour que les résidents du foyer ont probablement eu des vies bien plus difficiles que les deux jeunes garçons assis dans le boxe des accusés. Il prend l'exemple de cet homme Cambodgien, décédé dans l'incendie. Un homme qui a vécu des massacres dans son pays et qui est venu se réfugier à Dijon, au foyer Adoma. Il rappelle également les nombreuses difficultés rencontrées par les autres résidents du foyer, immigrés ou encore demandeurs d'asile.
Eux, ils n'étaient pas venus en France pour foutre le bordel et mettre le feu à des poubelles. La vie des accusés est si douce par rapport à celles des victimes. A ce petit jeu là, nous gagnons!
"Chacun d'eux n'est peut-être pas 100% responsable de ce qu'il est mais chacun est responsable de ce qu'il a fait!"
"Et ces deux là continuent à se renvoyer la balle! Nous n'aurons jamais la vérité. C'est pas moi, c'est l'autre qui a mis le feu! (...) Il y en a encore un qui pratique le mensonge. Agir sans penser aux conséquences, est-ce éxonérable? Non. Ce serait trop facile."
Quand la bêtise rencontre la chance, en l'occurrence, on obtient un crime!
"Nous ne sommes pas dans la vengeance, mais dans la colère (...) Les accusés ont aussi la chance de rencontrer la dignité des victimes. Une dignité qu'ils n'ont pas!" affirme Me Nicolle.
Leur principal crime, c'est d'avoir pris des vies fragiles. Ils ont laissé derrière eux des souffles qui ne respirent aujourd'hui que pour souffrir.
Maître Bruno Nicolle conclut ainsi sa plaidoirie qui aura duré plus d'une heure.
10H45 : l'avocat de la société Adoma prend la parole
Maître Fabrice Charlemagne, avocat de la société Adoma, constituée partie civile lors de ce procès s'avance au micro. L'objectif de sa plaidoirie est d'affirmer que la société n'est en aucun cas responsable de ce drame.
"Adoma n'a pas souffert en sa chair, mais la société est aussi une victime", affirme Me Charlemagne. Son raisonnement va s'appuyer sur les explications qui ont été données par certains experts lors du deuxième jour d'audience. Il reprend les différents arguments déjà évoqués par Me Nicolle. Vent, isolant de la façade, renfoncement de cette façade ou encore emplacement du local... Il rappelle alors que les normes de sécurité en vigueur étaient largement respectées.
"Des détecteurs de fumées avaient été mis dans chaque chambre du foyer. Une loi qui ne deviendra obligatoire que dans plusieurs mois", insiste Me Charlemagne face aux jurés. Il rajoute enfin que le polystyrène utilisé dans l'isolation extérieur de l'immeuble était considéré à l'époque comme le plus sécurisant.
C'était le produit le plus utilisé au monde pour ce genre d'isolation, explique l'avocat de la société Adoma.
11h15 : les autres avocats des parties civiles se succèdent à la barre
Les phrases choc fusent en cette fin de matinée:
"Par pitié, dissipez le doute lors de vos derniers mots en ce qui concerne l'exactitude des faits!", implore Géraldine Wendel avocate de 14 parties civiles.
"C'est un procès hors norme, par le nombre des victimes. Pendant ce procès nous avons beaucoup parlé des accusés mais pas assez des victimes", explique Maître Emilie Cavin.
Aujourd'hui vous ignorez encore l'histoire de la plupart des victimes (...) de ces êtres invisibles.
Notre rôle fastidieux est de respecter ces 200 victimes", déclare Me Cavin, représentante de six parties civiles.
Les accusés vont devoir entendre une à une ces histoires, ajoute Me Cavin.
"Les victimes viennent vous dire d'une seule et même voix, prenez l'extincteur et éteignez le feu", conclu Me Anne-Sophie Henriot qui représente six parties civiles.
12h10 : l'audience est suspendue jusqu'à 14 heures.
14h10 : l'audience reprend avec les autres plaidoiries des avocats des parties civiles
Les avocats plaident chacun cinq à dix minutes pour leurs clients. L'histoire de chaque victime est racontée aux jurés. Tous, rappellent la difficulté pour ces victimes, "pas comme les autres", de comprendre les tenants et aboutissants de la procédure.
L'avocate d'Omar Azafrou insiste sur le fait que son client à tout perdu lors de cet incendie.
Il n'avait plus une chaussure, plus une chemise, plus rien! s'exclame son avocate.
"Tout ce vocabulaire juridique n'a aucune signification pour lui (...) Il souhaite par ma voix, expier sa souffrance."
Aujourd'hui, il veut vous dire qu'il ne souhaite pas la mort des pêcheurs.
Son avocate termine sa plaidoirie en expliquant : "Omar Azafrou espère que ce procès lui permettra de tourner la page sur ce chapitre morbide de sa vie."
14h20 : l'avocate de Monsieur Beladi s'avance à son tour à la barre
"C'est un survivant parmi tant d'autres. Mais c'est aussi un homme, qui depuis le drame, doit surmonter sa souffrance."
"Je suis aujourd'hui son porte-parole, un rôle difficile à porter (...) Mon client, Monsieur Beladi, a pu échapper aux flammes et dit avoir eu de la chance lui aussi!" s'écrit Maître Sabira Boughlita.
Vous devrez décider d'une peine juste. Il faut une réponse pénale à ce geste!
14h30 : l'avocate de trois chibanis raconte...
L'avocate des chibanis, ces vieux travailleurs maghrébins à la retraite, raconte la vie de ses clients devant la Cour. Elle demande aux jurés de comprendre le préjudice subit par ces hommes. Maître Virginie Pujol enchérit :
"Des souffrances qui reviennent chaque jour depuis cet incendie qui a chamboulé leur existence."
14h45 : les plaidoiries s'enchaînent
Voici quelques phrases choisies de plusieurs avocats des parties civiles :
"Des cicatrices psychiques indélébiles ont été laissées par ce drame", proclame Maître Mathilde Grenier.
"Les victimes sont peut-être absentes mais ce n'est pas par désintérêt pour la justice. Ils savent bien ce qui se passe ici, à ce procès. Ils savent que je suis leur avocat et que je dois parler à leur place, indique Me Michel Rousseau, avocat de 4 parties civiles.
Certains sont venus le premier jour mais ils n'ont pas compris grand chose, confesse Me Rousseau.
Me Rousseau conclu : "J'espère que vous avez tous entendu la souffrance de ces victimes. L'un de mes clients a une philosophie bouddhiste. Pour lui la mort est une renaissance. Il n'a forcément pas vécu le drame de la même manière que les accusés. Mais la souffrance existe."
Suspension d'audience à 15h15.
15h35 : reprise d'audience avec la plaidoirie de Me Delphine Baldini
"Je représente aujourd'hui trois hommes. Des hommes qui ne sont pas venus à ce procès. Mais une souffrance non exprimée dans une enceinte judiciaire n'est pas une souffrance qui n'existe pas (...)", commence Maître Delphine Baldini.
Elle choisit ensuite de citer les propos de l'un de ses clients, ceux de Monsieur Babayan, un homme d'origine arménienne :
"C'était mon destin de vivre cet incendie, c'était mon destin de m'en sortir vivant, je remets aujourd'hui mon destin entre les mains des juges"
"Mes trois clients avec leurs parcours de vie si difficiles donnent une bonne leçon de dignité aux deux accusés." Me Baldini cite à nouveau son client, Monsieur Babayan :
"J'en ai vu des choses difficiles dans ma vie, mais le pire c'était cet incendie. Le feu , la mort (...) Je m'en souviendrais toute ma vie. Tout est gravé dans ma tête."
15H50 : Me Sandrine Prat-Peyrou interpelle les deux accusés
"Depuis ce matin ce silence vous va si bien Messieurs!"
L'avocate poursuit : "Je vais vous parlez de ces victimes dont vous n'avez pas vu les visages." Elle représente de nombreuses victimes, toutes traumatisées par cette nuit du 14 novembre 2010.
"Arrêtez de vous cacher derrière la télé (...) Finalement le spectacle a été au-delà de vos espérances" profère-t-elle en regardant Rémi Kukulinski et Nicolas Dos Reis. Me Prat-Peyrou continue, toujours en s'adressant à eux : "Vous êtes des écorchés de la vie, c'est vrai. Mais si vous aviez conscience de celles de vos victimes, vous ne feriez pas les fiers."
Pour elles, c'est le traumatisme de trop! Vous avez incendié l'arche de Noé, s'exclame Me Prat-Peyrou.
16h10 : Maître Jean-Philippe Morel
"Les victimes ne sont pas des numéros de chambres (...) Ces victimes sont déçues par votre silence. J'espère que vos derniers mots vous feront sortir de votre coquille Messieurs", déclare Maître Jean-Philippe Morel, porte-parole de 13 victimes.
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16h20 : l'avocate d'Angela Adamian plaide pour sa cliente
Certes vous avez été malmenés par la vie, mais eux non plus n'ont pas été épargnés, au point de connaître l'exile.
"Vous n'avez pas voulu leur prendre la vie, ça ils l'ont compris. Mais ils veulent une peine juste." Madame le Bâtonnier, Catherine Pretot-Gerbeau, conclut en citant Simone De Beauvoir :
Dans chaque larme subsiste un espoir."
16h30 l'audience est suspendue jusqu'à mardi matin 9h. Les derniers avocats des parties civiles plaideront pour les victimes ayant subi les préjudices les plus importants.
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Reportage de Maryline Barate, Jean-François Guilmard et Thierry Doudoux avec :
- Me Bruno Nicolle, avocat de victimes
- Me Fabrice Charlemagne, avocat d'Adoma