Apiculture : bourdonnements autour des néonicotinoïdes

Début février, le Sénat a repoussé un texte préconisant la fin des insecticides dits « néonicotinoïdes », provoquant un tollé chez les apiculteurs pour qui ces produits sont à l’origine de la surmortalité des abeilles. Les agriculteurs eux, disent manquer de solutions contre les nuisibles.

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Le texte, porté par le sénateur Europe Ecologie – Les Verts, Joël Labbé, a été refusé par le Sénat lors de la séance du 4 février dernier. Cette motion de résolution réclamait un moratoire à l’échelle européenne sur l’usage des néonicotinoïdes. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a appelé à voter contre, ce qui a joué en défaveur du sénateur écologiste. Ce dernier a visiblement été courroucé par la décision du Palais du Luxembourg.


 

Un insecticide ​propre ?


Les néonicotinoïdes sont une classe de produits utilisés en enrobage des graines avant les semis. Les produits en question portent le nom d’Equinoxe, de Bambi, ou de Proteus (le plus utilisé en Bourgogne à l’heure actuelle). L’argument principal en faveur de leur usage est la non-dispersion dans l’atmosphère, par leur circonscription dans les végétaux. Seuls les nuisibles qui s’attaquent aux cultures seraient donc exterminés.

Mais pour certains, la réalité n’est pas si simple. Selon Jean-Marc Bonmatin, du Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans, « seuls 5% des molécules toxiques pénètrent dans la plantes. Le reste, soluble dans l’eau, se disperse et s’infiltre dans le sol ». Surgit alors un problème majeur : les substances qui intègrent le sol sont toxiques à partir de très petites quantités et leur activité peut durer de 3 à 5 ans.

Impossible donc, de circonscrire l’effet des néonicotinoïdes à une seule culture, pour une durée limitée.


 

Les agriculteurs dans l’étau


Du côté des agriculteurs, on se veut réaliste : « ce n’est pas par plaisir que l’on répand des produits chimiques dans les cultures ». Laurent Garnier, agriculteur dans la plaine de Gevrey-Chambertin ne nie pas l’utilisation des néonicotinoïdes. Il précise : « Ces produits sont hors de prix, de 20 à 30 euros pour traiter un hectare (ndlr : selon le dernier recensement agricole, un agriculteur dispose de 55 ha de terres en moyenne). On ne va pas s’amuser à les balancer n’importe comment ! On les utilise au maximum une fois par an ».

Il explique que les agriculteurs n’ont pas d’autre solution : « nous avons besoin d’alterner les produits actifs. Si on nous interdit l’usage des néonicotinoïdes, ou d’autres, il ne nous reste plus qu’un produit, contre lequel les nuisibles développent une résistance ».

Damien Ronget, spécialiste des grandes cultures à la Chambre d’Agriculture de Côte-d’Or mesure le risque lié à l’usage des produits chimiques : « Cela fait partie de mon travail, dans le conseil aux produits à utiliser, de faire se poser la question aux exploitants « quel bénéfice pour quel risque ? » ».

Il explique que les solutions sont malgré tout efficientes : « Ce sont des produits à conserver dès lors que les autres solutions ne sont plus efficaces. Nous pouvons faire un parallèle avec la situation de l'oncologue, qui prescrit une chimiothérapie à un patient atteint de cancer : ce traitement n’est pas sans conséquence sur sa santé ». Néanmoins, il admet que la question est complexe : « Dur métier que de préconiser une solution avec des effets indésirables ».



Le passage à l’agriculture biologique est-il LA solution ? Oui, mais il se heurte, pour Laurent Garnier, à un obstacle financier : « Je voudrais bien passer au bio, mais dans le contexte actuel, je ne vois pas comment réussir ma transition sans aides supplémentaires». Les agriculteurs attirent également l’attention sur les spécificités de certaines cultures. Damien Ronget précise : « en agriculture biologique, la production de colza est quasi impossible si on ne contrôle pas les insectes ».
 

La détresse des apiculteurs


Ces arguments ne semblent pas convaincre le monde apicole. Pour Thomas Barral, apiculteur professionnel à Béon, dans l’Yonne : « c’est vraiment la rémanence des produits dans la terre qui pose problème. Lorsque les abeilles font des réserves pour l’hiver, elle accumulent du pollen bourré de toxines et cela les empoisonne ».

Les pertes sont chaque fois plus nombreuses quand les beaux jours reviennent. « L’assimilation de produits chimiques provoque chez les abeilles des pertes de mémoire et de repères : elles ne retrouvent plus le chemin de la ruche ».

Les néonicotinoïdes ne sont pas le seul facteur de cette mortalité croissante, « mais ils fragilisent les abeilles et les rendent plus vulnérables aux parasites et maladies comme le Varroa ou la Nausema ». L’apiculteur dresse un terrible constat « aujourd’hui, les abeilles s’en sortent mieux dans les villes, où le recours aux produits phytosanitaires pour les espaces verts se réduit, qu’à la campagne. C’est un comble ! ».



Les  publications scientifiques récentes ont effectivement tendance à faire un parallèle entre l’utilisation des néonicotinoïdes et le déclin de la population apicole. Dans une étude datant d’août 2014, qui passe en revue toute la littérature scientifique disponible (plus de 800 articles) sur la question, de nombreux chercheurs réunis autour du biologiste néerlandais Maarten Bijleveld van Lexmond en arrivent à la conclusion que « ces insecticides [les néonicotinoïdes] seraient responsables, au moins en partie, d'un effondrement des populations d'insectes ».

Pire, ils seraient également responsables du déclin de nombreux insectes non-nuisibles, des lombrics et même d’oiseaux communs. Un comble pour des produits censés « cibler les nuisibles ».
 

Des analyses divergentes


Tous les apiculteurs ne partagent pas ce constat accablant. Pour Philippe Lecompte, président du « Réseau Biodiversité pour les Abeilles » : « on montre du doigt les néonicotinoïdes parce qu’on cherche un bouc émissaire, un responsable unique. Mais il faut avoir une vue plus globale de la situation ». Selon lui, les produits chimiques cités n’ont qu’une part mineure de responsabilité dans le déclin des populations d’abeilles. « Il y a d’abord la concurrence internationale, qui conduit les apiculteurs à travailler à la rentabilité, consacrant moins de temps à chaque ruche. On peut y ajouter les maladies venues d’Extrême-Orient, comme le Varroa ou le Nosema ceranae. Mais il y a surtout les modifications du paysage et la disparition des jachères apicoles ».

Il pointe aussi du doigt les contraintes de l’agriculture extensive, qui ont fait disparaître futaies et sous-bous, lieux de nourriture privilégiés pour les abeilles : « Si on consacrait 0,5% de l’espace agricole aux abeilles, on réglerait le problème de déclin de la population apicole ».


 

« Peu de transparence » de la part du ministère


Après l’indignation provoquée par le refus du texte de Joël Labbé au Sénat, le ministre de l’Agriculture Stéphane le Foll s’est emparé de la question. Les annonces se sont succédées : la volonté de réduire l’usage des pesticides de 50% d’ici 2050 a été de nouveau exprimée et le ministre a également évoqué le réseau de fermes expérimentales DEPHY. Ce dernier a été lancé en 2009 et vise à démontrer qu’il est possible de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques.

Laurent Garnier a cherché à visiter l’une de ces fermes, « mais pour l’instant, il n’y a selon lui, pas de résultats, pas de réponse ».
 

2014 : une année noire pour l’apiculture


Thomas Barral regrette « la frilosité du gouvernement » sur la question. Pour Philippe Lecompte, « les dernières annonces sont des manœuvres destinées à séduire l’électorat écologiste. On se demande si Stéphane Le Foll est ministre de l’Agriculture ou porte-parole du gouvernement ».

Reste que les abeilles continuent à disparaître. L’Union Nationale des Apiculteurs de France tire la sonnette d’alarme : « 2014 a été une année noire avec une  production nationale qui a été la plus faible de notre histoire. Environ 10.000 tonnes contre 32.000 en 1995 ». Le ministre a réagi en annonçant un « plan triennal pour dynamiser l'apiculture française et tenter de lutter contre la surmortalité des abeilles ». Il prévoit des formations pour les jeunes apiculteurs, la création d’un « guide des bonnes pratiques » et la valorisation de la production. Mais aucune mesure concernant les pesticides n’a été annoncée.
Le combat contre les néonicotinoïdes
Les néonicotinoïdes ont été lancés sur le marché au début des années 90. Ils étaient perçus comme « efficaces », « une bonne idée » selon Jean-Marc Bonmatin, du Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans. Mais les effets de ces insecticides ont depuis, été mesurés, notamment leur infiltration dans les sols. En 2011, les apiculteurs bourguignons ont manifesté contre le Cruiser 350. Ce produit et d’autres, ont été interdits pour 2 ans par la Commission Européenne en 2013. Cette mesure prend fin en mai 2015, sous réserve de « l’évolution des études scientifiques ». A noter que les néonicotinoïdes représentent 40 % du marché des pesticides, dominé par les groupes Bayer, BASF et DuPont. La vente de ces produits rapporte la bagatelle de 2,11 milliards d’euros chaque année.
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