PORTRAITS. Ces chefs qui préfèrent les étoiles dans les yeux des clients que sur leur façade

L'auberge de Gourdon, La Gentilhommière, La Beursaudière. Ces trois restaurants bourguignons ne cherchent pas à être étoilés. Pourtant, ce sont des institutions dans la région. Immersion en quatre épisodes dans leur quotidien, rendu incertain par le Covid-19.

Épisode 1 : L'auberge de Gourdon

À Gourdon, en Saône-et-Loire, le plus important est de rester en famille. Paola Messerre, la mère, s'occupe de l'accueil, du service et de l'installation des clients à table. Bruno Messerre, le père, est chef de cuisine. Johanna Tichadou, la fille, est sommelière en chef. Denis Tichadou, le gendre, s'occupe de la gestion de la salle, de la comptabilité et du marketing.

"On voulait faire quelque chose de zéro tous les quatre. Donc on a acheté cette auberge où chacun a mis ce qu'il savait faire, raconte Denis. Notre banquier n'y croyait pas. Il ne voulait pas qu'on le fasse. On lui a dit 'écoutez, on sait ce qu'on sait faire, on connaît le potentiel de la maison. C'était une maison qui marchait déjà bien avant. On y croit dur comme fer. Donc on a tous mis ce qu'on savait le mieux faire pour que ça marche."
 

L'avantage d'être en famille, c'est qu'on est plutôt cash.


Depuis trois ans, l'auberge de Gourdon marche tellement bien qu'il a fallu faire rentrer Thomas Paquis dans ce cercle familial. En charge des entrées et des pâtisseries, il est devenu le second en cuisine. "On s'intègre vite. C'est des gens très sympas, une très belle famille. Donc pour moi, ça a été très bien", confie-t-il.

Cette auberge n'a donc pas d'étoile. Ce qui prime ici, c'est le prestige de la famille et de l'amour.
 


Épisode 2 : La Beursaudière

La Beursaudière,à Nitry dans l'Yonne, est un restaurant vieux de 40 ans, encensé par tous les guides touristiques. Sébastien Lault, le chef, travaille ici avec une brigade, comme dans les restaurants gastronomiques.

La dernière recette du chef, c'est le pot au feu de foie gras poché dans un bouillon de langoustine. Le plat vient de faire son entrée dans la nouvelle carte d'automne.

"Le stress, c'est d'être prêts à l'heure. Mais on ne court pas après l'étoile. Ce qu'on veut c'est faire bon, faire beau et faire plaisir tout simplement", confie le chef.
 

Quand je passe voir les clients en salle, les étoiles sont plus dans leurs yeux que sur le devant de la façade. Ça me convient.


Des recettes modernes et raffinées. Mais le terroir bourguignon n'est jamais oublié. Gougères, escargots et œufs meurettes figurent à la carte depuis toujours. La cuisine proposée doit rester celle d'une auberge.

Le gérant de la Beursaudière n'est pas en cuisine. Serge Lenoble se démène en salle autant que son personnel. Il a repris l'auberge avec sa femme Nanou il y a quarante ans, après qu'elle l'ait héritée de sa grand-mère. C'est ensemble qu'ils en ont fait une institution.
 
À l'heure du déjeuner le restaurant ne désemplit pas. Seule Nanou, la gérante, manque à l'appel. Elle préfère lever le pied désormais. Mais cela n'a pas toujours été le cas. "On s'est toujours partagé le travail. Elle, c'est l'énergie, le tempérament, le caractère. Elle creuse la tranchée. Moi, derrière, je mets la terre en ordre pour que ça tienne. C'est un peu la définition de nos rôles dans l'entreprise", raconte Serge.

C'est donc ensemble, soudés l'un à l'autre, que ce couple a consacré sa vie à la Beursaudière. Au fil du temps, l'auberge s'est agrandie. Salles supplémentaires, hôtel, salle de séminaires et espace bureau.

À la Beursaudière, le temps paraît figé alors que tout a évolué. C'est le secret d'une longévité, scellée dans la pierre, comme l'ont fait Serge et Nanou pour leur couple.
 


Épisode 3 : La Gentilhommière

À Nuits-Saint-Georges, en Côte-d'Or, tout le monde connaît la Gentilhommière. Ceux qui passent devant sont forcément séduits par son cachet. Ceux qui rentrent y découvrent le travail d'un bâtisseur.

"Cet endroit, c'était une ruine, se souvient René Pianetti, qui a fondé le restaurant. J'avais acheté ça en 1967. J'ai mis mon imagination en route et on a tout démonté."

Pierre après pierre, il a bâti le lieu qui depuis 56 ans, tient son rang de restaurant chic et gourmet. "C'est une cuisine moderne, de nos jours. Une cuisine de 2020 on va dire. Sans forcément dire que c'est une cuisine gastronomique, ni semi-gastro, ni bistrot. C'est une cuisine qui reste avant tout moderne", précise Valentin Russo, chef des cuisines.

Mais cette cuisine moderne a failli ne pas survivre. En janvier dernier, le restaurant ne tourne plus aussi bien. Il était aux commandes de René Pianetti fils depuis vingt-cinq ans. Après un burn-out, il est tombé très malade du Covid-19. Pour éviter que La Gentilhommière ne disparaisse, c'est son meilleur ami Jérôme Meunier qui est venu gracieusement reprendre les rênes.

"On a travaillé ensemble à Nice, dans des palaces à 200 mètres l'un de l'autre, raconte le gérant. C'est toute cette confiance qui s'est installée en plus de quarante ans qui fait que le jour où il y a eu une petite baisse de force, on a dit 'on y va'. C'était naturellement comme ça."

Un sauvetage in extremis, avec du sang neuf dans tout l'effectif, en salle et en cuisine. Jérôme ne s'est pas contenté d'assurer une présence. Il a changé l'identité visuelle du site, la décoration et la grille des tarifs. "Le fondement de La Gentilhommière c'est Pianetti père et fils. Il n'y a pas de doute, rappelle Jérôme Meunier. On n'a rien embelli en fait, on a juste consolidé."
 


Épisode 4 : L'impact du Covid-19

Le jour où nous sommes à Gourdon en Saône-et-Loire, l'annonce du reconfinement n'a pas encore eu lieu. La famille Messerre sait qu'elle est imminente alors que les réservations étaient nombreuses au restaurant les prochaines semaines.

Les formules à emporter avaient été un effet d'aubaine pour l'auberge au premier confinement. Mais elles ne garantissent en rien la pérennité du restaurant. Si les restrictions durent trop longtemps, il n'y aura plus assez de travail pour les cinq salariés, dont quatre de la même famille.

C'est finalement un projet risqué de mettre tous ses œufs dans le même panier. "La période qu'on vit actuellement me fait me dire que si ça ne va pas, il faut assurer pour quatre, explique Paola Messerre. C'est quelque chose qui m'angoisse un petit peu parfois. Si nous capotons, eux aussi. Ils sont entraînés avec nous."

À La Gentilhommière, lors de notre tournage, le Covid aussi était sur toutes les lèvres. René Pianetti, gérant de l'établissement depuis vingt-cinq ans n'a pas remis un pied ici depuis qu'il a contracté le virus de façon grave en mars dernier. 

Ses amis d'enfance, Jérôme et Stéphanie, s'efforcent de faire tenir l'établissement en son absence. Avec deux confinements et un couvre-feu, le pari est d'autant plus risqué. "On a quand même un beau taux de remplissage, précise Stéphanie Meunier. Après il faut avancer de toute façon. Je pense que le contexte économique est compliqué pour tous les corps de métier."

"Le plus compliqué, c'est que ça change tout le temps, ajoute Jérôme Meunier. On nous dit un truc le lundi, le mercredi on nous en dit un autre. On s'adapte mais ça nous impose."

À La Beursaudière, la question de l'avenir ne devait se poser que dans cinq ou six ans, quand lui sa femme seraient décidés à prendre leur retraite. 

Nanou n'arrive déjà plus à venir travailler autant qu'avant. Alors qu'ils ont tout consacré à leur restaurant - leur amour, leur vie, leurs économies aussi - c'est une épreuve de mettre les vingt-cinq salariés au chômage partiel deux fois de suite cette année. 

"C'est une affaire qui est assez lourde, donc il ne faut pas non plus se tromper dans ce qu'on fait parce que c'est la sortie de route sinon", confie Serge Lenoble.

Ces trois établissements subissent les conséquences d'une crise sanitaire sans précédent. Les vieilles pierres de ces restaurants seront-elles assez solides à présent, pour porter le poids des années, et des difficultés ? 
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