Que ce soit par leur histoire, leur technique, leur esthétique, ces caves et ces cuveries offrent un visage singulier de la Bourgogne viticole. Reportage en Côte-d'Or et en Saône-et-Loire.
Épisode 1 - les maisons Drouhin et Champy
Visiter les caves à Beaune (Côte-d'Or), c'est plonger dans l'histoire. L'histoire des Ducs et du Parlement de Bourgogne, l'histoire aussi des religieux propriétaires depuis longtemps de riches domaines viticoles. Tout le sous-sol de la vieille ville de Beaune regorge de ces caves et caveaux, reliés les uns aux autres.
Au domaine Drouhin, on peut ainsi parcourir un hectare de caves. Au détour d'une allée, on découvre des traces encore plus anciennes du passé de la ville. "Les caves de la maison se situent dans ce qu'on appelle le castrum, qui était la première fortification gallo-romaine de Beaune. On remonte à peu près au troisième siècle, précise Frédéric Drouhin, le président du directoire de la maison Joseph Drouhin. Le premier objectif des Romains qui étaient arrivés à Beaune était de se protéger des envahisseurs, des barbares. Donc ils avaient construit non pas un mur en palissade, en bois, mais un mur en dur."
La dernière récolte du domaine est entreposée là. Les fûts y resteront un an avant d'aller terminer leur élevage dans d'autres caves, plus pratiques d'utilisation. "On ne peut pas mécaniser, tout est fait à la main. Les fûts sont roulés jusqu'à la sortie de la cave. La distance est assez longue, donc il faut savoir rouler les fûts", ajoute Frédéric Drouhin. Mais la maison tient à continuer d'utiliser ces lieux. "Ces caves seraient inhabitées, elles deviendraient un musée. Les toiles d'araignée viendraient très vite, il n'y aurait plus cette odeur de cave. Il est important de les préserver. C'est pour ça qu'on est très attachés à transmettre un savoir-faire à tous les collaborateurs de la maison." La maison est aussi soucieuse de transmettre son histoire en faisant visiter ses caves prestigieuses au grand public.
Transmettre, expliquer, montrer, c'est aussi le choix de la maison Champy, à Beaune, considérée comme la plus ancienne maison de négoce de Bourgogne. Elle a même créé, pour cela, un espace de visite en 2019 dédié à ses 300 ans d'histoire et aux grands personnages qui l'ont marquée. Edme Champy, d'abord, ancien tonnelier et qui fonda la maison en 1720. Louis Pasteur, ensuite. Le célèbre biologiste fut invité ici pour étudier le vin et tenter de l'améliorer.
L'autre grand personnage qui a marqué la maison, c'est Gustave Eiffel. Rencontré à la fin du XIXe siècle, à une époque où la maison parcourt le monde et les grandes expositions pour faire connaître et vendre ses vins. "En 1889, la maison Champy va à l'Exposition universelle de Paris et rencontre un architecte un petit peu fou qui a construit ce bâtiment magnifique, la Tour Eiffel. On s'est dit à ce moment là : c'est lui qu'il nous faut pour construire notre nouvelle cuverie", raconte Cyriane Cubadda, responsable œonotourisme à la maison Champy.
Depuis, rien n'a changé ou presque. En tout cas, les piliers conçus par Eiffel sont toujours là, dans la cuverie juste à côté de l'espace d'exposition. Car ce lieu vit toujours, au-dessus comme au-dessous, où se trouvent les caves du XVe. Celles-ci sont très basses car la nappe phréatique est toute proche. "La maison Champy possède un réseau de caves d'un kilomètre de linéaire, précise Dimitri Bazas, œonologue de la maison Champy. Il y a toujours des vieilles bouteilles et des vins qui sont en train d'être élevés dans des fûts en chêne." Et puis, il y a encore quelques trésors à peine cachés, des bouteilles qui témoignent de la longue histoire de la maison. La plus ancienne aurait plus de 160 ans.
Épisode 2 - les maisons Jadot et Leflaive
La cuverie de la maison Jadot est sans doute la doyenne des cuveries modernes de Bourgogne. Elle a été construite en 1996 à Beaune et depuis, elle n'a rien perdu de son charme grâce notamment à ses formes. Des formes voluptueuses assumées dès sa conception. "On s'est dit qu'il fallait absolument qu'on ait une cuverie dans laquelle on se sente bien. Parce que si nous nous sentons bien dans cette cuverie, on pense que le vin sera meilleur. Donc on a eu l'idée d'une cuverie qui soit circulaire, parce qu'on pense que l'énergie est meilleure", raconte Pierre-Henry Gagey, président de la maison Louis Jadot.
L'autre nouveauté des lieux, c'est une voute, ouverte sur l'extérieur dans un bâtiment où d'habitude on fuit la lumière. "On avait envie d'avoir un lien direct avec le ciel, avec la lumière. Pas trop, parce que trop de lumière n'est pas souhaitable dans une cuverie. Mais juste ce rai de lumière qui tombe sur les cuves et qui nous appelle vers le haut, ajoute Pierre-Henry Gagey. Cet endroit fonctionne pendant quatre à cinq semaines par an, mais on y est bien. Pendant les semaines de vinification, on n'y est pas 24h/24 mais 18h sur 24 et on s'y sent bien".
Il faut dire que tout a été pensé pour cela : de l'espace et une lumière douce donc, mais aussi une installation technique ingénieuse. "Les raisins arrivent à l'extérieur, ils sont triés. Ensuite, nous montons les raisins et ils descendent directement dans chaque cuve. Pas de tuyaux partout, pas de pompes, quelque chose qui fonctionne bien."
Vingt-cinq ans après, quand on regarde cette cuverie, on est content de l'avoir fait.
À Puligny-Montrachet (Côte-d'Or), la maison Leflaive a fait sortir de terre la première construction écologique du vignoble de Bourgogne, et peut-être même au-delà. Une drôle de cave, hors-sol puisque la nappe phréatique trop proche ne permet pas d'enterrer les caves. Elle a une forme originale : comme un œuf posé sur le sol.
"Ce tracé régulateur permet de répondre à trois objectifs, détaille l'architecte Marine Jacques-Leflaive. Le premier c'est le côté stucturel, ça nous permet d'avoir une voûte impressionnante sans poteau et sans tirant. Ça permet d'avoir une esthétique singulière. Et puis ça amène pour ceux qui le ressentent un côté énergétique au lieu"
De manière assez intuitive, je me suis dit que si l'humain se sentait bien dans un lieu comme ça, l'élevage des vins se ferait de manière sereine.
Les grands vins blancs du domaine sont élevés dans cette cave, des vins faits avec des raisins cultivés en biodynamie. La nature devait donc avoir toute sa place ici. Mais être naturel n'est pas simple, parce qu'il faut trouver des matériaux qui ne soient pas pollués, ce qui pourrait altérer le goût du vin. Ils ont donc tous été testés en laboratoire et certains ont dû être abandonnés. Depuis 2013, date de sa construction, d'autres projets se sont inspirés de cette cave de l'œuf. Elle reste pourtant aujourd'hui la plus naturelle et la plus insolite de Bourgogne.
Épisode 3 - la maison Picamelot et le domaine du cellier aux Moines
"Depuis tout gamin, j'aime bien la nature. J'ai toujours voulu intégrer mon travail dans un environnement naturel". Le rêve de Philippe Chautard est devenu réalité avec une cave enterrée, enclavée dans une ancienne carrière à Rully (Saône-et-Loire). C'est là qu'il a lové toute son unité de production de crémant. "La maison a été créée en 1926 par mon grand-père. Elle était dans le village, dans un environnement qui devient de plus en plus compliqué avec la vie moderne d'aujourd'hui, ne serait-ce que pour les camions", précise le dirigeant de la maison Picamelot.
Le site de la nouvelle cave était tout trouvé : l'ancienne carrière dans laquelle se trouvait déjà la cuverie. Mais Philippe Chautard voulait que le nouveau site soit beau et simple. L'entreprise, qui a entamé les travaux en 2017, a donc opté pour un cube de béton emboîté dans la roche.
Aujourd'hui, toute la production est faite dans cette cave : la vinification, l'élevage, le remuage, la mise en bouteille. Le tout dans un espace de plain-pied, vaste, pratique, frais toute l'année et chaleureux à la fois. "Je n'aime pas trop les ambiances aseptisées de carrelage. Je pense qu'on peut faire des beaux vins en harmonie avec la nature. Ça a plus de charme, on a plus de plaisir à travailler dans un environnement naturel", ajoute Philippe Chautard.
À Givry (Saône-et-Loire), entrer dans la cuverie du domaine du cellier aux Moines, c'est comme faire un voyage de 800 ans en arrière à l'époque des moines cisterciens. Ce sont eux qui ont créé l'ancienne cuverie du domaine, ce sont eux qui ont inspiré la nouvelle installé à une centaine de mètres. "On a travaillé beaucoup sur les puits de lumière. Ensuite on a travaillé sur les volumes, sur les proportions. Des choses qui ne se voient pas mais qui en fait sont typiques de l'architecture cistercienne", détaille Philippe Pascal, le gérant du domaine.
Pourtant, au tout début de cette histoire, il y avait des besoins pratiques : plus d'espace, plus de confort et moins de contrainte. Des besoins et aussi une envie. "Nous avions envie de travailler par gravité. Comme on disposait dans cette ancienne carrière de Givry d'un dénivelé d'une vingtaine de mètres, on a pu construire une cuverie qui fonctionne par gravité sans aucun pompage", ajoute-t-il. Pour cela, la cuverie a été construite sur quatre niveaux, dont trois enterrés. À chaque étage sa fonction : la macération, la fermentation, l'élevage et la mise en bouteille.
Épisode 4 - les maisons Faiveley et Boisset
La nouvelle cuverie de la maison Faiveley à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or), construite en 2017, est toute neuve. Elle raconte pourtant l'histoire de cette famille nuitonne ancrée dans la viticulture depuis sept générations, mais pas seulement. "On a une autre branche de notre famille qui était dans le ferroviaire. Lorsqu'on a fait cette rénovation, on a voulu faire un clin d'œil à cette partie de la famille. On a pris la décision de donner un côté un peu gare à cet endroit", raconte Erwan Faiveley, dirigeant du domaine du même nom.
Majestueuse, avec ses cent mètres de long sur une douzaine de haut, cette cuverie est aujourd'hui une des plus belles de Bourgogne. Large, lumineuse, simple et pleine de ce charme des bâtiments industriels de la fin du XIXe siècle, à la grande époque de Gustave Eiffel, ami des arrières-grands-parents Faiveley. "Ce bâtiment avait été fait en 1823. En 2005, quand j'ai repris après mon père, le bâtiment avait vraiment besoin d'être rénové. Soit on investissait 100 000 euros par an pendant vingt ans pour faire des rustines, soit on repartait d'une feuille blanche et on refaisait quelque chose pour les décennies qui viennent", ajoute Erwan Faiveley.
C'est la feuille blanche qui a été choisie, évidemment. Une solution plus chère à court terme mais qui a permis aux dirigeants de remettre tout à plat, en particulier le processus de vinification pour créer un parcours simplifié et plus doux des raisins après la vendange.
La rénovation est aussi intervenue dans les 3 200 mètres carrés de cave. Avec la nouvelle cuverie, la maison voulait donner une image plus moderne, mais il n'était pas question pour autant d'abandonner les vieilles caves bourguignonnes en pierre. Elles ont donc été remises en valeur, avec toujours le même souci d'élégance. "Quitte à passer sa vie dans un endroit, autant le faire beau".
Beau pour montrer qu'on fait bon c'est aussi ce qu'a voulu faire la maison Boisset, à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or). "La cave à vin blanc a été rhabillée complètement de pierres, précise Nathalie Boisset, la directrice de la maison. Au départ, nous étions dans une cave des années 1950 qui était dans un matériau d'après-guerre qui n'était pas très heureux. Donc on a souhaité la rhabiller avec de la pierre de taille et puis avec des voutes pour lui donner une majesté tout à fait particulière."
Cette rénovation a fait partie d'un chantier bien plus vaste. Quatre ans de travaux pour construire une nouvelle cuverie à partir d'un site historique. Le résultat est un bâtiment moderne, discret et avec un rappel des tuiles vernissées locales sur le toit végétalisé. Une construction novatrice dans sa forme et dans son esprit.
À l'intérieur, c'est un grand vaisseau de 1 200 mètres carrés qui a été conçu, en béton, en pierre et en bois. Il est naturellement climatisé grâce à la terre au-dessus. "C'est une sorte de cathédrale du vin. On a réussi finalement à avoir un bâtiment qui fait avec son sous-sol et ses caves environ 11 mètres de haut et qui ne se perçoit pas comme une énorme masse brutale", se satisfait l'architecte Frédéric Didier.
Un feuilleton signé Muriel Bessard, Rodolphe Augier, Lilia Khelfafoui, Yoann Danjou, Bertrand Vigier et Noé Leduc