Lionel B. comparaissait ce mercredi 31 août au tribunal judiciaire de Dijon (Côte-d'Or) pour des faits de dégradation du bien d'autrui. Le quarantenaire, soupçonné d'avoir causé pas moins de 19 départs de feux cet été, a été condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis.
17 heures. L'ambiance est lourde dans la salle d'audience du tribunal judiciaire de Dijon, alors qu'une sordide affaire d'agression sexuelle vient de se clôturer. Désormais, c'est au tour de Lionel B., incendiaire présumé, de comparaître.
"Avancez", lui intime Julien Albouze, qui préside la session. L'homme, 42 ans, s'exécute. Vêtu d'un t-shirt et d'un pantalon de survêtement noirs, baskets aux pieds, il s'appuie lourdement sur la barre. "Vous êtes ici aujourd'hui parce qu'on vous reproche 19 faits de la même infraction", détaille le président. "Je vais essayer de synthétiser : dégradation ou détérioration du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes. Vous comprenez ?" L'autre, hésitant, acquiesce mollement.
Interpellé début août pour des départs de feux
Le prévenu, habitant de Précy-sous-Thil, une petite commune à la limite entre l'Auxois et le Morvan, a été interpellé le 2 août dernier par les gendarmes après un départ de feu de broussailles. C'est grâce à un système de géolocalisation que les forces de l'ordre sont parvenues à identifier son véhicule, aperçu auparavant sur les lieux de certains brasiers. Immédiatement placé en garde à vue, il reconnaît être à l'origine de 19 incendies dans plusieurs communes de l'ouest de la Côte-d'Or entre mi-juin et début-juillet.
Seulement voilà, lorsque le président de l'audience lui demande s'il reconnaît les faits, l'homme dit ne "pas se souvenir" de tout. Une profonde détresse émane de lui lorsqu'il essaie d'expliquer, tant bien que mal, les raisons qui l'ont poussé à commettre les huit infractions qu'il admet avoir commises. "J'ai perdu mon père en avril, j'ai encore du mal...", sanglote-t-il. "Et vous pensez qu'en mettant le feu, votre situation va s'améliorer ?", l'interrompt le magistrat. La voix du prévenu se casse, il fond en larmes. Son avocat, Maître Maxime Paget, le rejoint à la barre, l'air profondément touché par la réaction de son client. "Respirez cinq minutes, monsieur", dit doucement Julien Albouze.
Un homme surendetté, sous traitement pour dépression
Avant l'audience, le prévenu ne possède aucune mention à son casier judiciaire. Il est toutefois visé par une suspension de son permis de conduire, pour des faits de conduite "sous l'empire d'un état alcoolique". Marié, père de trois enfants en bas âge, il dispose de 1 500 euros de ressources mensuelles et est endetté à hauteur de 23 000 euros. Un dossier de surendettement a même été déposé à son égard.
Après une expertise psychologique préalable, il a également été conclu qu'il manifeste un "comportement triste" et des "idées suicidaires" caractéristiques de la dépression. En plus d'un traitement pour cette affliction, il est suivi pour un problème de nerfs.
L'horloge numérique fixée au mur en briques de la salle indique 17 heures 21 lorsque le terme "pyromanie" est employé pour la première fois. Sa fascination pour les pompiers et le feu est notamment abordée. "Vous avez un tableau de pyromane", souligne le président de l'audience, après avoir cité l'expertise. "D'accord", répond simplement le prévenu, penaud, le regard perdu dans le vague.
Trois ans d'emprisonnement requis, assortis d'une obligation de soins et d'indemnisation
Puis vient le moment des plaidoiries. L'avocate de l'une des victimes qui s'est portée partie civile, Maître Charlotte Stankiewicz, lance les hostilités. "Je n'ai pas du tout entendu le prévenu s'exprimer sur les faits qu'ils a commis", avance-t-elle d'une voix claire et forte. "D'ailleurs, contrairement à sa première déposition, il ne reconnaît plus tous les faits, seulement ceux pour lesquels la science confirme sa responsabilité." Son client, agriculteur, a perdu des dizaines d'hectares de céréales à cause de deux de ces incendies. Les dégâts matériels sont estimés à plus de 45 000 euros, auxquels viennent s'ajouter 800 euros de préjudice moral.
De son côté, le procureur de la République requiert trois ans d'emprisonnement, dont la moitié avec sursis, avec mandat de dépôt différé. Sursis sous conditions puisqu'il s'accompagne d'obligations de soins, d'indemnisation des victimes et de travail ou de suivi d'une formation. "Je comprends bien la situation qui est celle de monsieur B.", tempère Olivier Caracotch. "Mais il se moque de la juridiction quand il dit qu'il n'a pas connaissance des incendies qui ont eu lieu partout en France cet été. C'est dans ce contexte que les faits lui sont reprochés."
19 interventions de pompiers. 19 interventions de gendarmes. 19 coupures de circulation. Ça aurait pu être des catastrophes agricoles. Ça aurait pu entraîner des décès.
Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon
"Dès qu'on trouve un pyromane, c'est un fantasme !"
Assis sur le siège qui lui est alloué, les yeux vitreux, le prévenu est régulièrement agité par un sanglot. Il semble totalement indifférent aux réquisitions du représentant de l'État. Ce qui n'est pas le cas de son avocat.
"Dès qu'on trouve un incendiaire, et même un pyromane, c'est encore mieux, c'est un fantasme car c'est un procès qui va faire grand écho dans la presse !", s'insurge-t-il. "Ce sont des faits graves, mais monsieur B. a un casier vierge, est sujet à d'importantes difficultés familiales et à l'addiction. La juridiction doit être cohérente et pertinente avec cela."
Qu'est-ce qui a poussé monsieur B. à passer à l'acte ? Certainement pas le plaisir.
Maître Maxime Paget, avocat du prévenu
Il préfère plaider une relaxe partielle, en mettant en avant le fait que l'on "ne requiert pas 18 mois de prison ferme contre quelqu'un qui est le seul à faire vivre sa famille." Dans les bancs réservés au public, l'épouse de Lionel B. essuie à son tour des larmes.
Une peine de prison ferme aménagée
"L'audience est suspendue", annonce Julien Albouze à la fin de la plaidoirie de Maître Paget, avant de se retirer pour délibérer. Au mur, les chiffres de l'horloge poursuivent leur course effrénée tandis que tous attendent le jugement. 10, 20, 30 puis 40 minutes avant qu'enfin, les magistrats se réinstallent à leurs sièges. Le prévenu rejoint à nouveau la barre.
Il écope de trois ans d'emprisonnement, dont deux assortis d'un sursis probatoire. La peine de prison ferme sera aménagée pour qu'il puisse la purger depuis son domicile, sous surveillance électronique. Il devra aussi suivre des soins, travailler et indemniser les victimes.
Il prend compte, sans broncher, de sa condamnation. La flamme semble bel et bien éteinte.