Près de Dijon, l'Inrae mène depuis trois ans une expérience unique en France. Des chercheurs testent de nouvelles manières de cultiver, en mettant la faune et la flore au service de l'agriculture.
Le futur de l'agriculture pourra-t-il être sans pesticide ? L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) expérimente près de Dijon en Côte-d'Or, sur une centaine d'hectares, de nouvelles manières de cultiver.
Le projet, baptisé CA-SYS, a été lancé en 2018 sur le site du domaine d’Époisses de l'Inrae situé à Bretenière. Ici, la nouveauté est que les chercheurs ne travaillent pas seulement à l'échelle d'une parcelle. "L'idée est d'aller à une échelle plus large, on parle du petit territoire. Cela nous permet d'essayer de mobiliser des processus écologiques complémentaires de ce qu'on peut faire à l'échelle de la parcelle, de manière à venir compléter des processus de régulation biologique", indique Violaine Deytieux, ingénieure de recherche et co-animatrice de la plateforme.
À Bretenière, les chercheurs ont découpé les 125 hectares de surface agricole en plusieurs zones. Autour de chacune des 42 parcelles de deux hectares et demi, des bandes d'herbe et des bandes fleuries de trois mètres de large ont été plantées. Les variétés de fleurs ont été soigneusement choisies pour permettre une floraison la plus longue possible tout au long de l'année.
Ces zones fleuries doivent servir de refuge et de nourriture pour les insectes et les araignées qui pourront venir s'attaquer aux prédateurs des cultures. "On ne va jamais venir intervenir dans cette bande fleurie", précise l'ingénieure. Sur les 125 hectares du projet, 7 hectares correspondent aux bandes enherbées et 3 aux bandes fleuries. "On est bien au-delà de ce qui est demandé aux agriculteurs en terme de surface d'intérêt écologique", rappelle Violaine Deytieux.
3,4 kilomètres de haies ont également été plantées autour des parcelles. Celles-ci n'ont pas encore atteint leur taille définitive, mais les chercheurs ont prévu qu'elles feront quatre mètres de large. Elles pourront notamment servir de support pour que des rapaces s'y posent. Rapaces qui pourront ensuite se délecter des campagnols avant qu'ils s'en prennent aux cultures. En attendant que les haies aient suffisamment poussé, des perchoirs ont été installés sur la ferme expérimentale.
Quatre types de système de culture différents sont testés sur le site. "On a deux systèmes de culture qui sont conduits avec très peu de travail du sol, voire pas de travail du tout. L'idée est de maximiser la fertilité et de perturber le moins possible le sol", indique l'ingénieure. Pour cela, ils agissent par exemple sur la succession des cultures "pour rompre le cycle des différents pathogènes". Dans les deux autres systèmes, le travail du sol est possible de manière plus ou moins profonde. Ensuite, les chercheurs peuvent comparer l'efficacité de ces différents systèmes.
Le projet a été conçu pour des successions de culture étalées sur une période de six ans, voire douze pour certains systèmes. Il est donc un peu tôt pour obtenir des conclusions précises sur les recherches entamées en 2018. Mais des premiers enseignements ont déjà pu être tirés par exemple sur la présence de "mauvaises herbes", plus importante dans les systèmes où le travail du sol est réduit et les chercheurs ont pu ajuster leurs actions.
Un projet co-construit
Le nom du projet, CA-SYS, fait évidemment référence à la célèbre baie noire bourguignonne mais il correspond surtout à un acronyme : Co-designed Agroecological System Experiment. Soit en français : plateforme d’expérimentation collaborative en agroécologie.
Dès sa naissance, le projet a en effet été construit en collaboration avec d'autres interlocuteurs. "La plateforme sert avant tout de support de recherche. Mais on voulait vraiment qu'elle soit collaborative. On a réalisé des ateliers de co-conception, on a réuni des acteurs de la recherche mais aussi des instituts techniques, des chambres d'agriculture et des agriculteurs innovants", détaille Violaine Deytieux.
Les résultats obtenus sur la plateforme doivent évidemment servir aux agriculteurs pour adapter leurs pratiques. L'idée n'est pas de fournir un mode d'emploi à suivre de A à Z, mais de partager des méthodes que les agriculteurs pourront ensuite adapter à leurs parcelles. "On sait qu'ils ne feront pas dans leur exploitation, du copié-collé de ce qu'on fait ici." La ferme expérimentale est aussi un lieu où peuvent être testées des hypothèses que les agriculteurs n'osent pas essayer chez eux.
Ce mardi 21 septembre, le domaine d'Époisses accueillait en lien avec AgroSup Dijon, une rencontre entre des étudiants en BTS agricoles, des élèves-ingénieurs et les chercheurs, ingénieurs et techniciens de l'Inrae. Une démarche qui s'inscrit aussi dans l'aspect collaboratif voulu par les initiateurs de la plateforme.
"L'idée c'est de les sensibiliser à l'agroécologie. Donc leur faire voir ce que c'est et comment ça peut être mis en œuvre", précise Violaine Deytieux. La journée était aussi l'occasion de leur montrer plus directement, lors d'ateliers, la réalité du travail d'expérimentation et pourquoi pas, de susciter des vocations.